France : l’interdiction du hijab dans le foot féminin est un acte de racisme d’État
Alors que les musulmans du monde entier profitaient des festivités de la fête de l’Aïd al-Adha, la plus haute juridiction administrative française a statué le mois dernier que la Fédération française de football (FFF) pouvait continuer à interdire aux joueuses de porter le hijab sur le terrain.
Cette décision prive les femmes portant le voile de toute possibilité de participer à ce beau jeu – jouer, entraîner, arbitrer et participer à n’importe quel niveau du football en France.
Le problème sous-jacent est ancré dans la laïcité à la française et la raison pour laquelle la FFF veut éloigner les symboles religieux du football. La FFF soutient que le fait d’autoriser le hijab sur ou près du terrain va à l’encontre de la loi de 1905 sur la laïcité.
Mais Les Hijabeuses, un collectif de jeunes femmes en France contestant la politique discriminatoire de la FFF, font valoir que plusieurs joueurs font le signe de la croix avant d’aller sur le terrain et portent bien en vue des tatouages de figures et de symboles chrétiens.
La règle ne s’applique donc pas uniformément. Elle s’applique principalement aux femmes à la peau brune ou noire qui sont musulmanes et portent le voile, bien qu’elle interdise également la kippa et le turban sur le terrain, excluant ainsi les joueurs juifs et sikhs.
Une question de « droits de l’homme »
Du 20 juillet au 20 août, les joueuses au plus haut niveau du football féminin se réuniront en Australie et en Nouvelle-Zélande pour participer à la Coupe du monde féminine. La décision du Conseil d’État est une gifle au visage de quiconque plaide pour l’égalité des sexes dans le foot, surtout quelques semaines avant un événement international visant à offrir plus d’opportunités et de représentation aux athlètes féminines.
Tous les pays du monde se sont adaptés – sauf la France – qui n’a fait que redoubler ses politiques discriminatoires et imposé une loi qui exclut sciemment les femmes et les filles du droit de faire du sport
Mais peu le savent et encore moins prennent la peine de s’exprimer. Celles et ceux qui le savent gardent un silence assourdissant ou demeurent indifférents parce que, comme c’est souvent le cas, ceux qui sont au pouvoir ne sont pas vraiment affectés par les politiques qui marginalisent de manière disproportionnée les femmes et les filles racisées.
En mai 2020, Les Hijabeuses ont commencé à défendre leur droit de jouer au football en organisant des matchs publics et en invitant les médias à les immortaliser en train de profiter de leur sport. Leur voile volant au vent, elles ont organisé un tournoi en décembre et ont collecté des fonds pour les guides féminines du Kilimandjaro.
Elles ont collaboré avec des groupes qui soutiennent des initiatives de justice sociale en France, notamment Alliance Citoyenne. Elles jouent contre d’autres femmes et filles qui ne sont pas musulmanes ou qui ne portent pas le hijab. Beaucoup de leurs soutiens considèrent à juste titre qu’il s’agit d’une question de droits de l’homme.
Plus que tout, ce groupe de femmes veut jouer au football. Elles veulent manifester leur amour du sport en jouant. Elles veulent aussi que le jeu qu’elles aiment leur rende la pareille. Pour le moment, le football en France n’est pas autorisé à les aimer en retour.
Non seulement les autorités sportives françaises montrent un mépris clair pour les filles et les femmes portant le hijab, mais elles veulent aussi les garder sur le banc.
La Fédération internationale de football association (FIFA) a d’abord interdit le hijab en 2007, mais elle est revenue sur son interdiction le 1er mars 2014. Il y a eu un effort au sein de l’écosystème footballistique pour amener le hijab dans le giron mondial. Ce fut un succès. À partir de là, le football féminin a commencé à se développer et à s’étendre.
Tous les pays du monde se sont adaptés – sauf la France – qui n’a fait que redoubler ses politiques discriminatoires et imposé une loi qui exclut sciemment les femmes et les filles du droit de faire du sport.
Hypocrisie
En 2019, la France a accueilli la Coupe du monde féminine – célébrant le football ainsi que la croissance et les réalisations des athlètes féminines, tout en empêchant plusieurs autres sportives françaises d’y participer.
J’ai assisté et fait partie d’un panel organisé par le réseau FARE aux côtés de la juriste française Rim-Sarah Alouane, de la sociologue du sport Haïfa Tilli et de deux femmes actives dans la communauté musulmane, Mariem Sabil et Fatiha Abjli. J’y ai assisté en tant que membre de la presse sportive qui couvre cette question depuis plus de dix ans.
Ces discussions ont été exclues de la couverture grand public malgré la position étonnamment hypocrite de la FFF. Comment la France peut-elle prétendre défendre le foot féminin tout en excluant complètement un groupe spécifique de femmes ? L’absurdité est presque comique.
Quatre ans plus tard, la discrimination perdure. Le fil Twitter de Haïfa Tlili après l’annonce de la décision du Conseil d’État transpirait de frustration et c’est parfaitement légitime. J’ai également ressenti de la colère et une profonde tristesse en lisant les informations.
On ne saurait trop insister sur le tribut que ce travail a fait payer aux militants qui luttent contre une telle oppression et exclusion dans le football. Il est grand temps que cette question soit abordée et que les politiques discriminatoires à l’égard des musulmanes et d’autres communautés marginalisées soient éradiquées.
Insister pour que les femmes enlèvent simplement leur voile avant de jouer n’est pas une solution. Les femmes qui choisissent de se couvrir le font souvent pour des raisons profondément personnelles et spirituelles.
Comment la France peut-elle prétendre défendre le foot féminin tout en excluant complètement un groupe spécifique de femmes ?
Comme je l’ai dit à maintes reprises, forcer les femmes à se dévêtir est aussi violent que de les forcer à se vêtir. Offrir la possibilité de s’asseoir ou de se découvrir n’est pas un choix : c’est de la violence, systématiquement mise en œuvre par la FFF.
En 2019, parler de cette question urgente et personnelle et aller ensuite regarder des matchs féminins dans des stades immenses m’a pesé. D’un côté, je voulais développer le foot féminin et je me consacrais à raconter ces histoires. De l’autre, l’injustice pure et simple contre les musulmanes dans le football français était et reste épouvantable pour moi.
Quand j’étais à l’université et que j’ai décidé de commencer à porter le hijab, l’entraîneur de l’équipe universitaire et l’entraîneur de mon club m’ont dit que je ne pouvais plus jouer si je continuais à me couvrir les cheveux. J’étais dévastée, mais j’ai finalement choisi ma foi. Je n’aurais pas dû avoir à prendre cette décision. J’aurais dû avoir le choix. Soutenir les femmes, c’est leur donner des options, pas des ultimatums.
Plus tard, j’ai regardé Zinedine Zidane soulever le trophée de la Coupe du monde pour la France. Lorsque la France a remporté la Coupe du monde en 2018, j’ai pensé à l’ironie du fait que la France utilise des musulmans pour ses succès tout en excluant leurs sœurs, mères et filles du même sport.
Se battre pour exister
La question de l’interdiction du hijab dans le sport n’est pas nouvelle. J’ai écrit sur l’interdiction du hijab dans le basket, la boxe, la natation et dans une multitude d’autres sports. Il y a un schéma simple : c’est une façon dont le contrôle du corps des musulmanes se poursuit.
Refuser aux femmes le choix de s’habiller en toute sécurité et à leur guise est misogyne. Lorsque la FIFA a autorisé le hijab, elle a approuvé la conception d’un hijab spécifique qui ne serait pas préjudiciable pour la joueuse ou son adversaire. Il n’y a pas de danger pour la joueuse ni de danger pour la société. Cela pousse à s’arrêter et à se demander de quoi les Français ont si désespérément peur. Cela ne semble pas être la foi puisqu’ils le permettent quand cela reflète la « culture française ».
Les communautés musulmanes existent en France en tant que produit d’un colonialisme brutal. La lutte pour le hijab sur le terrain ne concerne pas seulement le football ou l’accès au sport pour les jeunes racisés. Il s’agit d’exister. Il s’agit de nager en burkini ou de ne pas se faire assassiner par un policier parce que vous êtes jeune, noir et musulman.
La rigidité de la France sur cette question n’a rien à voir avec le fait de maintenir l’égalité sportive ; il s’agit de refuser l’accès à celles et ceux qui ne sont pas jugés assez « Français ». Les femmes et les filles musulmanes noires et brunes, africaines, arabes ou sud-asiatiques ne se cachent pas et elles ne reculeront pas devant leur foi et leur droit de se couvrir.
Je travaille sur une initiative avec un jeune footballeur ghanéen nommé Maxwell Woledzi. Joueur professionnel au Portugal, ce dernier a fondé The Hijab Project pour offrir aux filles un hijab sportif si elles choisissent de le porter. Il a d’abord été adopté dans une ligue féminine par Anatu Sadat, la première joueuse à porter un hijab au Ghana. Celle-ci fréquente actuellement le Navarro College aux États-Unis grâce à une bourse de football. Il est réconfortant de voir des joueuses portant le hijab entrer dans l’histoire et des hommes soutenir ces choix et aider les femmes dans le foot.
Cette année marque la première participation du Maroc à la Coupe du monde féminine. La sélection marocaine a été annoncée mardi matin et l’une des défenseuses des Lionnes de l’Atlas, Nouhaila Benzina, est la première femme portant le hijab à participer au tournoi de la Coupe du monde féminine senior.
[...] la France respecte des lois haineuses et racistes. Pour le caractère sacré du sport ? Ou la tranquillité d’esprit des islamophobes ?
La joueuse, qui évolue dans une ligue professionnelle au Maroc, ne serait pas autorisée à jouer en France. En quoi est-ce bénéfique au football féminin ?
Et que se passera-t-il en 2024 lorsque Paris accueillera les Jeux olympiques d’été ? Les athlètes seront-elles commodément découragées de venir en France pour concourir ? Le monde se réjouira-t-il du rôle du sport en tant qu’agent unificateur alors que les femmes portant le hijab en France se voient refuser la possibilité de montrer le triomphe de leur esprit humain ?
Imaginez une joueuse mise sur le banc pour un match amical international parce qu’elle porte un hijab sportif quand elle joue. C’est inacceptable dans le sport, mais la France respecte des lois haineuses et racistes. Pour le caractère sacré du sport ? Ou la tranquillité d’esprit des islamophobes ?
Les musulmanes voilées qui jouent au football sont-elles vraiment un risque pour des centaines d’années de liberté, d’égalité et de fraternité ? Comme mes sœurs en France, je ne cesserai pas de plaider ou d’amplifier le besoin d’inclusion dans le football, et je ne tolérerai pas ce type d’islamophobie de genre déguisée en laïcité réussie dans le sport.
Alors que plus d’un million de billets ont été vendus pour les matches en Australie et en Nouvelle-Zélande, la FFF nous rappelle que le football n’est pas pour toutes les femmes, mais seulement pour celles qu’elle juge acceptables.
- Shireen Ahmed est une contributrice du média CBC, conférencière TEDx, mentor appréciée et activiste sportive primée qui se concentre sur l’intersectionnalité du racisme et de la misogynie dans le sport. Elle est une experte mondiale des musulmanes dans le sport. Elle est la co-créatrice et co-animatrice du podcast sportif féministe burnitalldownpod.com et enseigne le journalisme et la presse sportifs à l’Université métropolitaine de Toronto au Canada.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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