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Guerre à Gaza : Israël utilise l’humiliation comme arme psychologique contre les Palestiniens

Ne parvenant pas à leurs fins à Gaza, les forces israéliennes punissent les civils palestiniens en les humiliant systématiquement et en leur infligeant des traitements dégradants et sadiques
Les forces israéliennes transfèrent des Palestiniens arrêtés, les yeux bandés, dévêtus et menottés, le 8 décembre 2023 dans la bande de Gaza (Yossi Zelige/Reuters)
Les forces israéliennes transfèrent des Palestiniens arrêtés, les yeux bandés, dévêtus et menottés, le 8 décembre 2023 dans la bande de Gaza (Yossi Zelige/Reuters)

Depuis le début de la colonisation israélienne de la Palestine en 1948, d’innombrables archives visuelles, photographies et séquences télévisées témoignent d’une violence disproportionnée et à grande échelle, marquée par des humiliations et une conduite inhumaine de l’armée israélienne à l’encontre de civils palestiniens non armés.

Dans de nombreux cas, les victimes étaient des enfants, des femmes, des personnes âgées et des personnes handicapées sans défense.

Le 8 octobre, le gouvernement israélien a lancé un assaut militaire majeur contre Gaza, déclarant que ses objectifs étaient de libérer les otages israéliens et de démanteler le Hamas. Mais plusieurs dirigeants, du Premier ministre Benyamin Netanyahou au ministre de la Défense Yoav Gallant, ont clairement exprimé des intentions génocidaires.

Des Palestiniens attendent de collecter de la nourriture à un point de don dans un camp de réfugiés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 23 décembre 2023, au milieu des combats continus entre Israël et le groupe militant Hamas (AFP/Mahmud Hams)
Des Palestiniens attendent de collecter de la nourriture à un point de don dans un camp de réfugiés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 23 décembre 2023, au milieu des combats continus entre Israël et le groupe militant Hamas (AFP/Mahmud Hams)

Deux mois et plus de 20 000 victimes palestiniennes plus tard, le gouvernement israélien semble ne pas parvenir à ses fins. L’ampleur choquante du carnage et des destructions donne lieu à des manifestations massives partout dans le monde et à des condamnations internationales de la guerre génocidaire d’Israël.

Le nombre effarant de victimes – en particulier d’enfants –, les attaques en Cisjordanie occupée et les violations caractérisées du droit international, notamment le ciblage d’hôpitaux et le blocage de l’approvisionnement en nourriture, en eau et en carburant, soulèvent des questions quant à l’objectif de la guerre menée par Israël contre les Palestiniens.

À cela s’ajoutent les pressions internes exercées par les familles des otages et le public israélien sur le gouvernement pour qu’il s’emploie activement à obtenir leur libération.

À la merci des animaux

Face à la pression nationale et internationale croissante, le gouvernement israélien s’évertue à élaborer un discours justifiant la violence extrême qu’il continue d’infliger à plus de 2,3 millions de Gazaouis au nom de la lutte contre la menace du « terrorisme du Hamas ».

Au cours de l’histoire, on trouve de nombreux exemples d’armées punissant des populations civiles et les soumettant à des traitements sadiques et dégradants après avoir échoué à accomplir leurs objectifs politiques ou militaires.

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En réponse aux appels internationaux demandant la fin du ciblage délibéré d’infrastructures civiles, le gouvernement israélien continue de chercher désespérément à démontrer la prétendue présence militaire de factions armées palestiniennes dans les principaux hôpitaux de l’enclave.

Cet effort s’est matérialisé par une intense campagne de bombardements aériens et d’artillerie sur les hôpitaux, dont le principal complexe médical de Gaza, al-Chifa. Ces attaques ciblant les patients et les déplacés réfugiés dans les hôpitaux ont été suivies d’arrestations, de mauvais traitements et de l’utilisation de médecins comme boucliers humains.

Fait particulièrement troublant, les soldats israéliens ont empêché le personnel médical de récupérer les corps des victimes dans les cours des hôpitaux, les laissant ainsi à la merci des animaux pendant une période prolongée.

Des témoins oculaires ont par ailleurs rapporté à l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme des agressions et des humiliations commises par des soldats israéliens contre des civils palestiniens qui empruntaient le « couloir de sécurité » désigné pour évacuer Gaza et le nord de l’enclave en direction du sud.

Selon un témoin oculaire, un soldat israélien a ordonné à un Palestinien de se déshabiller alors qu’il attendait de passer un poste de contrôle. Lorsqu’un autre Palestinien a contesté les agissements du soldat, il a été tué d’une balle dans la tête et les témoins, y compris sa famille, n’ont pas été autorisés à lui porter assistance ou à récupérer sa dépouille.

Des témoignages ont fait état de situations alarmantes où des soldats israéliens ont traité de manière dégradante et humilié des femmes dans le couloir de sécurité désigné. Deux femmes auraient reçu l’ordre, sous la menace d’une arme, de se déshabiller devant des centaines de personnes avant d’être autorisées à se rhabiller et à poursuivre leur route vers le sud.

Dans le nord de la bande de Gaza, une femme enceinte de cinq mois a également raconté qu’un officier israélien lui avait ordonné de se déshabiller et l’avait menacée de la violer si elle n’obtempérait pas

Dans le nord de la bande de Gaza, une femme enceinte de cinq mois a également raconté qu’un officier israélien lui avait ordonné de se déshabiller et l’avait menacée de la violer si elle n’obtempérait pas.

Plus récemment, des vidéos prétendument enregistrées par l’armée israélienne ont circulé, montrant de nombreux hommes palestiniens détenus et humiliés dans le nord de la bande de Gaza.

La plupart étaient des déplacés qui avaient tenté de se réfugier dans des immeubles résidentiels et des écoles de l’UNRWA sous les bombardements israéliens. Ils apparaissaient torse nu et en sous-vêtements, les mains derrière la tête. Les soldats israéliens les ont alignés dans la rue et les ont photographiés et filmés.

Les vidéos ont été largement relayées par les médias israéliens ainsi que par les soldats, qui diffusent des vidéos et des photos par dizaines sur les réseaux sociaux, en particulier depuis l’invasion terrestre. Dans des vidéos postées sur TikTok et Instagram, certains se moquent ouvertement des Palestiniens et célèbrent l’invasion de leurs quartiers et de leurs plages.

Dans d’autres « scènes de victoire », on les voit hisser des drapeaux israéliens sur des infrastructures vitales et des quartiers généraux, des bâtiments résidentiels, des tribunaux et des universités.

Une violence coloniale

Contrairement à la version initiale d’Israël, qui situait la campagne d’arrestations massives dans le quartier de Shuja’iyya, dans l’est de Gaza, et à Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, des révélations ultérieures ont montré que les faits s’étaient produits à Jabaliya, dans le nord du territoire.

Des sources israéliennes ont indiqué que les personnes arrêtées étaient membres de factions armées palestiniennes. Cependant, les récits de témoins oculaires et de proches recueillis par l’équipe de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme sur le terrain et par d’autres organisations et journalistes ont confirmé qu’il s’agissait de civils non armés, notamment d’enseignants dans les écoles de l’UNRWA (qui sont généralement soumis à de multiples contrôles de sécurité avant et pendant leur mission auprès de l’ONU), de journalistes et d’étudiants universitaires.

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Cette désinformation initiale, corrigée par la suite, n’est pas seulement le fruit des efforts déployés par Israël pour diaboliser les Gazaouis, mais elle témoigne également d’une volonté persistante de montrer un visage victorieux à ses citoyens et, surtout, à ses alliés occidentaux.

L’objectif est de fournir des « preuves » supposées que sa campagne militaire sanglante, qui tue des Palestiniens par dizaines de milliers et en a déplacé des centaines de milliers, visait en réalité à soumettre tous les Palestiniens et non à simplement « éradiquer le Hamas ».

La violence coloniale est d’une nature particulière. Cette forme de violence va au-delà de la simple domination ou de l’effacement culturel. Elle aspire à dominer et à anéantir non seulement les communautés, mais aussi l’essence même de l’esprit de la population. Fondamentalement, elle vise à humilier. Israël emploie une stratégie systématique d’humiliation pour marquer et détruire psychologiquement la population et les communautés palestiniennes.

L’objectif est de faire naître des sentiments de honte et de déchéance, voire d’induire des effets psychologiques durables qui éroderaient la ténacité et la résistance des Palestiniens. Bien qu’elle ait été systématiquement appliquée au cours des sept dernières décennies, cette politique n’a pas découragé la population palestinienne.

L’objectif est de faire naître des sentiments de honte et de déchéance, voire d’induire des effets psychologiques durables qui éroderaient la ténacité et la résistance des Palestiniens

Une question essentielle pour Israël consiste à réfléchir aux conséquences de l’internalisation et de la normalisation de pratiques qui impliquent l’humiliation d’autres êtres humains et la valorisation de tels actes. Cette atteinte systémique à la dignité humaine et à la justice exige un examen critique de son impact sur les normes et les valeurs de la société israélienne.

Israël et ses soutiens occidentaux aiment à comparer son génocide à Gaza à la campagne des Alliés dans la ville allemande de Dresde pendant la Seconde Guerre mondiale.

Mais il s’agit là d’un discours fallacieux. Contrairement aux Alliés, qui n’ont pas cherché à humilier les Dresdois, la violence d’Israël, notamment par sa puissance destructrice et son désir évident d’humilier, s’apparente aux atrocités et aux humiliations observées lors de la Nuit de cristal (nom donné aux violences antisémites qui, à l’instigation du parti nazi, embrasèrent, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938, la plupart des villes d’Allemagne et d’Autriche).

- Ramy Abdu est professeur adjoint de droit et de finance, fondateur et président de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme et analyste politique pour le think tank Al-Shabaka. Auparavant, il a été coordinateur de projets et d’investissements pour la Banque mondiale. Il est titulaire d’un MBA (Master of Business Administration) en finance de l’université de Jordanie ainsi que d’un MRes (Master of Research) et d’un doctorat en droit et finance de l’Université métropolitaine de Manchester (Royaume-Uni).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ramy Abdu is assistant professor of law and finance, founder and chairman of the Euro-Mediterranean Human Rights Monitor, and a policy analyst with Al-Shabaka. Previously, he served as a project and investment coordinator for the World Bank. He holds an MBA in Finance from Jordan University as well as an MReS and a PhD in Law and Finance from Manchester Metropolitan University (UK).
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