Israël-Palestine : pourquoi la France est heureuse de monter ses citoyens musulmans et juifs les uns contre les autres
En France, il y a un soutien populaire massif à la cause palestinienne. Des dizaines de milliers de personnes comprennent la colonisation et, malgré la couverture médiatique grossièrement unilatérale des massacres et des atteintes aux droits de l’homme en Palestine, beaucoup lisent les rapports de l’ONU, de Human Rights Watch et d’Amnesty International.
En conséquence, la politique coloniale d’Israël et son programme gouvernemental raciste d’extrême droite sont clairement compris comme relevant de l’apartheid et du nettoyage ethnique.
La plupart des commentateurs racistes ou ignorants dans les médias projettent sur les Palestiniens tous les clichés qu’ils peuvent évoquer en puisant dans leur manuel anti-arabe et anti-musulman
Sans surprise, ce soutien aux Palestiniens déplaît à l’actuel gouvernement français, dont la position contre les musulmans est maintenant une source constante de moquerie et d’inquiétude internationale.
Pendant ce temps, l’équipe du président Emmanuel Macron est si désespérée de s’assurer le vote d’extrême droite qu’elle a accusé Marine Le Pen d’être « trop molle » face à l’islam.
Ainsi, le cadrage politique de la lutte palestinienne pour la liberté est en partie influencé par les préjugés nationaux contre les minorités religieuses et ethnoculturelles, et la plupart des commentateurs racistes ou ignorants dans les médias projettent sur les Palestiniens tous les clichés qu’ils peuvent évoquer en puisant dans leur manuel anti-arabe et anti-musulman.
Le problème, c’est que certains de ces commentateurs sont aujourd’hui ministres et, pour faire avancer leurs objectifs idéologiques et politiques, ils utilisent les institutions et les lois de la République française pour rendre illicite et détruire toute forme de dissidence.
Diaboliser les activistes
En ce sens, les outils et dispositions juridiques utilisés pour diaboliser les activistes pour le climat ou les organisations propalestiniennes sont les mêmes instruments qui ont été conçus pour cibler spécifiquement les musulmans sous couvert de « lutte contre le séparatisme ».
C’est pourquoi la militante Mariam Abu Daqqa, défenseure de longue date des droits des Palestiniennes, venue légalement en France pour une série de conférences, a été arrêtée et risque d’être expulsée.
C’est pourquoi le gouvernement français interdit toutes les manifestations de soutien aux Palestiniens en les qualifiant de « pro-Hamas » et en les accusant de faire peser des risques de « troubles à l’ordre public ».
Et c’est pourquoi le ministre de l’Intérieur a annoncé son intention de dissoudre plusieurs organisations en les accusant de « promouvoir explicitement ou implicitement le Hamas ».
Ces mesures pourraient faire du soutien à un mouvement propalestinien fondé sur les droits de l’homme et le droit international une opération clandestine de facto, le gouvernement considérant que « l’antisionisme est incontestablement une forme d’antisémitisme » et que « la haine des juifs rencontre la haine de la police » dans un parallèle douteux.
Cela marginalise encore plus la France et vient s’ajouter à la pile croissante de ses atteintes aux libertés fondamentales.
Mais comment cette diatribe ignorante digne du « café du commerce » est-elle devenue un élément déterminant et structurel de la politique étrangère et intérieure du gouvernement français ? Comment sommes-nous passés du discours historique de Dominique de Villepin à l’ONU en 2003 s’opposant à l’invasion de l’Irak, et de la dénonciation du harcèlement policier israélien par Jacques Chirac, à une approbation pleine et inconditionnelle du programme d’apartheid et de nettoyage ethnique d’Israël ?
Pour deux grandes raisons.
La première est mondiale : les groupes et lobbies pro-israéliens mènent des efforts constants pour rendre illégaux les mouvements propalestiniens, de l’adoption d’une définition politiquement contestée et délibérément étendue de l’antisémitisme au ciblage des organisations musulmanes et arabes, utilisées comme mandataires de la cause palestinienne.
Avant même que les nazis ne le demandent, le gouvernement français avait mis en œuvre une série de mesures qui ont essentiellement exclu les juifs de la fonction publique, avant de commencer à confisquer leurs biens
À cet égard, la France n’est qu’un espace parmi d’autres dans cette campagne en cours, sans égard pour le mal qu’elle peut causer aux musulmans et aux juifs en France.
La seconde est spécifique à la France : le pays a collaboré volontairement avec les nazis. Avant même que les nazis ne le demandent, le gouvernement français avait mis en œuvre une série de mesures qui ont essentiellement exclu les juifs de la fonction publique, avant de commencer à confisquer leurs biens.
Comme l’a expliqué l’historien Robert Paxton : « Le gouvernement français de Vichy a participé volontairement aux déportations et a procédé à la plupart des arrestations […] L’arrestation de juifs étrangers impliquait souvent de séparer les familles de leurs enfants, parfois en plein jour, et elle avait un effet très puissant sur l’opinion publique. »
Au total, les autorités françaises ont contribué à la déportation de 75 721 réfugiés et citoyens français de confession juive vers les camps de la mort.
À partir de cette histoire (en remontant jusqu’à Napoléon et même au-delà), on peut comprendre qu’il existe une forme structurelle d’antisémitisme persistante et profondément enracinée en France, dans laquelle le gouvernement a toujours joué un rôle central, du décret Crémieux (demandant aux juifs de renoncer à leur identité comme condition d’assimilation) à l’affaire Dreyfus.
Des conséquences sur la pensée à court terme des politiciens
Cette histoire a des conséquences sur la pensée à court terme des politiciens contemporains : ils doivent prouver qu’ils ne partagent plus cette vision des juifs comme problème politique. Même quand c’est le cas.
Il s’agit généralement d’endosser des points de vue racistes inversés contre les Arabes et les musulmans dans un débat politique français où l’antisémitisme actuel n’est que partiellement masqué par une forme omniprésente d’islamophobie, et où, dans une construction toxique, certains veulent opposer les musulmans et les juifs français.
La situation est davantage empoisonnée par le fait que la communauté juive en France a été la cible d’une série de meurtres et d’attaques terroristes de la part de groupes qui s’identifient comme islamistes (que les racistes tentent délibérément de confondre avec les musulmans).
C’est ainsi que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin peut balayer d’un revers de main les graves accusations d’antisémitisme à son encontre en approuvant le discours du gouvernement israélien.
Gérald Darmanin, qui a affirmé dans un livre que Napoléon « s’intéressa à régler les difficultés liées à la présence de dizaines de milliers de juifs en France [et que] certains d’entre eux pratiquaient l’usure et faisaient naître troubles et réparations », se sent obligé de donner la preuve de son soutien à Israël.
Il le fait même si cela ajoute à la confusion entre l’État colonial et les citoyens français de confession juive, tout en criminalisant davantage le soutien aux Palestiniens et aux communautés arabo-musulmanes en France.
Au lieu de rassembler les peuples, cette histoire tragique est utilisée par les politiciens pour tenter de monter les communautés les unes contre les autres et faire avancer leurs propres carrières, au détriment de leurs propres citoyens et de l’affaiblissement supplémentaire de la crédibilité de la France au niveau international.
Pendant ce temps, le massacre des Palestiniens à Gaza se poursuit.
- Marwan Muhammad est un auteur et statisticien français d’origine égyptienne. Après une carrière dans la finance, il se consacre depuis plus d’une décennie à la lutte contre l’islamophobie. Il fut le porte-parole puis le directeur du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), la plus importante ONG de défense des droits de l’homme en France dédiée aux musulmans, avant de devenir diplomate pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), où il a soutenu les communautés musulmanes à travers toute l’Europe, l’Asie centrale et l’Amérique du Nord. En 2018, il a mené le premier sondage auprès des musulmans de France (auquel ont participé 27 000 personnes), avant de fonder la plate-forme L.E.S Musulmans, organisation-cadre rassemblant des centaines de mosquées et d’organisations islamiques à travers la France, avec plus de 75 000 soutiens. Il travaille désormais en tant que consultant en matière de droits de l’homme pour des organisations internationales.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation
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