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Il est dans l’intérêt des États-Unis d’assouplir les sanctions contre l’Iran

Si l’Iran venait à s’effondrer, les conséquences pour la région seraient terribles et dépasseraient de loin celles de l’invasion américaine de l’Irak en 2003
Des pompiers iraniens désinfectent les rues de Téhéran pour tenter de stopper la propagation du coronavirus, le 13 mars (AFP)

Alors que l’Iran est l’un des pays les plus touchés par la crise du coronavirus, avec plus de 58 000 cas et 3 603 décès. 

Un certain nombre de facteurs ont contribué à la propagation virulente du COVID-19 en Iran, notamment la réaction tardive des autorités iraniennes, les considérations politiques vis-à-vis de Pékin, le maintien des vols de Mahan Air vers la Chine après l’apparition du virus à Wuhan et la réticence initiale de certains chefs religieux à fermer les villes saintes de Machhad et Qom. Ce n’est qu’après l’augmentation du nombre d’infections que certains religieux de premier plan ont encouragé les gens à rester à l’écart.

Les sanctions américaines ont sérieusement limité la capacité de l’Iran à acquérir les équipements médicaux nécessaires

Dans le même temps, le public été réticent à réduire radicalement ses mouvements. Il y a également eu des dissensions au sein du gouvernement et en dehors, certaines factions politiques ayant exploité la crise pour mettre à mal le gouvernement Rohani. 

Ces facteurs, tout comme l’absence générale de gestion adéquate, ont compliqué la gestion de la crise. 

Récemment, le gouvernement a intensifié sa réponse en imposant des restrictions plus strictes sur les déplacements à l’intérieur des villes et entre celles-ci. 

Mais les sanctions américaines ont sérieusement limité la capacité de l’Iran à acquérir les équipements médicaux nécessaires, notamment des kits de tests, des masques, des désinfectants et autres fournitures nécessaires pour empêcher la propagation du COVID-19.

Pour faire face au déficit monétaire, l’Iran a récemment demandé cinq milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI), mais sans l’accord des États-Unis, il est peu probable que cette requête aboutisse.

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À peu près au même moment que la demande du FMI, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a annoncé de nouvelles sanctions contre l’industrie pétrolière iranienne, l’une des dernières sources de devises étrangères de l’Iran.

Les sanctions américaines, qui ont gravement affaibli l’économie iranienne et lui ont retiré son accès au système bancaire mondial, ont aggravé la crise.

Ces dernières semaines, l’Iran s’est lancé dans une campagne diplomatique pour exhorter d’autres pays à exiger des États-Unis qu’ils lèvent leurs sanctions, ou du moins les aspects qui entravent le plus l’accès aux fournitures médicales essentielles. Le président Hassan Rohani et le ministre des affaires étrangères Javad Zarif ont appelé leurs homologues à demander à Washington de lever les sanctions.

Certains pays ont réagi positivement. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a exhorté les États-Unis à lever les sanctions, tout comme la Russie et la Chine, même si leur demande ne devrait pas avoir le moindre poids à Washington. En coulisses, le Royaume-Uni tenterait également de convaincre les États-Unis de lever au moins certaines sanctions contre l’Iran. L’ONU a pour sa part réclamé la suspension de toutes les sanctions imposées à tous les pays qui luttent contre le COVID-19. 

Un coût humain considérable

Jusqu’à présent, néanmoins, rien n’indique que Washington soit disposé à assouplir les sanctions contre Téhéran, malgré leur coût humain potentiellement épouvantable. Bien que le président américain Donald Trump ait déclaré que les États-Unis étaient prêts à aider l’Iran s’il en faisait la demande, la proposition n’était pas sérieuse et l’Iran l’a rejetée. 

Ceux qui ont plaidé en faveur d’un assouplissement des sanctions contre l’Iran l’ont fait pour des motifs d’ordre moral et humanitaire, mais ces arguments ont peu de chances d’influencer les faucons anti-iraniens aux États-Unis. Pourtant, il existe également des arguments solides, fondés sur des intérêts, en faveur d’un assouplissement des sanctions contre l’Iran.

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Des travailleurs iraniens montent un hôpital de fortune dans le centre commercial Iran Mall, au nord-ouest de Téhéran, le 21 mars (AFP)

La République islamique a certes de nombreux détracteurs internationaux et quelques ennemis régionaux assez influents. Ces derniers sont peut-être heureux de la voir souffrir et s’affaiblir encore plus qu’auparavant, dans l’espoir que cela puisse conduire à l’effondrement du régime voire de l’État iranien.  

Toutefois, une tragédie humanitaire dans le contexte actuel aurait des conséquences négatives pour les États-Unis et nuirait à l’image de Washington dans la région et au niveau international. De nombreux autres pays, dont certains États européens, considèrent que la punition infligée à l’Iran par les États-Unis est excessive et contre-productive. 

Le maintien des sanctions dans le cadre de la crise du COVID-19 éroderait davantage l’autorité morale des États-Unis et leur prétention à défendre les droits de l’homme – déjà érodée par la politique de deux poids, deux mesures de Washington face aux violations des droits de l’homme, en particulier au Moyen-Orient. 

Une stratégie de soft power mise à mal

Sur le long terme, l’érosion de l’autorité morale de Washington réduirait sa capacité à influencer les événements et à atteindre ses objectifs sans recourir à la force militaire. En d’autres termes, cela nuirait gravement à la stratégie de soft power des États-Unis.

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Certains aux États-Unis pensent qu’il est plus important que leur pays soit craint qu’aimé et respecté. Ils considèrent que le respect dépend de l’ampleur de la puissance militaire américaine et de sa projection à l’étranger.

Cependant, les deux dernières décennies ont montré les limites de la force militaire dans la concrétisation des objectifs américains. Les succès passés des États-Unis, comme pendant la guerre froide, étaient autant le résultat de la supériorité de leurs valeurs et de leur autorité morale que de leur puissance militaire.

Si l’Iran venait à s’effondrer, les conséquences pour la région seraient terribles et dépasseraient de loin celles de l’invasion américaine de l’Irak en 2003. L’agitation en Iran s’étendrait presque certainement à certains États voisins et les risques de conflit régional augmenteraient.

Avec l’éclatement de nouveaux conflits régionaux, il deviendrait presque impossible pour les États-Unis de réduire leur empreinte militaire au Moyen-Orient, à un moment où le pays est lui-même confronté à des défis économiques et sociaux au-delà de la crise du COVID-19.

Au moment de prendre une décision entre assouplir les sanctions contre l’Iran et resserrer davantage les vis, Washington devra garder à l’esprit ses propres intérêts à long terme et se garder de considérer l’assouplissement des sanctions comme un simple acte de charité. 

- Shireen T. Hunter est chercheuse affiliée au Centre pour la compréhension entre musulmans et chrétiens de l’Université de Georgetown. Le Moyen-Orient (en particulier la région du golfe Persique), la Méditerranée, la Russie, l’Asie centrale et le Caucase (du Nord et du Sud) font partie de ses domaines d’expertise. Shireen T. Hunter a étudié à l’Université de Téhéran (licence et doctorat en droit international sans thèse), à la London School of Economics (maîtrise en relations internationales) et à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève (doctorat en relations internationales). Elle a publié dix-neuf livres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) et actualisé par VECTranslation.

Shireen T Hunter is an affiliate fellow at the Georgetown University Center for Muslim-Christian Understanding. Dr Hunter’s areas of expertise include the Middle East (especially the Gulf region), the Mediterranean, Russia, Central Asia, and the Caucasus (North and South). Dr Hunter was educated at Tehran University (BA and all-but-thesis for a doctorate in international law), the London School of Economics (MSc in international relations), and the Graduate Institute of International Affairs and Development Studies, in Geneva. She has published 19 books.
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