Aller au contenu principal

Israël doit répondre des tortures infligées aux prisonniers palestiniens

Un allié des États occidentaux est en train de torturer ouvertement des prisonniers détenus en territoire occupé – avec le soutien de la justice
Des hommes jouent le rôle de Palestiniens emprisonnés et de soldats israéliens lors d’une manifestation de soutien aux prisonniers palestiniens en grève de la faim dans les prisons israéliennes, à Gaza, le 17 avril 2017 (Reuters)

La semaine dernière, un détenu palestinien arrêté par les forces d’occupation israéliennes a été admis dans un hôpital de Jérusalem avec des blessures graves, notamment des côtes cassées et une insuffisance rénale. 

Âgé de 44 ans et en bonne santé au moment de son arrestation, Samir Arbeed a été torturé pendant son interrogatoire aux mains des agents du Shin Bet. Selon des informations, une « instance judiciaire » israélienne a autorisé les agents à utiliser des « moyens exceptionnels pour enquêter ».

Le traitement brutal infligé à Arbeed en garde-à-vue a été vivement condamné par les défenseurs des droits de l’homme, tant palestiniens que de la communauté internationale, Amnesty International qualifiant cette « torture approuvée légalement » d’« absolument scandaleuse ». 

Mauvais traitements systémiques

Cette mention, « approuvée légalement », est capitale. Dans son rapport annuel 2017/2018, Amnesty a noté que « la torture et les autres mauvais traitements restaient une pratique courante [des forces israéliennes] contre les détenus, y compris mineurs, et ce en toute impunité ». 

D’autres ONG ont documenté le recours par les interrogateurs israéliens aux violences physiques, aux positions stressantes et à la privation de sommeil – des méthodes utilisées alors que, dans le même temps, les prisonniers palestiniens se voient refuser l’accès à un avocat. Une étude universitaire publiée en 2015 a révélé que « les mauvais traitements sexuels sont systémiques ».

Il est clair qu’il ne s’agit pas seulement de « quelques pommes pourries »

En 2017, Haaretz a publié un article sur les méthodes de torture utilisées par Israël, confirmées par les interrogateurs eux-mêmes, et a cité un article publié deux ans plus tôt dans lequel il était suggéré que « le recours à la torture était en hausse ».

Il est clair qu’il ne s’agit pas seulement de « quelques pommes pourries ». En réalité, la question va au-delà des actes d’agents à titre individuel, elle plonge au cœur des violations institutionnalisées – et autorisées sur le plan juridique – par Israël des droits des Palestiniens et des normes internationales des droits de l’homme.

En 1999, la plus haute instance israélienne a statué que les agents du Shin Bet ne pouvaient pas employer de « moyens physiques » contre les prisonniers palestiniens – mais que ceux qui le faisaient face à une situation d’urgence seraient à l’abri de poursuites.

« Dangereux précédent » 

Comme l’indique l’ONG de défense des droits de l’homme B’Tselem, les agents du Shin Bet ont donc continué à utiliser des méthodes « constitutives d’abus et même de torture […] Ces méthodes ne se sont pas limitées à des cas exceptionnels et sont rapidement devenues une politique d’interrogatoire standard ».

Ça empire. En décembre 2017, la Cour suprême d’Israël a rejeté une requête introduite par le Comité public contre la torture en Israël (PCATI) au nom du prisonnier palestinien Assad Abu Ghosh.

La cour prenant « le parti de l’État sur tous les sujets majeurs qui lui sont présentés », le juge Uri Shoham a déclaré : « Définir certaines méthodes d’interrogatoire comme de la “torture” dépend des circonstances concrètes, même si ces méthodes sont explicitement reconnues en droit international comme de la “torture”. »

Cette décision a été critiquée par le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture : elle crée selon lui « un précédent dangereux » et « porte gravement atteinte à l’interdiction universelle de la torture ».

Samir Arbeed a été hospitalisé après avoir été interrogé par les services de renseignements israéliens (document fourni)
Samir Arbeed a été hospitalisé après avoir été interrogé par les services de renseignements israéliens (document fourni)

Pourtant, d’autres allaient advenir. Dans un arrêt de novembre 2018, la Cour suprême israélienne a de nouveau soutenu l’interrogatoire violent du prisonnier palestinien Fares Tbeish, affirmant que les actes de torture qui lui avaient été infligés par des agents du Shin Bet n’étaient pas illégaux et que leurs auteurs ne devaient pas être poursuivis.

Dans un article paru dans +972 Magazine, il était écrit que cet arrêt avait « élargi et supprimé efficacement » même les restrictions imposées par la décision du tribunal en 1999, le juriste Itamar Mann expliquant au site d’informations que, selon la Cour suprême, la maltraitance physique constituait « un moyen légitime et peut-être même le moyen préférable pour procéder à un interrogatoire pour les affaires de sécurité nationale ».

Impunité d’Israël

Il n’est donc pas étonnant que, compte tenu du soutien à la torture exprimé par les autorités et juges israéliens, aucune enquête pénale n’ait été ouverte malgré les centaines de plaintes déposées contre des interrogateurs du Shin Bet au cours des dernières années.

Et c’est à la lumière de ces précédents qu’il faut considérer avec scepticisme le fait que le ministère israélien de la Justice ait annoncé l’ouverture d’une enquête sur « une faute potentielle » commise par des agents du Shin Bet dans l’affaire Arbeed ; personne ne retient son souffle en attendant quelque chose qui ressemble à une prise de responsabilité significative. 

L’impunité dont bénéficient les forces israéliennes vis-à-vis du traitement violent et dégradant des prisonniers palestiniens rend indispensables la pression et l’intervention de la communauté internationale.

Torture et humiliations : le calvaire des Palestiniennes détenues dans les prisons israéliennes
Lire

Mardi, des Palestiniens ont manifesté devant les bureaux du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Ramallah, exigeant que l’organisation exerce son droit de visite à Arbeed.

Les groupes de défense des droits des prisonniers et le ministère palestinien de la Santé ont adressé au CICR une lettre dans laquelle ils ont exprimé leur préoccupation commune. En réponse, le CICR a annoncé mercredi qu’il tentait de rendre visite à Arbeed « dans les meilleurs délais ».

La torture de Samir Arbeed met en lumière un autre domaine dans lequel Israël se distingue par son impunité. Un allié des États occidentaux, qui bénéficie de multiples accords bilatéraux et multilatéraux en matière de commerce et de défense, est en train de torturer ouvertement des prisonniers détenus en territoire occupé – avec le soutien de la justice.

Addameer a appelé l’ONU et ses organes à « agir immédiatement pour tenter de tenir les autorités d’occupation israéliennes responsables de leurs crimes ».

- Ben White est l’auteur des ouvrages Israeli Apartheid: A Beginner’s Guide, et Palestinians in Israel: Segregation, Discrimination and Democracy. Ses articles ont été publiés par divers médias, dont Middle East Monitor, Al Jazeera, Al Araby, Huffington Post, The Electronic Intifada, The Guardian et d’autres encore.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ben White is a writer, journalist, and analyst specialising in Palestine/Israel. His articles have appeared widely in international media outlets, including Al Jazeera, The Guardian, The Independent, and others. He is the author of four books, the latest of which, 'Cracks in the Wall: Beyond Apartheid in Palestine/Israel' (Pluto Press), was published in 2018.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].