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Israël-Palestine : pourquoi les colons veulent la guerre en Cisjordanie

Alors que l’attention du monde se concentre sur Gaza, le mouvement de colons militants israéliens s’apprête à saisir l’occasion de chasser les Palestiniens de la Cisjordanie
Des proches endeuillés pleurent Muennis Zeyadat, un adolescent de 16 ans tué par des tirs de soldats israéliens, au cours de ses funérailles à Bani Naim (Cisjordanie occupée) près d’Hébron, le 12 octobre 2023 (Reuters)
Des proches endeuillés pleurent Muennis Zeyadat, un adolescent de 16 ans tué par des tirs de soldats israéliens, au cours de ses funérailles à Bani Naim (Cisjordanie occupée) près d’Hébron, le 12 octobre 2023 (Reuters)

Aujourd’hui, le monde entier a les yeux rivés sur Gaza où, si l’on en croit les dirigeants israéliens, le gouvernement Netanyahou envisage de commettre l’un des plus grands crimes du XXIe siècle.

Alors que l’attention du monde entier est tournée vers cette catastrophe en cours, il convient de veiller à ne pas négliger les événements qui se déroulent ailleurs et qui pourraient s’avérer tout aussi lourds de conséquences.

N’oublions pas la Cisjordanie occupée.

Le 10 octobre, quatre personnes ont été abattues par des colons dans la localité palestinienne de Qusra. Moins de 24 heures plus tard, lorsque leurs proches se sont réunis pour pleurer les morts, les colons sont revenus pour faire deux autres victimes en ouvrant le feu sur le cortège funèbre.

À Hébron, le 13 octobre, des colons ont ouvert le feu sur des fidèles qui quittaient leur mosquée après la prière du vendredi.

Les colons agissent en quasi-impunité. Ils bénéficient d’un important soutien politique au sein du gouvernement Netanyahou et peuvent compter sur l’appui de l’armée israélienne.

Selon les informations relayées, au moins 89 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie au cours de la semaine écoulée, auxquels s’ajoutent plus de 1 100 blessés. 

En comparaison, 172 personnes ont été tuées au cours des huit premiers mois de l’année, selon les chiffres officiels de l’ONU. Ce chiffre dépassait déjà les 155 victimes comptabilisées en 2022.

Depuis l’assaut meurtrier des combattants palestiniens contre Israël il y a près de deux semaines, les observateurs de l’ONU ont enregistré 70 attaques de colons israéliens ayant causé des dégâts matériels ou des victimes, soit près de trois fois le taux enregistré depuis le début de l’année. 

La question est de savoir dans quelle mesure la situation va s’aggraver. Les signaux sont inquiétants. 

Des signaux sans équivoque

Avant même l’attaque du Hamas du 7 octobre, il y avait déjà des signaux sans équivoque indiquant que le gouvernement israélien cherchait à chasser les Palestiniens de certaines parties de la Cisjordanie.

Pour le mouvement de colons militants israéliens, l’heure est venue. Le monde regarde ailleurs.

Pour le mouvement de colons militants israéliens, l’heure est venue. Le monde regarde ailleurs

Rappelons que le retour de Benyamin Netanyahou au poste de Premier ministre en décembre dernier a coïncidé avec un regain de soutien en faveur du projet de colonisation. 

Il a nommé Bezalel Smotrich, leader du parti ultranationaliste Sionisme religieux et lui-même colon militant, au poste de ministre des Finances.

Ce dernier prône un projet de « victoire par la colonisation » selon lequel Israël annexerait définitivement la Cisjordanie sans accorder de droits politiques aux Palestiniens.

Après s’être vu accorder de larges pouvoirs sur les colonies plus tôt dans l’année, Bezalel Smotrich aurait demandé aux ministères de se préparer à accueillir 500 000 colons supplémentaires en Cisjordanie, ce qui en doublerait presque le nombre, qui s’élèverait alors à plus d’un million.

Fait tout aussi glaçant, Netanyahou a confié le portefeuille de la Sécurité nationale à Itamar Ben-Gvir, leader du parti suprémaciste Force juive (Otzma Yehudit).

Itamar Ben-Gvir réside dans la colonie radicale de Kiryat Arba et est depuis longtemps un partisan déclaré de Meir Kahane, le rabbin né à Brooklyn qui prônait l’expulsion des Arabes du Grand Israël. 

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En 1997, trois ans après le massacre de 29 Palestiniens à Hébron, en Cisjordanie occupée, par Baruch Goldstein, un partisan du groupe juif orthodoxe radical fondé par Meir Kahane, le département d’État américain a désigné Kahane Chai en tant qu’organisation terroriste étrangère. 

Si l’année dernière, Itamar Ben-Gvir s’est distancié de certaines positions de Meir Kahane, ses états de service témoignent de son soutien de longue date au rabbin d’extrême droite et à Baruch Goldstein.

En 2007, l’actuel ministre a été reconnu coupable de soutien à une organisation terroriste et d’incitation au racisme après avoir brandi des pancartes indiquant « Expulsez l’ennemi arabe » et « Kahane avait raison ».

Il a emmené sa future femme sur la tombe de Baruch Goldstein pour leur premier rendez-vous. Le portrait du terroriste a longtemps décoré le mur de son salon.

En mars 2023, Netanyahou a accédé à la demande d’Itamar Ben-Gvir concernant la création d’une garde nationale chargée de réprimer les troubles dans les communautés arabes d’Israël.

Un langage terrifiant

Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ont tous deux conservé leur poste au sein du gouvernement israélien d’urgence formé après l’attaque du Hamas. En réponse aux demandes d’armes et de personnel de sécurité formulées par les dirigeants des colons, Itamar Ben-Gvir a annoncé que son ministère distribuerait 10 000 armes à feu ainsi que des équipements de combat « afin que les colonies soient protégées ».

Si l’on voit les choses du bon côté, rien n’indique jusqu’à présent que le Premier ministre Netanyahou ait tenté d’enflammer la situation en Cisjordanie.

Ce n’est pas une surprise. Il a obtenu une coalition de soutien international pour son plan d’invasion de Gaza, et la dernière chose dont il aurait besoin serait de s’attirer des critiques ailleurs.

En réponse aux demandes d’armes et de personnel de sécurité formulées par les dirigeants des colons, Itamar Ben-Gvir a annoncé que son ministère distribuerait 10 000 armes à feu ainsi que des équipements de combat « afin que les colonies soient protégées »

Netanyahou joue sa survie politique. Il est parfaitement conscient des critiques selon lesquelles les combattants palestiniens ont pu sortir de Gaza uniquement parce que l’armée israélienne était trop occupée à mener des opérations de colonisation en Cisjordanie. 

Cela explique probablement pourquoi il n’y a pas eu d’annonces de nouvelles colonies depuis que Netanyahou a annoncé son plan d’invasion de Gaza.

Cette prudence officielle d’Israël contraste toutefois avec le langage terrifiant employé par certains colons ultranationalistes sur des groupes WhatsApp et des chaînes Telegram.

Comme l’a révélé Middle East Eye le 13 octobre, un groupe baptisé « Les Chasseurs de nazis » diffuse des listes de cibles palestiniennes avec leur nom et leur localisation sur une chaîne Telegram d’extrême droite et appelle à les tuer.

Parmi ces cibles figure le cheikh Ekrima Sabri, imam de la mosquée al-Aqsa à Jérusalem. La chaîne décrit les individus visés comme « des nazis qui circulent librement et n’ont pas encore été éliminés ».

Une flambée de violence des colons

Les colons militants s’organisent sur des plateformes de messagerie mobile pour mener des actions paramilitaires contre les Palestiniens en Cisjordanie. Sur un groupe WhatsApp intitulé « Nouvelles des collines », des messages indiquent que « tout Arabe qui osera penser à s’approcher d’une colonie juive pourra être tué » ou encore qu’« il est temps de démoraliser les Arabes », tout en reprochant à l’armée israélienne de ne pas adopter une approche suffisamment radicale. 

Prenons l’exemple des funérailles à Qusra. Un message sur « Nouvelles des collines » dénonce l’armée israélienne pour avoir autorisé « les terroristes à organiser des funérailles sur la route principale ».

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Les détails de l’itinéraire du cortège funèbre ont été publiés, ainsi qu’un message indiquant l’intention des colons d’« arrêter » le cortège « avec [leurs] corps ».

Un message publié ultérieurement sur le groupe salue le fait que le « convoi de partisans nazis » ait été intercepté et souligne que deux « terroristes » ont été « éliminés ». « Dommage qu’il n’y en ait pas eu d’autres », ajoute ensuite son auteur. 

Cet horrible épisode s’inscrit dans le cadre d’une flambée de violence des soldats et des colons. Un éditorial du journal libéral israélien Haaretz a averti sans détour que les colons « tent[aient] d’entraîner Israël dans une guerre en Cisjordanie ». 

Il s’agit en effet d’un thème communément relayé en ligne par les colons militants. Des messages postés sur « Nouvelles des collines » célèbrent la dévastation de Gaza tout en soulignant que « le pays tout entier est un front », que « les Arabes » doivent être « expulsés, sur leurs jambes ou dans des sacs » et que « les ennemis » doivent également être « éliminés » en Israël et en Cisjordanie. 

« Il y a des colons partout », a témoigné une personne vivant dans le village de Qaryout, en Cisjordanie.

« Chaque fois que nous nous approchons de maisons situées à proximité d’une colonie, ils nous tirent dessus. Ils profitent de la situation sécuritaire à Gaza pour se venger en Cisjordanie. »

- Peter Oborne a reçu le prix du meilleur commentaire/article de blog en 2017 et en 2022 et a été élu meilleur journaliste indépendant de l’année 2016 à l’occasion des Drum Online Media Awards pour un article qu’il a écrit pour Middle East Eye. Il a également été nommé chroniqueur britannique de l’année en 2013. Il a démissionné de son poste de chroniqueur politique du quotidien The Daily Telegraph en 2015. Son dernier livre, publié en mai par Simon & Schuster, s’intitule The Fate of Abraham: Why the West is Wrong about Islam. Il a précédemment publié de nombreux ouvrages dont Le triomphe de la classe politique anglaise, The Rise of Political Lying, Why the West is Wrong about Nuclear Iran et The Assault on Truth: Boris Johnson, Donald Trump and the Emergence of a New Moral Barbarism.

- Jamie Stern-Weiner est doctorant à l’université d’Oxford. Il a édité les ouvrages Moment of Truth: Tackling Israel-Palestine’s Toughest Questions (OR Books, 2018) et Antisemitism and the Labour Party (Verso, 2019).

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Peter Oborne won best commentary/blogging in both 2022 and 2017, and was also named freelancer of the year in 2016 at the Drum Online Media Awards for articles he wrote for Middle East Eye. He was also named as British Press Awards Columnist of the Year in 2013. He resigned as chief political columnist of the Daily Telegraph in 2015. His latest book is The Fate of Abraham: Why the West is Wrong about Islam, published in May by Simon & Schuster. His previous books include The Triumph of the Political Class, The Rise of Political Lying, Why the West is Wrong about Nuclear Iran and The Assault on Truth: Boris Johnson, Donald Trump and the Emergence of a New Moral Barbarism.
Jamie Stern-Weiner is a PhD candidate at the University of Oxford. He is the editor of Moment of Truth: Tackling Israel-Palestine's Toughest Questions (OR Books, 2018) and Antisemitism and the Labour Party (Verso, 2019).
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