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Pourquoi il m’est impossible de recevoir mon prix de journalisme à Gaza

Après des mois de « contrôles de sécurité », Israël réclame des centaines de dollars en frais divers pour me rendre mon trophée en cristal
Maha Hussaini interviewe un fermier palestinien dans la bande de Gaza (MEE/Sanad Latefa)
Maha Hussaini interviewe un fermier palestinien dans la bande de Gaza (MEE/Sanad Latefa)

Cinq mois après avoir remporté le prix Martin Adler, et quelques semaines après que les autorités israéliennes ont conclu que mon trophée en cristal n’était pas une menace pour la sécurité, je ne peux toujours pas recevoir mon prix.

En novembre dernier, le Rory Peck Trust, organisation internationale basée à Londres qui soutient les reporters à travers le monde, a annoncé les lauréats de ses prix annuels, qui reconnaissent le travail des journalistes et réalisateurs indépendants. Rory Peck, caméraman indépendant, a été abattu et tué à Moscou en 1993 ; le trust a été créé en sa mémoire.

On m’a remis ce prix pour mes reportages à Gaza pour Middle East Eye. Après l’annonce des lauréats, le Rory Peck Trust a expédié le trophée à mon adresse dans la bande de Gaza en décembre 2020. Mais si les autres lauréats ont reçu leur trophée quelques jours plus tard, le mien a été retenu par Israël pour des contrôles de sécurité.

C’est la réalité de l’occupation : une Palestinienne dans son propre pays doit remplir des formulaires dans la langue de l’occupant pour que ses droits fondamentaux soient approuvés

Cela prend généralement une semaine pour qu’un paquet expédié à Gaza atteigne les territoires palestiniens occupés, et encore plus pour passer les autorités israéliennes. Je m’attendais à un retard, mais comme le délai moyen de livraison des paquets envoyés depuis le Royaume-Uni à l’international est de deux à huit jours, j’espérais qu’il arriverait sous peu.

Mes espoirs n’ont pas tardé à être douchés. Deux mois plus tard, j’ai reçu un mail des douanes – début d’un long périple fait de contrôles de sécurité et autres procédures.

Au cours des deux mois suivants, j’ai dû fournir de nombreux documents et remplir plusieurs formulaires attestant la nature du colis. Mais même après avoir envoyé ma pièce d’identité, un certificat de paiement pour le trophée, la facture du fournisseur et un certificat indiquant que ce trophée était pour usage personnel, entre autres documents, j’ai reçu un appel du coordinateur des douanes, qui m’a indiqué que même une fois que le colis aurait passé les douanes israéliennes, l’acheminer à Gaza serait une autre histoire.

Un blocus suffocant

J’ai suivi les procédures requises, tout en cherchant des coursiers autorisés à livrer des colis depuis la Cisjordanie occupée à Gaza. La première semaine d’avril, les autorités fiscales israéliennes m’ont envoyé un formulaire en hébreu et en anglais me demandant mes informations personnelles.

Ce qui m’a particulièrement frappée en remplissant ce formulaire, c’est qu’en tant que Palestinienne de Gaza, d’où l’occupation israélienne a démantelé ses colonies et retiré ses forces en 2005, je n’avais jamais eu à traiter directement avec les institutions israéliennes ou à remplir des formulaires en hébreu. 

Un char israélien au poste frontière d’Erez en 2012 (AFP)
Un char israélien au poste frontière d’Erez en 2012 (AFP)

Pour la première fois depuis le blocus de Gaza, j’ai réalisé qu’il y avait pire que les obstacles et restrictions suffocants qui nous sont imposés depuis quinze ans. C’est la réalité de l’occupation : une Palestinienne dans son propre pays doit remplir des formulaires dans la langue de l’occupant pour que ses droits fondamentaux soient approuvés. En tant que journaliste qui couvre les atteintes aux droits de l’homme perpétrées par les forces d’occupation israéliennes, je trouve cela humiliant et pénible.

Ces quinze dernières années, Israël a imposé de strictes restrictions sur la circulation des biens et des personnes depuis et à destination de Gaza, dans le cadre du blocus lancé en 2006 et resserré en 2007 après la victoire du Hamas aux élections législatives dans l’enclave.

Ces restrictions font toutefois partie du quotidien des Palestiniens depuis la Nakba en 1948. Avant la création d’Israël et l’occupation de la Palestine, les Palestiniens étaient reliés depuis des décennies sur le plan commercial à l’Europe et au Moyen-Orient via la mer Méditerranée. Après 1948, Israël a pris le contrôle par la force de tous les points d’entrée et sortie, empêchant les gens de voyager ou d’échanger des biens sans sa permission.

Paquets interdits

Dans ce contexte, pour acheminer mon trophée à Gaza depuis Ramallah en Cisjordanie occupée (soit environ 100 kilomètres ou deux heures de trajet en voiture), il me fallait me coordonner avec un coursier autorisé par les autorités israéliennes à livrer des paquets à Gaza. J’ai contacté DHL et FedEx, les deux seules entreprises de livraison internationales qui opèrent à la fois en Cisjordanie occupée et à Gaza, pour commencer à organiser la livraison du trophée une fois qu’il aurait passé les douanes israéliennes.

Tous deux m’ont appris que seuls des documents papier pouvaient être envoyés depuis la Cisjordanie à Gaza et inversement. Les paquets contenant d’autres matériaux ne sont pas autorisés. « Cette interdiction vient du côté israélien, nous ne sommes pas responsables », m’a assuré par téléphone un représentant de FedEx en Cisjordanie occupée. « Israël interdit tout courrier autre que papier à Gaza. »

Sous l’occupation israélienne, les victimes paient les outils de l’oppression qui sont utilisés systématiquement contre eux

Depuis des années, Israël impose de strictes restrictions aux expéditions vers Gaza, sous prétexte que le Hamas pourrait faire entrer des armes telles que des couteaux, des drones et de l’équipement de communication. Israël régule l’entrée de tous les matériaux à Gaza, notamment les éléments qu’il classifie comme ayant un « double usage », lesquels nécessitent une autorisation spécifique pour pénétrer dans l’enclave ; or cela comprend des objets « dont l’usage est principalement civil et primordial pour la vie civile », note Gisha, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme.

Pour un paquet ordinaire, les contrôles de sécurité frénétiques peuvent retarder la livraison pendant plusieurs mois. Malgré les procédures liées à la réception de mon trophée, et même si je perdais espoir au fil du temps, j’ai continué à faire pression pour qu’il passe les douanes israéliennes.

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Après avoir rempli tous les critères, j’ai finalement reçu un appel ce mois-ci du bureau des douanes, m’informant que le trophée passerait enfin la douane – une fois que j’aurais payé 803 shekels israéliens (environ 250 dollars). On m’a remis une facture qui inclut des lignes telles que frais d’administration, frais de contrôle de sécurité, frais informatiques et autres frais couvrant le coût du stockage du colis pendant cinq mois.

Lorsque j’ai demandé des explications, un employé m’a répondu par e-mail que « tous les colis FedEx qui passent par les douanes israéliennes et les contrôles de sécurité sont lourdement taxés, en particulier si l’adresse n’est pas israélienne ». Cela signifie qu’indépendamment de la nature du colis, dès lors qu’il est envoyé à une adresse palestinienne, il fait automatiquement l’objet de contrôles de sécurité et est lourdement taxé.

Surveillance et contrôle

Ces contrôles de sécurité constituent une partie significative du mécanisme de contrôle et de surveillance imposé aux Palestiniens. Israël a graduellement privatisé ce processus. Le poste-frontière terrestre d’Erez à Gaza a été l’un des premiers postes de contrôle privatisés en janvier 2006. Aujourd’hui, au moins quatorze check-points israéliens, dont deux postes-frontières entre Gaza et Israël, ont été privatisés.

Si les coûts des postes de contrôle privatisés sont estimés jusqu’à 80 millions de dollars par an, les Palestiniens supportent largement les frais associés à leur surveillance et au contrôle de leur vie et de leurs affaires. Sous l’occupation israélienne, les victimes paient les outils de l’oppression qui sont utilisés systématiquement contre eux.

Aujourd’hui, j’écris cet article sur le bureau où j’ai enregistré mon discours d’acceptation du prix, après avoir informé les douanes que je refusais de payer pour recevoir ce trophée. Une journaliste à qui on a remis un prix pour avoir couvert les abus de l’occupation ne peut payer les frais de cette occupation qui viole ses droits fondamentaux.

- Maha Hussaini est née au Caire et a grandi dans la ville de Gaza, où elle a suivi son cursus universitaire. En juillet 2014, elle a embrassé la carrière de journaliste indépendante, produisant, préparant et présentant des reportages pendant la guerre entre Israël et Gaza. Elle travaille pour Middle East Eye depuis mars 2018 et a notamment couvert la querelle entre le Fatah et le Hamas, le déménagement de l’ambassade israélienne à Jérusalem et la Grande Marche du retour.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Maha Hussaini is an award-winning journalist and human rights activist based in Gaza. Maha started her journalism career by covering Israel’s military campaign on the Gaza Strip in July 2014. In 2020, she won the prestigious Martin Adler Prize for her work as a freelance journalist.
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