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Israël-Palestine : la critique européenne de la violence des colons a des relents d’hypocrisie

Malgré les objections qu’elle a récemment formulées, l’Europe a permis une telle violence grâce au soutien financier, militaire et diplomatique qu’elle fournit à Israël et à l’Autorité palestinienne
Un Palestinien combat un incendie qui aurait été allumé par des colons israéliens dans une oliveraie en 2019 (AFP)
Un Palestinien combat un incendie qui aurait été allumé par des colons israéliens dans une oliveraie en 2019 (AFP)

Au cours des derniers mois, la violence et la terreur infligées depuis des décennies par les colons juifs aux Palestiniens en Cisjordanie occupée ont suscité une nouvelle attention de la part des pays européens et des médias occidentaux.

Alors que le Premier ministre israélien Naftali Bennett défendait les colons, qualifiant leurs attaques de « phénomène insignifiant », deux membres juifs de la Knesset ont invité en décembre des ambassadeurs européens à assister à une conférence soutenant que c’étaient l’Union européenne (UE) et les organisations de gauche palestiniennes – et non les colons juifs – qui étaient les « instigatrices de la violence en Judée-Samarie ». Les députés israéliens ont accusé l’UE d’antisémitisme et de « diffamation sanglante » pour avoir présenté les colons juifs comme les coupables.

Quelles que soient les objections que les Européens prétendent avoir aujourd’hui, elles contrastent fortement avec leurs politiques, à la fois cohérentes et globales, de soutien à la colonisation juive en Palestine

Bennett, qui s’est fièrement vanté d’avoir « tué beaucoup d’Arabes », est un nationaliste de droite qui partage la vision expansionniste des chefs des colons, ayant juré de continuer à développer les colonies existantes. Ses opinions ne jurent pas avec celles d’une grande partie de l’armée israélienne. Selon le Guardian : « Les experts ont estimé en 2016 qu’entre un tiers et la moitié des cadets de l’armée adhéraient au sionisme religieux, le credo des colons les plus idéologiques. »

Au fil des ans, l’UE et le Royaume-Uni se sont efforcés de montrer qu’ils condamnaient la « violence » des colons juifs, à tel point qu’en 2012, puis à nouveau en 2014, l’UE a envisagé de mettre sur liste noire les colons « violents » et de leur interdire l’accès à l’union. Notez que le vol des terres palestiniennes par les colons n’est en revanche pas considéré comme un acte violent par l’UE. 

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Néanmoins, les Israéliens étaient furieux de ce qu’ils considèrent comme un parti pris anti-colons, d’autant que le ministère israélien des Affaires étrangères n’avait aucune connaissance préalable de la préparation par l’UE d’une telle liste noire.

Un porte-parole du ministère a commenté : « Quant à la proposition incendiaire de refuser d’admettre ce qu’ils appellent des ‘’colons violents connus’’ parce qu’Israël ne les a pas traduits en justice, il y a là une contradiction interne. Comment un individu sera-t-il défini comme un « colon violent » s’il n’a pas été condamné ? Et s’il a été condamné, alors Israël l’a traduit en justice. Il semble que dans leur empressement à proposer des mesures sévères, ces experts estimés aient négligé la simple logique. »

Les Israéliens ont dû se montrer des plus persuasifs, car l’UE a apparemment abandonné l’affaire tout à fait.

Une inquiétude feinte

Mais soudain, les pays européens feignent de s’inquiéter de la récente série d’attaques perpétrées par des colons contre des Palestiniens. Menés par la Grande-Bretagne, seize ambassadeurs et diplomates européens ont rencontré Aliza Bin-Noun, directrice du département des affaires européennes au ministère israélien des Affaires étrangères, et ont remis une lettre exprimant leurs préoccupations.

Irritée par le chutzpah (culot) dont ont fait preuve les Européens en osant critiquer ainsi Israël, Bin-Noun les a remis à leur place en leur passant un savon, et aurait même hurlé : « Vous me gonflez ! » Heureusement pour les diplomates, Bin-Noun, contrairement aux membres de la Knesset, n’a pas accusé les Européens d’antisémitisme ou de diffamation meurtrière.

Les Européens ne sont pas les seuls concernés : le sont également le ministre israélien de la Défense Benny Gantz et le président de l’Autorité palestinienne (AP) Mahmoud Abbas, qui se sont récemment rencontrés pour renforcer la coordination en matière de sécurité.

Gantz, lui-même accusé d’avoir supervisé le meurtre de centaines de civils palestiniens à Gaza, a demandé à Abbas d’en « faire davantage » pour réprimer la « violence » palestinienne en Cisjordanie occupée – une tâche à laquelle l’appareil de sécurité mercenaire d’Abbas excelle depuis la formation de l’AP en 1994.

La colonie de Maale Adumim en Cisjordanie occupée en 2020 (AFP)
La colonie de Maale Adumim en Cisjordanie occupée en 2020 (AFP)

Quand Abbas a timidement évoqué la violence des colons juifs illégaux, cependant, Gantz lui aurait assuré que « la plupart des colons ne sont pas le problème ». En plus de poursuivre la coordination en matière de sécurité pour réprimer la résistance palestinienne, Abbas s’est assuré d’obtenir « des centaines de permis pour les hommes d’affaires palestiniens afin de leur permettre de se déplacer relativement librement entre la Cisjordanie et Israël, et des dizaines de ‘’laissez-passer VIP’’ pour les hauts responsables de l’Autorité palestinienne », selon un article d’Haaretz.

Quelques jours après la réunion, les forces de sécurité de l’AP se sont déchaînées contre la ville palestinienne de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie occupée, terrorisant les habitants et arrêtant plusieurs adolescents. Cela a déclenché un soulèvement populaire et notamment l’attaque d’un siège local de l’AP.

Contrairement aux soldats israéliens, qui traitent précautionneusement les colons juifs violents et illégaux – d’autant plus qu’un grand nombre de soldats partagent « des facteurs culturels rangeant bon nombre d’entre eux du côté des colons » –, les sbires de l’AP sont du côté de l’occupation israélienne, pas du peuple palestinien.

Une tradition violente

Cette violence des colons juifs envers les Palestiniens n’est pas nouvelle. Les attaques de colons contre les propriétaires palestiniens de terres convoitées font en réalité partie de la tradition de la colonisation juive de la Palestine depuis les années 1880. En 1911, à la suite de la vente de vastes étendues de terres par des propriétaires absents au Fonds national juif, les autorités expulsèrent de force des paysans palestiniens et en arrêtèrent un grand nombre. Un paysan fut par ailleurs tué par Hashomer, une milice sioniste.

Quant aux autres paysans expulsés qui travaillaient comme ouvriers dans les colonies juives, les brutes de Hashomer les battirent si cruellement qu’ils reçurent l’ordre des comités des colonies juives de cesser de maltraiter les Palestiniens.

Dans les années 1930, les colons étaient passés du meurtre de paysans et du tabassage d’ouvriers palestiniens à l’explosion à la grenade de cafés (comme à Jérusalem en mars 1937) et à l’usage de mines à minuterie électrique au beau milieu de marchés bondés, entre autres atrocités. Dans les années 1940, ils faisaient sauter des navires et des hôtels, avant que leurs crimes ne culminent avec le massacre de Palestiniens lors de dizaines de tueries en 1947-48. 

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Pratiquement aucune des violences perpétrées contre les Palestiniens par les colons juifs en Cisjordanie occupée, à Jérusalem ou à l’intérieur même d’Israël aujourd’hui ne diffère de la violence qui s’abat sur eux depuis le début de la colonisation juive de la Palestine ; en témoignent les récentes protestations de citoyens palestiniens d’Israël menacés de perdre leurs terres dans le Néguev par ce même Fonds national juif qui expulsa les Palestiniens il y a un siècle sous le couvert de la « reforestation » des terres. L’expulsion des Palestiniens du Néguev par le gouvernement israélien est une constante depuis des années.

Quelles que soient les objections que les Européens prétendent avoir aujourd’hui, elles contrastent fortement avec leurs politiques, à la fois cohérentes et globales, de soutien à la colonisation juive en Palestine et au vol sioniste de terres palestiniennes, avant et après la création de l’État d’Israël.

Le subventionnement par l’Europe de l’occupation israélienne et du rôle de l’AP dans la répression de la résistance palestinienne perpétue la tradition européenne de soutien aux colons de par le monde, des Amériques à l’Afrique en passant par l’Océanie.

Le fait que les Européens considèrent que la violence des colons juifs ne se manifeste que dans certaines de leurs attaques physiques contre les Palestiniens, et non pas dans le vol de terres et de maisons palestiniennes, n’atténue guère le fait que l’Europe permette une telle violence par le soutien financier, militaire et diplomatique qu’elle accorde à Israël et à l’AP.

Pas étonnant qu’Aliza Bin-Noun ait fait passer un mauvais quart d’heure aux diplomates européens pour leur hypocrisie et qu’elle les ait renvoyés chez eux la queue entre les jambes. Ils le méritaient.

Joseph Massad est professeur d’histoire politique et intellectuelle arabe moderne à l’Université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles, tant universitaires que journalistiques. Parmi ses ouvrages figurent Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs et, publié en français, La Persistance de la question palestinienne (La Fabrique, 2009). Plus récemment, il a publié Islam in Liberalism. Son travail a été traduit dans une douzaine de langues.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original).

Joseph Massad is professor of modern Arab politics and intellectual history at Columbia University, New York. He is the author of many books and academic and journalistic articles. His books include Colonial Effects: The Making of National Identity in Jordan; Desiring Arabs; The Persistence of the Palestinian Question: Essays on Zionism and the Palestinians, and most recently Islam in Liberalism. His books and articles have been translated into a dozen languages.
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