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Israël rappelle aux Arabes israéliens qu’ils sont Palestiniens

Face à la révolte de sa minorité arabe, Israël, régulièrement confronté au même dilemme – la traiter comme un ensemble de citoyens à part entière ou appliquer une répression arbitraire et massive –, a systématiquement opté pour la seconde option
Les Arabes israéliens de Lod lors des funérailles de Mousa Hassouna, tué lors de manifestations anti-israéliennes, le 11 mai 2011 (AFP)
Les Arabes israéliens de Lod lors des funérailles de Mousa Hassouna, tué lors de manifestations de citoyens palestiniens d’Israël, le 11 mai 2011 (AFP)

À Beer-Sheva, Jaffa, Haïfa, Kafr Kanna, Lod, Nazareth ou Umm al-Fahm, les Palestiniens d’Israël ont massivement pris part à l’un des plus importants soulèvements dans l’histoire de cette population, tant par son intensité que sa violence.

Face à un régime d’apartheid qui fragmente le peuple palestinien et le confronte à des situations d’oppression de différents niveaux, la jeunesse de cette minorité qui compose 18 % de la population israélienne a rappelé son attachement et son appartenance au peuple palestinien.

Qui sont les citoyens palestiniens d’Israël ?
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En octobre 2000, déjà, parallèlement au début de la seconde Intifada dans la bande de Gaza et en Cisjordanie occupée, des jeunes Palestiniens d’Israël avaient manifesté leur solidarité et s’étaient attaqués aux symboles de l’État.

Face à une révolte inattendue au sein même de leurs frontières, les autorités israéliennes avaient opté pour la manière forte en faisant abattre treize d’entre eux par des snipers.

Cette fois, la police israélienne a d’abord tenté de juguler les émeutiers et manifestants à l’aide de grenades assourdissantes, gaz lacrymogènes et arrestations arbitraires de plusieurs centaines de personnes.

Des députés d’extrême droite au ministre de l’Intérieur Amir Ohana, beaucoup ont appelé plus ou moins directement les miliciens d’extrême droite à venir prêter main-forte.

Arrestation massive pour les Palestiniens contre inculpation ciblée pour les juifs

Ainsi, en quelques jours, le mythe des « villes mixtes » comme laboratoire du vivre-ensemble israélien a pris un sérieux coup.

Les Palestiniens de ces municipalités organisant à la hâte des patrouilles pour prévenir les descentes de colons venus de Cisjordanie, ou de jeunes fascistes juifs prêts à en découdre, assurés de leur supériorité car autorisés à porter des armes.

La suite est connue : aux émeutes de jeunes Palestiniens succèdent des marches d’extrémistes juifs appelant à « tuer les Arabes » et multipliant les lynchages. Aux restaurants ou magasins juifs attaqués répondent des boutiques et épiceries palestiniennes pillées et incendiées.

Les forces israéliennes arrêtent un groupe de citoyens palestiniens d’Israël à Lod, le 13 mai, lors d’un saccage par des extrémistes israéliens et des manifestations de Palestiniens (AFP)
Les forces israéliennes arrêtent un groupe de citoyens palestiniens d’Israël à Lod, le 13 mai, lors d’un saccage par des extrémistes juifs et des manifestations de Palestiniens (AFP)

Les affrontements entre Arabes et juifs se multiplient. À cela s’ajoute le déploiement de l’armée pour organiser la répression d’une population considérée théoriquement comme des concitoyens.

Dimanche 16 mai, la presse israélienne a annoncé 116 premières inculpations à la suite de ces événements. Tous sont Palestiniens.

Par la suite, moins d’une dizaine de juifs ont été interpellés, accusés d’avoir participé au lynchage d’un automobiliste arabe, sous l’œil des caméras de télévision du pays, la retransmission de l’acte sur les chaînes d’information l’empêchant de demeurer impuni.

Une semaine plus tard, les autorités israéliennes ont annoncé des centaines d’arrestations parmi la minorité palestinienne. Tandis que les militants kahanistes et autres extrémistes n’ont pas été inquiétés après leurs ratonnades à Jérusalem ou dans plusieurs villes mixtes, l’opération « loi et ordre » doit rappeler aux Palestiniens d’Israël leur statut de sous-citoyen.

Les Palestiniens d’Israël seuls face aux violences des groupes d’extrême droite soutenues par l’État
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Au lendemain des élections de mars 2021, pour lequel l’électorat palestinien d’Israël a été courtisé par l’ensemble du champ politique –extrême droite comprise –, nombre de commentateurs plus ou moins sympathisants de l’État d’Israël notaient une claire volonté, parmi cette communauté, de se mobiliser autour de ses problématiques au détriment des enjeux liés à la Cisjordanie et à la bande de Gaza.

La scission de l’islamiste Mansour Abbas de la Liste unifiée, dirigée par le communiste arabe Ayman Odeh, au profit de sa propre formation, devait être le point d’orgue de cette démonstration.

En menant campagne essentiellement sur des enjeux propres aux « Arabes israéliens » et en refusant lors de ses meetings de s’affirmer comme « Palestinien », Mansour Abbas aurait bénéficié d’un soutien inattendu d’une part considérable de la classe moyenne arabe.

Une discrimination systémique

Après la « palestinisation » des années 1980 et 1990, la minorité arabe d’Israël serait en voie d’« israélisation ». La presse israélienne relaie ces chiffres éloquents : en douze ans, le nombre d’Arabes dans les universités du pays a doublé, avec + 104 % entre 2012 et 2018.

Entre 2007 et 2016, le nombre d’Arabes disposant d’un revenu équivalent ou supérieur au salaire médian national est passé de 15,9 % à 22,6 %.

Cela ne doit pas faire oublier que la population arabe d’Israël compte près de trois fois plus d’habitants sous le seuil de pauvreté que les juifs israéliens.

Surtout, ces chiffres tendent à cacher la discrimination systémique subie par cette population. Selon Adalah, ONG de défense des droits des Palestiniens d’Israël, 65 lois participent à ce racisme institutionnel.

Israël donne tout son sens à l’expression martelée par les ONG du pays : « Israël est une démocratie pour les juifs, et un État juif pour les Arabes »

En d’autres termes, l’augmentation des budgets alloués aux communes arabes ou le renforcement de la sécurité dans ces municipalités, où les taux de criminalité sont les premières inquiétudes de leurs habitants, peuvent améliorer la qualité de vie mais ne donnent en rien accès à une égalité pleine et entière.

Pire, la « coexistence judéo-arabe » dans les villes mixtes ne peut effacer ni « le processus de « judaïsation », en cours depuis 1948, imposée par la force aux populations palestiniennes, ni le racisme quotidien.

Israël continue de distinguer la citoyenneté de l’appartenance nationale : vos droits en tant que citoyen dépendent du groupe national auquel vous êtes rattaché. Privilèges et accès à l’ensemble des emplois et du pouvoir décisionnel pour les juifs ; discrimination et relégation pour les Arabes.

En organisant des arrestations ciblées parmi les extrémistes juifs, contre des inculpations arbitraires et massives parmi la population arabe, Israël donne tout son sens à l’expression martelée par les ONG du pays : « Israël est une démocratie pour les juifs, et un État juif pour les Arabes ».

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Thomas Vescovi est enseignant et chercheur indépendant en histoire contemporaine. Il est l’auteur de La Mémoire de la Nakba en Israël (L’Harmattan, 2015) et L’Échec d’une utopie, une histoire des gauches en Israël (La Découverte, 2021)
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