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La Corée du Nord a montré comment jouer au poker nucléaire avec Trump – l’Iran pourrait bien suivre

L’Iran s’est évertué à adhérer à l’accord sur le nucléaire. Mais Téhéran se demande maintenant si ce n’était pas une erreur

Les négociations qui ont abouti à l’accord nucléaire iranien ont été minutieusement détaillées. Presque toutes les éventualités ont été identifiées et planifiées – sauf une : que le peuple américain se donnerait comme président un novice en géopolitique, déterminé à effacer l’héritage de son prédécesseur, quelles qu’en soient les implications pour la sécurité nationale américaine.

Aujourd’hui, face à cette éventualité imprévue, un des fondements de la stratégie iranienne – regagner la confiance de la communauté internationale en adhérant pleinement à l’accord – risque de devenir un fardeau.

Préparation d’un plan B

Tout au long des négociations sur le nucléaire, les deux parties ont dû constamment concilier deux intérêts opposés : d’un côté, le désir de progresser pour parvenir à un accord final – et donc à la fois éviter les fuites et faire le moins de vagues possible – de l’autre, la nécessité de préparer un plan B afin de rejeter sur l’autre camp la responsabilité de l’échec éventuel des pourparlers.

Plus les deux camps s’efforçaient de se rejeter la responsabilité des échecs, par le biais de fuites stratégiques, plus ils sapaient la véritable diplomatie.

Très tôt, les Iraniens ont opté pour une stratégie qui allait minimiser la tension entre ces deux tendances, affichant un optimisme presque exagéré quant aux avantages de parvenir à un accord et jouant pleinement la carte de la raison.

Le régime iranien a décidé de strictement respecter l’accord afin de regagner la confiance de la communauté internationale et de priver ses opposants de tout prétexte pour le briser

Cette stratégie a contribué à améliorer le climat des pourparlers, ce qui, à son tour, a accru les chances de succès. Mais elle a également permis à l’Iran d'avoir une longueur d'avance au petit jeu des reproches si les pourparlers étaient venus à échouer. Bref, une situation toujours gagnante pour l’Iran. Une fois l’accord conclu, le pays a poursuivi cette même stratégie.

Le régime iranien a décidé de strictement respecter l’accord afin de regagner la confiance de la communauté internationale et de priver ses opposants de tout prétexte pour le briser, tout en s’arrangeant pour que l’Iran sorte vainqueur si l’accord venait à avorter. 

Jusqu’à ce jour, l’Iran a suivi cette stratégie avec beaucoup de discipline et d’implication : l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a publié dix rapports consécutifs certifiant la totale adhésion de l’Iran à l’accord.

Un faux récit

Pourtant, à tant s’efforcer d’adhérer à l’accord, Téhéran s’est trouvée confrontée à une situation imprévue : l’émergence d’un contexte propice à la fabrication d’un faux récit par les opposants à l’accord, pour qui l’Iran en était réduit, en fait, à conserver l’accord à tout prix.

Liesse populaire à Téhéran, le 14 juillet 2015, après la signature de l’accord nucléaire (AFP)

La situation économique catastrophique de l’Iran, combinée aux promesses économiques très ambitieuses du gouvernement d’Hassan Rohani, avait laissé Téhéran en position si vulnérable que l’Iran n’avait pas d’autre choix que de respecter l’accord, même si l’Occident ne respectait pas ses obligations. En fait, les États-Unis auraient même pu se permettre de se retirer à bon compte de l’accord, prétendaient les opposants.

Les Européens se sont bien gardés de demander à Trump de répondre de ses propres violations, craignant alors de compromettre complètement toute chance de préserver l’accord, vu l’extrême susceptibilité et l’ego surdimensionné de ce président

Ce récit – relayé par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou lors de conversations privées avec ses homologues européens et américains – a gagné du terrain, précisément parce que l’administration Trump a violé l’accord nucléaireet en toute impunité quant à d’éventuelles conséquences concrètes ou à une avalanche de réprimandes publiques de la part de Bruxelles ou de Téhéran.

Les Européens se sont bien gardés de demander à Trump de répondre de ses propres violations, craignant alors de compromettre complètement toute chance de préserver l’accord, vu l’extrême susceptibilité et l’ego surdimensionné de ce président.

Le gouvernement Rohani a d’autre part hésité à dénoncer les violations de Trump de manière trop agressive, de crainte d’apporter de l’eau au moulin de ses rivaux en Iran.

Ainsi, le désir de sauver l’accord en tentant de sortir par le haut a insufflé encore plus de crédibilité au récit selon lequel l’Iran était tout bonnement acculé et ne pourrait jamais se permettre de rompre l’accord, même si les États-Unis décidaient de s’y soustraire.

Le scénario Corée du Nord

Ce récit pose désormais un dilemme à Téhéran. D’un côté, l’Iran est soumis à des pressions politiques autant qu’à une logique stratégique qui le poussent à démontrer l’inexactitude de ce récit au moyen de réactions énergiques en cas de retrait américain. D’un autre côté, de telles mesures risquent d’aggraver la situation et précipiter une crise encore plus profonde.

Des mesures drastiques – sortie de l’accord mais aussi de l’ensemble du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires – ne relevaient jusqu’à récemment que d’improbables éventualités dans l’esprit des décisionnaires en politique étrangère iranienne, rappelle un haut responsable iranien. Ce sont maintenant des scénarios concrets, sérieusement discutés.

Les Iraniens ont suivi avec la plus grande attention l’évolution de la situation avec la Corée du Nord, qui avait pour sa part choisi une autre voie. Pyongyang ne s’est jamais livré au petit jeu des reproches et n’a que faire de la confiance de la communauté internationale à son égard – pas plus que de son absence. Il a plutôt choisi d’intensifier son programme nucléaire jusqu’à contraindre les États-Unis à s’asseoir à la table des négociations.

À LIRE ► Trump et Téhéran : nous ne sommes pas en 2003 et l’Iran n’est pas l’Irak

La Corée du Nord a testé des bombes et des missiles balistiques capables de frapper le continent américain. L’Iran, en revanche, s’est rendu à la table des négociations dès qu’il s’est seulement retrouvé en possession d’uranium enrichi à 20 %. Il n’avait alors toujours pas d’armes nucléaires ni de missiles capables de les transporter.

Aujourd’hui, la Corée du Nord semble prête à conclure un accord avec Trump et obtenir la reconnaissance qu’elle cherche depuis si longtemps. L’Iran vient de voir s’effondrer son accord sur le nucléaire, parce que les États-Unis ont été induits à suspecter que le régime est à court d’options.

L’Iran a donc changé de point de vue. Un nombre croissant de responsables en ont conclu que renforcer la confiance de la communauté internationale et respecter ses obligations constituaient clairement le seul choix logique pour l’Iran. Or, cette option risque de ne plus s’avérer si rationnelle à l’avenir.

Les initiatives de Trump dessinent un scénario selon lequel l’Iran a tout intérêt à se rebiffer contre les États-Unis, à la fois pour dissiper les perceptions erronées quant à une situation iranienne supposée désespérée, et pour garantir au maximum sa sécurité, face à un président américain qui offre une prime à la belligérance et pénalise coopération et compromis.

Nous sommes en 2018, et les rapports entre Iran et États-Unis n’auraient jamais dû en arriver là.

Ce texte a été écrit avant l'annonce, mardi soir, du retrait de l'accord par Donald Trump.

- Trita Parsi est le président du Conseil national irano-américain et l’auteur de l’ouvrage à paraître Losing an Enemy - Obama, Iran and the Triumph of Diplomacy (La perte d’un ennemi – Obama, l’Iran et le triomphe de la diplomatie) (Yale University Press, 2017).

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Abbas Araghchi (à droite), adjoint politique au ministère iranien des Affaires étrangères et Helga Schmid, secrétaire générale du Service d'action extérieure de l'Union européenne (SEAE), assistent aux entretiens entre Iran et E3/EU+3, au Palais Coburg à Vienne (AFP). 

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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