L’ayatollah Khamenei pourrait faire face à la décision la plus difficile de sa carrière
Après la conclusion, en juillet dernier, de l’accord historique sur le nucléaire (JCPOA) entre l’Iran et les six grandes puissances mondiales, le Guide suprême de la République islamique d’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, a déclaré au président iranien Hassan Rouhani que l’accord serait résilié en cas de sanctions imposée à l’Iran dans le futur. Toute sanction par « les pays partenaires de la négociation », sous quelque prétexte que ce soit, y compris « la réitération de fausses allégations concernant le soutien au terrorisme ou les droits de l’homme » annulerait l’accord, a écrit le dirigeant iranien dans une lettre adressée à Hassan Rouhani.
Cette consigne pouvait se comprendre. L’Iran ne peut conserver que l’ombre de son programme nucléaire, puisque l’accord sur le nucléaire exige qu’il démantèle plusieurs milliers de ses centrifugeuses. De plus, l’accord impose à l’Iran de se débarrasser de son stock d’uranium enrichi (il s'est déjà défait de plus de 11 000 kilos). Ce faisant, l’Iran n’aura pas le droit de remplacer son stock, étant donné que les termes du JCPOA ne lui permettent pas de détenir plus de 300 kilos.
En outre, l’Iran doit sérieusement restreindre son programme de recherche et de développement dans le domaine nucléaire. L’Iran a accepté toutes ces restrictions en échange du retrait des sanctions qui ont exercé d’importantes pressions sur l’économie iranienne. En conséquence, si l’Iran tolérait de nouvelles sanctions sous d’autres formes, son adhésion au JCPOA n’aurait plus de raison d’être.
On risque d’être surpris en envisageant le même problème du point de vue des États-Unis – particulièrement en réalisant que du fait de l’accord sur le nucléaire, les Américains ont les mains liées face à un pays qui se présente clairement comme un ennemi des États-Unis. À défaut de guerre, les sanctions sont l’arme la plus fatale dont les Américains disposent pour affronter des gouvernements hostiles et faire avancer leur politique étrangère.
Dans le cas où les États-Unis seraient privés de cette arme dans leurs tractations avec l’Iran, ils pourraient être, pendant des années, à la merci des partisans iraniens d’une ligne dure. Il est possible qu’au moment où les Américains ont signé l’accord sur le nucléaire, les négociateurs n’avaient pas pris cette conséquence au sérieux. Il reste que de nouveaux développements ont fait resurgir cette possibilité.
En octobre dernier, l’Iran a testé avec succès l’Emad, un nouveau missile téléguidé à longue portée. Le missile sol-sol Emad est le premier missile téléguidé à longue portée capable d’atteindre Israël, le principal ennemi de l’Iran. Suite à cette initiative, le Conseil de sécurité de l’ONU a décrété que l’Iran avait violé la résolution 1929 du Conseil de sécurité, parce que le missile avait la capacité de transporter une arme nucléaire. Il faut noter que ce problème n’avait aucun rapport avec le JCPOA.
Le test entraîna une protestation des Américains. Puis un reportage récent du Wall Street Journal révéla que l’administration américaine préparait une nouvelle série de sanctions envers un certain nombre d’entreprises iraniennes et de particuliers collaborant au programme iranien de développement de missiles. Cependant, l’application des sanctions fut ajournée et l’administration Obama aurait déclaré avoir besoin de temps pour élaborer de nouvelles sanctions contre l’Iran à cause de son programme balistique.
Tel est peut-être le cas parce que l’administration a été informée par les Iraniens que l’accord sur le nucléaire tomberait à l’eau si de nouvelles sanctions étaient introduites. Il se peut également que Washington cherche à gagner du temps en attendant par exemple que l’Iran démantèle son système nucléaire, de façon irréversible pour ce qui est du réacteur d’Arak.
Selon le JCPOA, l’Iran doit enlever le cœur du réacteur à eau lourde d’Arak, le remplir de ciment, le redessiner et reconstruire une nouvelle version du réacteur avec la collaboration des puissances mondiales. Il est possible que les Américains pensent que si le réacteur est détruit, l’Iran se retrouvera à la merci de l’Occident pour en reconstruire un neuf.
Différentes hypothèses peuvent expliquer pourquoi l’Iran a pris l’initiative de tester le missile Emad.
Certains experts soutiennent que le test d’Emad est une démonstration des combats internes entre différentes factions en Iran. Autrement dit, les partisans d’une ligne dure visaient à provoquer une confrontation avec les États-Unis, et à perturber ainsi le processus de mise en œuvre du JCPOA. Cette situation pourrait ternir le succès obtenu par les modérés en parvenant à mettre un terme à la crise nucléaire iranienne, et donc affecter leur popularité.
On a l’impression que les partisans d’une ligne dure ont encouragé le test par peur d’un succès des modérés lors des prochaines élections de l’Assemblée des experts, qui pourraient entraîner le choix du prochain chef de l'État iranien, et qui auront lieu en février en même temps que les élections parlementaires.
Un autre groupe d’observateurs affirme qu’il existe un consensus entre toutes les factions politiques iraniennes sur le fait que le programme de missiles iranien ne doit pas être interrompu et qu’il devrait être développé le plus intensivement possible. Toutes les factions considèrent que de par son importance et sa variété, l’arsenal de missiles balistiques du pays constitue l’élément clé de sa stratégie de dissuasion. Au moment du lancement du missile Emad, Téhéran avait publié une vidéo et des photos de bases de missiles souterraines. D’après l'agence FARS News, l’installation présentée se trouvait à 500 mètres de profondeur environ, sous une montagne, bien que sa situation exacte ait été tenue secrète.
De toute façon, même si cette nouvelle série de sanctions ne voit jamais le jour, l’Iran restera vulnérable à l’avenir à des sanctions américaines sous une forme quelconque. Cela s’explique par l’expansion de son programme de missiles, sa position et sa politique hostiles envers les États-Unis et Israël, et la position hostile du Congrès américain envers l’establishment iranien. À un moment donné, les États-Unis pourront alors décider soit unilatéralement, soit en s’alliant aux Européens, de confronter certaines actions ou certaines politiques de l’Iran. Pour franchir ce pas, le seul outil efficace des Américains serait d’imposer des sanctions.
Dans cette éventualité, l’ayatollah Khamenei se retrouverait devant le choix le plus complexe de sa carrière politique. Cela lui coûterait très cher – et compromettrait de façon non-négligeable son prestige parmi ses partisans – s’il décidait d’ignorer l’imposition de nouvelles sanctions par les Américains, comme symbole de résistance face à l’« arrogance mondiale ».
Mais outre les risques politiques, ignorer les nouvelles sanctions américaines ne serait pas une décision facile à prendre pour le dirigeant iranien. Les conservateurs, qui attendent avidement l’occasion de discréditer à la fois l’accord sur le nucléaire et les modérés qui l’ont favorisé, orchestreraient une campagne de propagande assourdissante si les États-Unis adoptaient de nouvelles sanctions contre l’Iran. Ils souligneraient la naïveté des modérés et leur manque de vision – ou basirat, comme ils s’y réfèrent souvent – pour ce qui est de comprendre la nature du « Grand Satan ». Ils feraient sûrement référence à la lettre de Khamenei au président modéré Hassan Rouhani, lui demandant directement, mais aussi en s’impliquant indirectement lui-même, de résilier l’accord sur le nucléaire à cause des nouvelles sanctions.
Le chef de l’État iranien serait dans une situation très délicate. D’une part, il lui serait difficile de revenir en arrière sur ses propres instructions. D’autre part, proclamer la révocation de l’accord aurait comme résultat de voir les sanctions reprendre effet automatiquement, selon les termes du JCPOA. Avec le cours du pétrole en chute libre, un taux de chômage toujours élevé et la récession, le retour des sanctions pourrait pousser l’économie iranienne au fond du gouffre.
La seule question que les partisans d’une ligne dure pourraient alors poser serait alors : « Qu’avons-nous gagné en faisant un compromis avec l’Occident sous l’égide des États-Unis, et qui sera tenu responsable de nos pertes, y compris de la disparition du stock d’uranium enrichi et de la destruction du réacteur d’Arak ? » Cela préparera le terrain pour un retour des partisans de la ligne dure qui reprendront en charge le pouvoir exécutif, le seul bastion des modérés.
Shahir Shahidsaless est un analyste politique et journaliste freelance qui écrit principalement sur la politique nationale et étrangère de l’Iran. Il est également le coauteur de l’ouvrage Iran and the United States: An Insider’s View on the Failed Past and the Road to Peace, publié en mai 2014.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo: Un camion militaire transportant un missile Qader à moyenne portée passe devant un portrait du Guide suprême de la République islamique d’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, au cours d’un défilé militaire à Téhéran le 22 septembre 2015 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Maït Foulkes.
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