Le statut de la Palestine sur Google Maps : symptôme d’un terrain miné au Moyen-Orient
Il est urgent d’actualiser notre manière de procéder pour cartographier le monde, comme le prouve la polémique qui s’est déclenchée autour de l’absence de représentation de la Palestine sur les cartes de Google
Google a déclenché un tollé la semaine dernière, lorsque des communiqués ont affirmé que la firme avait supprimé la Palestine de ses cartes.
Mais, comme Google l’a répondu, elle n’avait pas supprimé la Palestine : de fait, elle n’avait jamais figuré sur ses cartes en tant que pays indépendant.
Cependant, un débat a été lancé afin de déterminer si Google aurait dû représenter la Palestine, qui a le statut d’État observateur mais non membre de l’ONU, sur ses cartes en tant que pays distinct, comme la firme le fait pour tous les pays membres de l’ONU.
Alors que certains des participants au débat estiment que la Palestine devrait être indiquée de façon distincte par rapport à Israël, car elle n’est pas considérée comme faisant partie du territoire d’Israël par une majorité de pays dans le monde entier, d’autres soutiennent qu’une telle initiative aurait pour effet de passer sous silence l’occupation israélienne des territoires palestiniens.
Alors que la Palestine existe effectivement - une majorité de pays l’ont reconnu par le biais d’un vote sur son statut d’État observateur, en 2012 - elle n’existe pas en tant qu’État indépendant à part entière, avec des frontières clairement délimitées. En réalité, la Palestine n’existe que dans la dizaine d’enclaves situées en Cisjordanie et qui ont été offertes aux Palestiniens suite aux Accords d’Oslo de 1993, ainsi que sur la bande de Gaza.
La majeure partie des routes de Cisjordanie, de la vallée du Jourdain et de Jérusalem-Est est entièrement contrôlée par Israël, alors que ces territoires sont considérés comme une partie de la Palestine par la communauté internationale. Indiquer ces zones comme une partie de la Palestine serait politiquement correct, mais ne représenterait pas fidèlement la situation sur le terrain.
Les faits réels
Le même argument pourrait être avancé pour la Crimée : alors qu’elle est toujours considérée comme faisant partie du territoire ukrainien par la communauté internationale, ce sont les autorités russes qui dirigent la péninsule depuis son annexion en 2014. Il serait trompeur d’indiquer la Crimée sur la carte comme une partie du territoire ukrainien alors que c’est Moscou qui tient les rênes dans cette région, et non Kiev.
Le problème est que, de nos jours, les cartes revêtent une dimension politique, mais devraient refléter la réalité.
Voilà le problème actuel de la cartographie : les cartographes devraient-ils s’impliquer dans les affaires politiques et indiquer les zones de conflit du monde entier telles qu’elles sont généralement reconnues par la communauté internationale ? Ou devraient-ils prendre leurs distances avec la politique et représenter la situation telle qu’elle est ?
Le problème est que, de nos jours, les cartes revêtent une dimension politique, mais devraient refléter la réalité. Les cartes revêtent une dimension politique dans le sens où, en affichant le territoire d’un État séparatiste, d’un groupe terroriste ou d’une organisation rebelle, elles accordent en fait une forme de reconnaissance à ces parties, en séparant le territoire de l’État qui le revendique.
Mais les cartes sont censées représenter la réalité de notre monde d’aujourd’hui et le fait de représenter des zones séparatistes telles que l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud comme une partie du territoire de la Géorgie aurait pour effet de passer sous silence la réalité du terrain. De plus, cela serait aussi nier le conflit actuel — principal argument avancé par ceux qui désapprouvaient l’idée d’indiquer la Palestine sur les cartes.
Enclaves et territoires
Prenez pour exemple la Syrie et l’Irak : ces deux régions sont indiquées sur les cartes telles qu’elles sont généralement reconnues par la communauté internationale, c’est-à-dire comme des pays distincts.
Mais, en réalité, l’Irak est à présent divisé en trois territoires : la région du Kurdistan, les terres détenues par le groupe État islamique (EI), et le reste de l’Irak. La Syrie est même encore plus compliquée. On pourrait dire que le pays a disparu pour former des dizaines de petits États et enclaves sous l’action des rebelles syriens, de l’État islamique, des Kurdes, du régime Assad, des jihadistes affiliés à Al-Qaïda et du Hezbollah, chacun contrôlant plusieurs parties d’un territoire qui formait autrefois un seul pays.
Comme le baladeur et le bipeur, les anciennes cartes qui étaient autrefois exposées dans les salles de classe sont dépassées.
Représenter l’EI sur la carte comme un État indépendant serait très controversé, car, d’une certaine manière, cela aurait pour effet de légitimer sa domination des zones qu’il occupe et de lui reconnaître le statut d’État. Mais le fait est que ce groupe contrôle effectivement des villes comme Raqqa et Mossoul, et ce depuis plus de deux ans maintenant.
Ceci est aussi valable pour les Kurdes, qui rêvent de voir le nom de « Kurdistan » s’afficher sur les cartes depuis des décennies. La région kurde irakienne, ayant pour capitale la ville d’Erbil, fonctionne comme une nation indépendante à bien des égards, mais aucune carte du monde ne la représente en tant que telle. Une telle initiative ferait le bonheur de beaucoup de Kurdes, mais énerverait Bagdad à coup sûr.
Et puis, il y a aussi le Sahara occidental. Sur la scène internationale, il est considéré comme une nation indépendante, mais même certaines cartes indécises au sujet de ce qui doit être représenté.
Certaines choisissent de le représenter comme une nation indépendante, mais d’autres le représentent comme une partie du Maroc, qui occupe la majeure partie de son territoire depuis des années. Presque aucune carte ne le représente comme les deux États séparés qu’il constitue dans la réalité : la bande littorale sous occupation marocaine et la zone du désert Arabique dominée par la « République arabe sahraouie démocratique ».
Comme le baladeur et le bipeur, les anciennes cartes qui étaient autrefois exposées dans les salles de classe sont dépassées. Ces cartes refléteraient toujours la réalité aux États-Unis ou au Royaume-Uni, mais ce ne serait certainement plus le cas pour la plupart des régions du monde.
Une carte du Moyen-Orient représentant tous les pays, organisés tel qu’ils sont reconnus par la communauté internationale, serait inexacte et inutile pour ceux qui cherchent à comprendre ce qui se passe sur le terrain.
Le monde est en pleine mutation et les cartes qui le représentent devraient s’y adapter. Depuis l’effondrement de l’URSS, le monde a beaucoup changé, mais les cartes n’ont presque pas été modifiées. Les anciennes cartes, sur lesquelles chaque pays est représenté avec une couleur, une capitale et un nom, ne sont plus pertinentes.
De la même manière que nous avons révolutionné les voitures, les soins médicaux et l’ingénierie, nous devons aussi modifier les cartes qui représentent ce monde admirable dans lequel nous vivons, ainsi que toutes ses imperfections.
- Thomas van Linge, installé à Amsterdam, est étudiant en science politique et militant. Il est principalement connu pour ses cartes des territoires en guerre du Moyen-Orient. Vous pouvez le suivre sur Twitter @arabthomness.
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Traduit de l'anglais (original).
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