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Les seigneurs de la terre : pourquoi la victoire d’Israël ne durera pas

Israël a un choix stratégique à faire : soit rester un État sécuritaire, soit composer avec le peuple qu’il a chassé et qu’il domine
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (AFP)

Si Benyamin Netanyahou a besoin de trouver du repos et de récupérer du dur labeur que représente son mandat de Premier ministre, le plus long de l’histoire d’Israël, s’il est une cabane dans laquelle il peut se mettre à l’abri des cinq enquêtes de police qui planent sur lui, ce lieu de réconfort relatif doit sûrement être « la fosse ».

Tel est le nom donné au bunker situé quelques étages en dessous de la base de Kirya, à Tel Aviv, qui sert de centre névralgique des opérations de l’armée israélienne. C’est ici que descendent régulièrement les Premiers ministres, les ministres de la Défense ainsi que les chefs du Mossad et du Shin Bet lorsqu’une opération militaire se prépare.

Et c’est d’ici que Netanyahou peut observer l’œuvre de sa vie : le contrôle absolu et incontesté d’Israël sur tout ce qu’il observe.

Les seigneurs de la terre

L’Armée de l’air israélienne peut orchestrer des attaques répétées contre des cibles iraniennes en Syrie sans que la population israélienne ne doive se précipiter vers des abris anti-aériens. Ses capacités d’identification visuelle sont telles que l’armée israélienne peut identifier des Palestiniens non armés qui s’approchent de la barrière de Gaza et les abattre et les mutiler à sa guise.  

Les manifestants sont délibérément pris pour cibles avec des balles qui déchirent les membres inférieurs et nécessitent un traitement chirurgical pour le restant de leurs jours – un traitement qu’ils ne peuvent obtenir. Voilà ce que signifie le fait d’être les seigneurs de la terre en 2019, pour reprendre la formulation mémorable de l’historien israélien Avi Shlaim.

L’armée israélienne est classée au huitième rang mondial. Israël peut se retirer des traités internationaux et des organisations qui ne lui conviennent pas et intimider les élites politiques de Washington, Londres, Paris et Berlin pour que ses actes restent impunis. Les activistes palestiniens se retrouvent catalogués comme des terroristes par des bases de données, comme World-Check, et voient leurs comptes être fermés par le système bancaire.

La réputation de personnalités politiques telles que le chef pro-palestinien du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, peut facilement être salie. Celles qui n’ont aucune connaissance de la région ni aucun intérêt pour celle-ci vivent dans la peur d’être taxés d’antisémitisme. 

Israël peut se retirer des traités internationaux et des organisations qui ne lui conviennent pas et intimider les élites politiques de Washington, Londres, Paris et Berlin pour que ses actes restent impunis

Israël a usé de tactiques d’intimidation pour contraindre la communauté internationale à associer antisionisme et antisémitisme, repoussant ainsi les limites de la définition historique alors même que les attaques contre les juifs se multiplient en Europe.

Comme l’a écrit Gideon Levy dans le journal Haaretz, « il est difficile d’imaginer un pays autre que les États-Unis, la Russie ou la Chine oser agir de la sorte. Israël, si. »

Les dirigeants arabes en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, en Égypte, à Bahreïn et à Oman lui mangent dans la main. Les Émiratis sont même prêts à abandonner la feuille de vigne que constitue le transit à Amman, capitale de la Jordanie, pour acheminer les vols directs d’Israël vers un État arabe qui ne l’a pas encore officiellement reconnu.

Netanyahou rédige les politiques étrangères des alliés internationaux d’Israël et dispose de fantoches conciliants incarnés par Donald Trump et son gendre Jared Kushner. Les deux émissaires des États-Unis, à savoir leur ambassadeur David Friedman et leur conseiller à la sécurité nationale John Bolton, sont sans doute plus attachés à Israël qu’à leur propre pays.

Cela ne signifie pas qu’Israël et les États-Unis resteront sur la même longueur d’onde. L’influence cachée que Kushner exerce sur les cercles traditionnels de la politique étrangère américaine à Washington suscite un ressentiment croissant et est de plus en plus contestée. Israël est en train de perdre le soutien de la communauté juive américaine libérale car Netanyahou a transféré son allégeance à la base sioniste chrétienne de Trump. Si Kushner s’en va, Netanyahou pourrait voir Trump réfléchir au montant qu’Israël lui coûte en aide militaire.

Le juste milieu

L’occupation est plus forte que jamais alors que les Palestiniens sont plus faibles et plus divisés que jamais. Avec Mahmoud Abbas, dont le mandat a pris fin depuis longtemps, la Palestine n’a pas de chef et le Fatah est divisé en clans en guerre. Cette situation convient à Israël. Abbas est plus désireux de poursuivre le siège de Gaza que de poursuivre Israël devant la Cour pénale internationale.

Il n’est donc pas étonnant que Trump ait éprouvé si peu de difficultés pour arracher les cartes principales des mains d’Abbas à la table des négociations – Jérusalem-Est, le droit au retour et le statut des réfugiés.

Colonies israéliennes

Avec plus de 600 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, un État palestinien indépendant, contigu et autonome constitue un rêve de plus en plus lointain. C’est une autre issue dont Netanyahou peut s’enorgueillir à titre personnel. Autrefois qualifié d’extrémiste par les sionistes libéraux, Netanyahou occupe aujourd’hui le milieu du discours politique en Israël. 

La gauche israélienne a disparu et le débat oppose ceux qui défendent la séparation et ceux qui plaident en faveur de l’annexion

Il n’y a personne de plus charismatique que Netanyahou dans le spectre politique actuel. La gauche israélienne a disparu et le débat oppose ceux qui défendent la séparation et ceux qui plaident en faveur de l’annexion.

S’il est une voix qui résume le gouffre qui sépare un Israélien vivant à portée des roquettes et les Palestiniens mêmes à Gaza, ce devrait être celle de cette femme récemment interviewée par la BBC : « Ils ont un blocus, bien sûr, mais il est en place pour une raison. Des gens essaient de tirer sur ma maison. J’ai dû donner mon chien parce que je ne pouvais pas le promener. Je n’y arrivais pas. J’avais peur. Ils l’ont choisi. Ils ont eu des élections. Ils ont choisi le Hamas. »

Game over ?

Netanyahou a toutes les raisons de s’installer confortablement dans sa fosse confinée, de savourer son cornet de glace préféré à la vanille et à la pistache et de déclarer que la partie est terminée.

Il est donc intéressant de constater que c’est à ce stade de ce conflit vieux de 70 ans que des voix israéliennes se font entendre pour avertir que la victoire ne peut pas durer, que le projet de création de l’État d’Israël sur la Terre biblique, du Jourdain à la mer, se consumera et s’effritera de l’intérieur.

Benny Morris, un des principaux historiens d’Israël, a été le dernier en date à se faire l’écho de ce destin tragique.

Morris s’est décrit un jour comme un « nouvel historien » pour son travail de découverte de la vérité sur la naissance d’Israël, que ceux qui y ont pris part se sont employés à obscurcir, y laissant leur temps et leur énergie. Son livre intitulé The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947-1949 détaillait les expulsions massives, le nettoyage ethnique et les crimes de guerre impliqués. Alors qu’il était réserviste, Morris a refusé de servir dans les territoires occupés au cours de la première Intifada.

Depuis lors, Morris a rejoint les rangs des historiens qui entassent les supercheries au mépris des preuves qu’il a lui-même découvertes. Lorsqu’il a affirmé que le « rejectionnisme profond et fondamental des Palestiniens » était au cœur du conflit et que les colonies pouvaient être « affinées », il a enduit un mensonge parfaitement rodé de ce que Daniel Levy a qualifié de vernis de respectabilité intellectuelle. 

Morris est connu pour ses excuses pour les crimes commis par Israël contre les Palestiniens (Université Ben Gourion)
Morris est connu pour ses excuses pour les crimes commis par Israël contre les Palestiniens (Université Ben Gourion)

Comme Levy l’a souligné lorsqu’il a répondu à Morris en 2012, les colonies en Cisjordanie couvraient 42 % de la superficie couverte par la planification municipale et régionale. Les treize colonies situées au-delà de la ligne d’armistice internationale à Jérusalem-Est abritaient alors 187 000 juifs, soit un quart de la population de la municipalité de Jérusalem. Tous ces chiffres ont changé.

Depuis, Morris a décrit la dépossession du peuple palestinien comme un mal nécessaire. Il a soutenu que David Ben Gourion n’était pas allé assez loin faute d’avoir expulsé tous les Palestiniens de l’autre côté du Jourdain en 1948 et proposé d’emprisonner des Palestiniens dans des cages parce qu’« il y a des animaux sauvages là-bas ».

« Si seulement la guerre d’indépendance avait abouti à une séparation totale des populations – les Arabes de la Terre d’Israël à l’est du Jourdain et les juifs du bon côté du Jourdain –, le Moyen-Orient aurait été moins instable et les souffrances endurées par les deux peuples au cours des 70 dernières années auraient été bien moins importantes. Ils se seraient satisfaits d’un État – en quelque sorte [dans le royaume de Jordanie actuel] – un peu différent de ce qu’ils voulaient et nous aurions reçu toute la Terre d’Israël », a déploré Morris dans le journal Haaretz.

Dans le lexique de Benny Morris, le Moyen-Orient est synonyme de notions arriérées et sur ce point, il est tout à fait représentatif de son peuple

Morris a dernièrement déclaré qu’Israël ne durerait pas.

« Je ne vois pas comment nous pourrons sortir de cela, a-t-il soutenu. Aujourd’hui, il y a déjà plus d’Arabes que de juifs entre la mer [Méditerranée] et le Jourdain. L’ensemble du territoire devient inévitablement un État avec une majorité arabe. Israël se décrit toujours comme un État juif, mais la situation dans laquelle nous gouvernons un peuple occupé qui n’a aucun droit ne peut perdurer au XXIe siècle, dans le monde moderne. Et dès l’instant où ils auront des droits, l’État ne sera plus juif. »

Benny Morris pense que les Arabes sont naturellement violents, hostiles et déterminés à détruire Israël, bien qu’il prétende toujours qu’un État palestinien séparé est souhaitable, mais que le moment n’est pas opportun. Dans le lexique de Morris, le Moyen-Orient est synonyme de notions arriérées et sur ce point, il est tout à fait représentatif de son peuple.

Ces deux Palestiniens sont devenus des réfugiés lorsqu’ils ont été expulsés de chez eux en 1948 (Wikimedia)
Ces deux Palestiniens sont devenus des réfugiés lorsqu’ils ont été expulsés de chez eux en 1948 (Wikimedia)

Morris s’est également exprimé sur la réalité actuelle à un seul État : « Cet endroit est voué à se dégrader et à devenir un État du Moyen-Orient avec une majorité arabe. La violence entre les différentes populations au sein de l’État continuera de croître. Les Arabes exigeront le retour des réfugiés. Les juifs formeront une petite minorité dans une grande mer arabe de Palestiniens – une minorité persécutée ou massacrée, comme c’était le cas lorsqu’ils vivaient dans les pays arabes. Les juifs qui en auront les moyens fuiront vers les États-Unis et l’Occident. »

La dernière intervention de Morris a déclenché un débat animé dans les colonnes de Haaretz, journal israélien à tendance libérale. Gideon Levy, un autre chroniqueur du journal qui écrit également pour Middle East Eye, lui a lancé : « Selon Morris et consorts, les Arabes sont nés pour tuer. Chaque Palestinien se lève le matin et se demande : “Alors, quel juif massacrerai-je aujourd’hui et quel juif irai-je jeter en mer ?” C’est comme un passe-temps. Et dans ce cas, il n’y a rien à dire et personne à qui parler.

« Cette école de pensée mensongère libère le sionisme de toute culpabilité et Israël de toute responsabilité. En tout état de cause, tout ce que fait Israël fera face à un massacre ; ce n’est qu’une question de temps.

« Pourtant, ce même historien qui a décrit comment tout a commencé, qui a compris que le commencement était entaché d’un terrible péché originel – la dépossession et l’expulsion de centaines de milliers de personnes, empêchées ensuite par la force de retourner chez elles, comme il l’a expliqué en détail dans son livre suivant –, n’est pas disposé à relier la cause à l’effet », a écrit Levy.

Pas d’État palestinien

Une lueur d’espoir traverse pourtant ces nuages noirs. En débarrassant Israël de son objectif moral, en affirmant sans détour que le projet de maintien d’un État à majorité juive l’emporte sur toutes les autres considérations, notamment sur les droits de l’homme des Palestiniens qui y vivent, le débat est revenu à l’an 1948.

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C’est du moins plus honnête que tous les mots qui ont été écrits pendant des décennies à propos du « processus de paix », que toutes les diversions selon lesquelles Israël souhaitait un règlement mais n’avait personne à qui parler et les Palestiniens rejetaient toutes les offres qui leur étaient faites.

Quelqu’un qui a passé sa carrière à élaborer une solution à deux États fonctionnelle et un plan visant à partager Jérusalem sous la forme d’un centre religieux international m’a directement fait part de la duplicité inhérente aux promesses faites dans les accords d’Oslo. Adnan Abu Odeh, ministre de l’Information et conseiller pour la Palestine du roi Hussein de Jordanie, m’a rappelé des faits datant de mars 1991, avant la conférence de Madrid et deux ans avant les accords d’Oslo.

Le roi avait eu vent d’une pression des États-Unis en faveur de la paix en Palestine et voulait savoir ce qui se passait. Odeh a été envoyé à Washington pour découvrir ce que les Américains avaient en tête. Pour se défaire de la presse, Odeh a accompagné un membre de la Cour royale jordanienne à une rencontre du Conseil des affaires étrangères à San Francisco, avant de reprendre un avion pour Washington sans être remarqué.

« Il n’y aura pas d’État palestinien. Il y aura une entité, moins qu’un État, plus que l’autonomie »

- James Baker, secrétaire d’État américain en mars 1991

C’est ainsi qu’Odeh s’est retrouvé assis dans le bureau de James Baker, qui était à l’époque le secrétaire d’État américain. Odeh a remarqué une horloge sur le mur, qui était reliée à une autre dans la salle de sa secrétaire. Elle retentissait toutes les quinze minutes. À ce signal, le secrétaire entrait et escortait l’invité vers la sortie.

Baker parlait avec aisance de projets pour la conférence internationale qui se profilait. Au bout de quinze minutes, l’horloge a retenti et la séance était terminée. « Est-ce que j’ai été clair ? », a demandé Baker en se levant de son siège. « Non », a répondu Odeh. Baker a soupiré et s’est rassis. Il a hoché la tête et le secrétaire a disparu. Au bout de ces quinze minutes supplémentaires, l’horloge a retenti et l’assistant est revenu. Odeh a refusé de bouger : « Pourquoi allons-nous à cette conférence ? », a-t-il demandé.

Baker a demandé à son secrétaire de repartir.

« Écoutez, M. Odeh, je vais vous dire une chose en tant que secrétaire d’État. Il n’y aura pas d’État palestinien. Il y aura une entité, moins qu’un État, plus que l’autonomie. Maintenant, c’est bon ? C’est la meilleure issue que nous puissions obtenir avec les Israéliens », a déclaré le secrétaire d’État américain.

La solution à deux États, une fiction commode

Le Palestinien a obtenu la réponse pour laquelle il était venu. Il avait déjà entendu la même chose des Soviétiques dix ans plus tôt alors qu’ils étaient les principaux soutiens des Palestiniens. Ievgueni Primakov, arabiste en chef soviétique, lui avait dit en 1981 : « Adnan, oubliez cela. Il n’y aura pas d’État palestinien. »

Depuis lors, le concept de « solution à deux États » constitue une fiction commode pour les sionistes libéraux. Pour d’autres historiens israéliens, comme Ilan Pappé, il n’y a jamais réellement eu d’intention israélienne de créer un État palestinien à Oslo.

Le sionisme libéral, que Pappé définit comme un mouvement colonialiste classique, a toujours eu un problème face à l’équation géographie-démographie : « Comment puis-je avoir la plus grande part possible de Palestine avec le moins de Palestiniens possible et sans nuire à ma réputation de seule démocratie au Moyen-Orient ? », s’est interrogé Pappé en se mettant dans la peau d’un sioniste.

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Oslo a contribué à cette entreprise en apportant un écran. « Le plus grand produit d’Oslo a été la formule suivante : “Obtenons la paix et si la paix fonctionne, Israël cessera d’arrêter des personnes sans les juger et de démolir des maisons et mettra fin aux assassinats et aux expulsions” », a expliqué Pappé.

« Même les Palestiniens qui soutenaient une solution à deux États ont répliqué : “Non, c’est dans l’autre sens que ça marche. Vous arrêtez l’occupation, vous évacuez vos soldats et ce n’est qu’alors que nous pourrons avoir une chance de dialoguer sur un pied d’égalité.” »

Au moins, le brouillard qui recouvrait ce qui se tramait réellement a été dissipé et tout était clair pour tout le monde.

Un choix clair

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que cette partie du Moyen-Orient est colonisée par les Européens. Ce n’est pas non plus la première fois qu’un projet de colonisation tire sa légitimité de textes bibliques. Et ce n’est pas non plus la première fois que ce projet est spécialement conçu pour désislamiser Jérusalem.

Les Croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf est un récit à la résonance étonnamment moderne. Les villes sont tombées les unes après les autres aux mains des armées franques alors que leurs commandants se dressaient les uns contre les autres. Comme les États du Golfe aujourd’hui.

L’histoire est emplie d’ironie. Le chef de la résistance arabe aux envahisseurs francs était tout sauf arabe. Salah ad-Din (Saladin), le héros, était kurde. Zengi, Nour ad-Din, Qutuz, Baybars et Qala’un étaient des Turcs. Certains commandants avaient besoin d’interprètes pour se comprendre.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que cette partie du Moyen-Orient est colonisée par les Européens. Ce n’est pas non plus la première fois qu’un projet de colonisation tire sa légitimité de textes bibliques

Les résistants se considéraient comme plus civilisés que leurs assaillants. Ils étaient certainement plus avancés en matière d’hygiène et de médecine et ils étaient sans doute moins barbares que les Francs qui ont saccagé la ville de Ma’arra en 1098, comme l’a rapporté le chroniqueur Raoul de Caen : « Les nôtres faisaient bouillir les païens adultes vivants dans les marmites et fixaient les enfants sur des broches pour les dévorer grillés. »

Salah ad-Din a souvent été invoqué comme un modèle par les dirigeants arabes modernes. Nasser adorait cette comparaison. Deux des trois divisions de l’Armée de libération de la Palestine ont été nommées en hommage à des batailles décisives contre les Francs, Hattin et Aïn Djalout.

Malheureusement, c’est ici que la comparaison s’arrête. La reconquête de Salah ad-Din a commencé par l’union des forces contre l’envahisseur européen. Il est parvenu à créer un État arabe fort, mettant fin à la fragmentation des cités-États. Néanmoins, ce n’est que 98 ans après la mort de Salah ad-Din que les deux siècles de présence franque en Orient ont pris fin. Mais elle a bien pris fin.

Les croisades ont échoué car il s’agissait d’un projet de remplacement plutôt que d’intégration avec les peuples de la région. Les croisés ont mis en place des institutions durables. La gouvernance est passée d’une génération à l’autre sans guerres civiles sanglantes. Ils ont su utiliser les alliances avec les émirs musulmans dans leurs combats avec les autres princes. Mais ils n’ont pas pu s’intégrer à la région.

Un château croisé géant

Aujourd’hui, Israël s’entoure de murs. C’est un château croisé géant qui noue ses alliances avec les émirs d’autres cités-États arabes. La rue arabe, lorsqu’on lui laisse une demi-chance de s’exprimer, exprime une hostilité immortelle.

Les ambassades ont été prises d’assaut en Égypte et en Jordanie. C’est à cela qu’Israël devrait réfléchir après des décennies de conflit. Israël est incapable de partager Jérusalem en tant que centre religieux international.

La population chrétienne de Jérusalem est en train de disparaître. Quel plus grand cri de ralliement pourrait être lancé au monde arabe ? Compter sur le statu quo afin de diviser pour mieux régner, comme le font les Premiers ministres israéliens successifs, dépendre de la désunion arabe, ne parler qu’aux dictateurs dont la légitimité est très mince et qui craignent et répriment l’opinion publique, traiter leur existence comme une réalité permanente dans un monde qui connaît des transformations profondes (tout en déplorant bien sûr le fait de vivre au sein d’un « voisinage difficile »), voilà un vrai pari.

« À la veille de la nouvelle année, Israël ne fait pas face à des défis qui mettent en péril son statut de belligérant surpuissant. Il semble qu’Israël soit probablement en mesure de continuer de faire ce qu’il fait – dans les territoires occupés, au Moyen-Orient et dans le monde entier. Seule l’histoire elle-même insiste pour nous rappeler de temps en temps que de telles démonstrations d’ivresse de pouvoir débridée se terminent généralement mal. Très mal », a écrit Levy.

Il existe un moyen de sortir de ce conflit qui s’enflamme et se perpétue de lui-même et, dans ce cas, un choix stratégique clair doit être fait.

Israël peut continuer de s’enfoncer dans son gouffre. Il peut demeurer un coup de force, un État sécuritaire dont la seule sécurité repose sur une répression et un confinement de plus en plus profonds. Il est considéré comme normal que 40 % de la population masculine palestinienne passe par les prisons israéliennes.

Autrement, Israël peut faire ce qu’il n’a jamais encore essayé. Il peut composer avec le peuple et la culture qu’il a chassés et qu’il domine. Il peut traiter ces gens comme des égaux, comme des personnes ayant les mêmes droits sur leurs biens, leurs terres et leurs villages que ceux qu’il a octroyés à son propre peuple. Il peut oser prononcer leur nom et reconnaître leur identité. Il peut les traiter comme un peuple avec une histoire et une mémoire.

L’unique chemin

Employer les arguments de Morris, à savoir qu’au moment où Israël « rendra » aux Palestiniens leurs droits, Israël cessera d’être un État juif, revient à révéler la véritable nature de l’entreprise.  

Et non, il n’y aurait aucune garantie de sécurité pour une minorité juive dans un État à majorité musulmane et chrétienne, hormis la garantie apportée par la paix

Certes, pour que cela se produise, les descendants israéliens de juifs d’Europe, de Russie et d’États arabes devraient fermer la porte à leur histoire collective qui leur hurle qu’ils ne peuvent jouir de la sécurité et de l’autodétermination que dans un État majoritairement juif.

Mais il en irait de même pour les Palestiniens qui devraient enterrer leur histoire, une histoire faite de nettoyage ethnique, de dépossession et d’emprisonnement, un feu qui brûle avec autant d’ardeur. Cette mémoire est indélébile et il n’y a rien qu’Israël puisse faire pour l’effacer. Aucun Palestinien n’a besoin de se voir enseigner son histoire. Aucun écolier palestinien n’a besoin d’apprendre à haïr. Ils la connaissent, ils la respirent, ils vivent la dépossession chaque jour de leur vie.

Et non, il n’y aurait aucune garantie de sécurité pour une minorité juive dans un État à majorité musulmane et chrétienne, hormis la garantie apportée par la paix, hormis la garantie qui découle d’une sécurité partagée, d’une justice partagée et d’un gouvernement partagé.

C’est le chemin que l’Afrique du Sud et le nord de l’Irlande ont emprunté. C’est désormais l’unique chemin vers la paix et la légitimité et c’est la seule stratégie qui perdurera. Les conflits peuvent prendre fin et ont bien une fin.

- David Hearst est rédacteur en chef de Middle East Eye. Il a été éditorialiste en chef de la rubrique Étranger du journal The Guardian. Au cours de ses 29 ans de carrière, il a couvert l’attentat à la bombe de Brighton, la grève des mineurs, la réaction loyaliste à la suite de l’accord anglo-irlandais en Irlande du Nord, les premiers conflits survenus lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie en Slovénie et en Croatie, la fin de l’Union soviétique, la Tchétchénie et les guerres qui ont émaillé son actualité. Il a suivi le déclin moral et physique de Boris Eltsine et les conditions qui ont permis l’ascension de Poutine. Après l’Irlande, il a été nommé correspondant européen pour la rubrique Europe de The Guardian, avant de rejoindre le bureau de Moscou en 1992 et d’en prendre la direction en 1994. Il a quitté la Russie en 1997 pour rejoindre le bureau Étranger, avant de devenir rédacteur en chef de la rubrique Europe puis rédacteur en chef adjoint de la rubrique Étranger. Avant de rejoindre The Guardian, il était correspondant pour l’éducation au sein du journal The Scotsman.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

David Hearst is co-founder and editor-in-chief of Middle East Eye. He is a commentator and speaker on the region and analyst on Saudi Arabia. He was the Guardian's foreign leader writer, and was correspondent in Russia, Europe, and Belfast. He joined the Guardian from The Scotsman, where he was education correspondent.
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