Mahmoud Abbas doit dissoudre l’Autorité palestinienne
Il est quasiment certain que l’affirmation selon laquelle des considérations d’ordre national sous-tendent la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël est exacte. Une décision d’une telle ampleur n’aurait pas été prise sans que son impact sur la base électorale du président ne soit pris en considération, en particulier dans la « Bible Belt ».
La décision sur Jérusalem n’est pas sortie de nulle part
Cette décision a également été motivée par le besoin pressant de rallier le Parti républicain, qui fait face à une série de défis et de crises politiques, derrière le président.
Un climat de conflit
Il serait pourtant faux de supposer que Trump est tout simplement idiot et dépourvu des connaissances nécessaires pour mener à bien la politique étrangère du pays. Bien que le style de Trump puisse sembler quelque peu étrange et imprévisible, il n’est pas aussi stupide que ce qu’imaginent certains observateurs de sa présidence.
Si le président était incapable d’évaluer les réactions probables du monde arabe et du monde islamique à sa décision, il en aurait certainement été informé par des responsables spécialisés au sein du département d’État, ainsi que par les membres de son entourage qui ont accumulé une expertise dans les relations étrangères et les affaires du Moyen-Orient.
La décision sur Jérusalem n’est pas sortie de nulle part. Trump et certains hauts responsables au sein de son administration ont attiré l’attention sur cette question à plusieurs reprises au fil des mois depuis qu’il a pris la tête de la Maison-Blanche.
Ce président adopte délibérément des politiques hostiles au monde arabe comme au monde islamique, même quand il rencontre l’opposition d’autres institutions de l’État américain
En d’autres termes, il est clair que l’administration a largement eu le temps d’étudier divers aspects de la question de Jérusalem. Le président américain devait savoir que sa décision n’allait pas passer sans produire de répercussions. Trump a pris sa décision dans le cadre d’une conception spécifique des relations entretenues par les États-Unis et l’Occident dans son ensemble avec les Arabes et les musulmans.
Cette conception est soutenue par une vision fondée sur le conflit et par la croyance en une menace imaginaire, représentée par les Arabes et les musulmans, contre la civilisation occidentale et la position américaine.
Si l’ancien président américain Barack Obama a choisi au début de son règne de tenter de reconstruire l’image des États-Unis dans le monde – et dans le monde musulman en particulier –, en adoptant un discours de réconciliation envers les Arabes et les musulmans, Trump a fomenté dès le départ un climat de conflit et de confrontation.
Pour cette raison et avant toute autre raison, une réponse doit être envoyée à Trump. Sans l’ombre d’un doute, la décision américaine équivaut à une violation du droit international commise au mépris de plus d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Assemblée générale. Cette décision représente également un parti pris flagrant en faveur d’Israël et, dans les faits, un abandon par le pays de son rôle de médiateur dans les négociations visant à résoudre la question palestinienne.
Elle constitue en outre un outrage à l’endroit des alliés traditionnels des États-Unis au Moyen-Orient, avant même leurs ennemis. Il s’agit certainement d’une mesure unilatérale qui n’a été ni soutenue, ni acceptée par aucune autre puissance mondiale.
La réponse arabe et islamique
Ce sont là des raisons suffisantes pour que se développe une réponse arabe et islamique, en dépit du fait que la décision américaine ne changera pas grand-chose sur le terrain, ni au niveau des politiques de judaïsation mises en œuvre dans la ville par Israël, ni au niveau de la confiscation de terres et de la construction de colonies.
Pourtant, il existe une raison qui ne devrait en aucun cas être négligée : ce président adopte délibérément des politiques hostiles au monde arabe comme au monde islamique, même quand il rencontre l’opposition d’autres institutions de l’État américain.
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Il cherche à donner l’impression qu’il est sur le point de s’engager dans une guerre totale contre les valeurs et les éléments sacrés des Arabes et des musulmans, soit parce qu’il s’agit du genre de politique qui lui permettra de sauvegarder le noyau de sa base électorale, soit parce qu’il est en réalité convaincu par l’illusion de la menace arabe et islamique.
L’offensive de Trump était vouée à faire l’objet d’une dénonciation totale au Conseil de sécurité de l’ONU et dans toutes les capitales occidentales. Pas un seul État arabe ou islamique ne pouvait garder le silence ou exprimer son soutien, pas même les États qui, selon Trump, allaient soutenir sa position.
Ce n’est plus un secret pour personne que l’administration Trump travaille sur un nouveau règlement pour la question palestinienne. Bien que ses contours ne soient pas encore tout à fait clairs, l’initiative de Trump semble fondée sur l’idée de procéder à une normalisation complète des relations entre Israël et les États arabes avant de présenter un cadre pour mettre fin au conflit portant sur la Palestine.
Avec la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, le masque du silence et de l’indifférence a été retiré du visage des amis arabes de Trump, qui s’étaient préparés à aller jusqu’à la normalisation des relations avec Israël.
Cependant, personne ne peut négliger le fait que le résultat le plus clair et le plus net de la décision du président américain s’est manifesté dans les rues des villes arabes et islamiques, de Lahore à Rabat, en passant par Diyarbakır et Le Caire, tout comme dans les rues des villes palestiniennes.
Une troisième Intifada ?
Les Palestiniens ont commencé leur troisième Intifada, tandis que les Arabes et les musulmans regagnent leur grande cause qui constitue le pilier de leur unité depuis de nombreuses années. Trump ne peut pas et ne doit pas être autorisé à jouer le rôle de chef de la guerre sainte sans qu’il y ait de conséquences.
Pourtant, le retour des masses dans l’arène, aussi bien en Palestine qu’en dehors, ne suffira pas en soi à construire un nouvel équilibre du pouvoir. L’Autorité palestinienne doit être consciente de ses propres obligations.
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Celles-ci ne sont pas nouvelles. Mais elles sont désormais devenues plus pressantes à la suite de la décision américaine. Le président palestinien Mahmoud Abbas avait raison lorsqu’il a exprimé son rejet de l’initiative de Trump. Il a eu raison de déposer une plainte auprès du Conseil de sécurité de l’ONU contre la décision.
Il a eu raison d’annuler la rencontre avec le vice-président américain. Il avait également raison lorsqu’il a invité ses agences de sécurité à arrêter de harceler les jeunes hommes et femmes qui ont affronté les troupes d’occupation israéliennes dans les rues des villes palestiniennes.
Cependant, ni Abbas, ni l’Autorité palestinienne (AP) ne peuvent continuer de résister aux politiques agressives américaines et israéliennes dans les conditions actuelles. Abbas sait que son autorité dépend de l’aide américaine et de celle de pays amis de Washington, arabes ou non. L’AP est également captive de l’emprise israélienne sur toutes sortes de ressources, financières et autres, qui sont essentielles à sa survie.
Abbas sait qu’en continuant de suivre une position en harmonie avec la position de son peuple, l’AP et lui-même s’exposent à des sanctions coûteuses et à des pressions énormes. L’AP ne peut même pas mettre fin à la collaboration en matière de sécurité avec l’ennemi occupant.
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En bref, le problème est qu’aujourd’hui plus que jamais, le président palestinien doit se rendre compte que l’AP est davantage devenue un fardeau qu’un atout pour la lutte nationale palestinienne.
La dissolution de l’AP en Cisjordanie libérerait la lutte nationale de sa dépendance vis-à-vis des États-Unis et de ses alliés ainsi que du gouvernement Netanyahou.
La dissolution de l’Autorité palestinienne ramènerait le conflit à son expression fondamentale la plus limpide : celle d’une opposition entre le peuple et l’occupation.
La croyance en une volte-face de Trump sur sa décision n’est rien d’autre qu’une illusion. Les nouvelles réalités n’exigent pas des espoirs placés dans des illusions, mais un changement majeur au niveau des objectifs et des stratégies du mouvement national palestinien.
- Basheer Nafi est un historien spécialiste de l’islam et du Moyen-Orient.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : une manifestante jordanienne brandit des pancartes devant l’ambassade américaine à Amman, le 15 décembre 2017, lors d’une manifestation contre la décision du président américain de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël (AFP).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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