Manuel Valls ignore les vrais problèmes de son pays pour se concentrer sur l'interdiction du foulard
À la mi-avril, le Premier ministre français, Manuel Valls, a réitéré ses vives critiques contre les musulmans. Dans une interview au journal Libération, il a déclaré sa volonté d'interdire le port du foulard islamique à l’université, justifiant de ce fait le ciblage des femmes musulmanes voilées.
Quelques jours plus tôt, il participait à un événement public au cours duquel il déclarait que, au-delà du taux élevé de chômage et de la gravité des problèmes économiques, ce qui importait le plus c’était « la bataille pour l’identité et la culture ».
Ce n’est pas la première fois qu’il s’en prend ainsi aux musulmans. Avec l'état d'urgence, la réponse musclée du gouvernement visait déjà surtout les musulmans français et Manuel Valls n'avait pas hésité à parler d’« islamofascisme » ou de « choc des civilisations » – tout en s’interdisant le mot « islamophobie », qu'il qualifie de cheval de Troie des groupes fondamentalistes.
Son pays est aux prises avec de graves difficultés et s’évertue à se remettre de cette année sanglante, mais lui semble ne s’inquiéter que de ses concitoyens musulmans.
Au théâtre Déjazet à Paris, avant son entretien avec Libération, il a vilipendé ses concitoyens musulmans et les femmes coiffées du foulard, tout en admettant : « Certes, le chômage est un problème ». Pour s’empresser d’ajouter ensuite, « mais le plus important, c’est la bataille pour l’identité, la bataille culturelle ».
Nos jeunes manifestent et occupent la place de la République pour exprimer leurs inquiétudes quant à leur avenir ; des dissidents d’un bout à l’autre du spectre politique les rejoignent, mais il n’a pas eu un seul mot pour eux, alors que la scène où il se tenait s’élevait à seulement quelques mètres. Quel symbole ! Voici un Premier ministre de la République qui ne fait aucun cas des manifestants de la place de la République et qui, au lieu de prêter attention à leurs préoccupations, rétorque que la question essentielle n’est pas leur avenir – mais la femme qui porte le foulard. Elle est déjà interdite dans les écoles publiques et n’arrive pas à décrocher un emploi, mais cela ne lui suffit pas : il veut en outre lui interdire l’accès à l'enseignement supérieur – au nom de sa « libération ».
Certes, je me suis habitué à ses propos excessifs et me suis résigné à ce qu’en 2016 la France ait un Premier ministre qui ne sache parler que de lui-même et de ses fidèles. Mais, cette fois, il s’est vraiment lâché.
Qu’a-t-il fait depuis toutes ces années à la tête du gouvernement ? On espérait qu’il lutte contre le chômage, or le taux est monté en flèche pour atteindre son niveau de 1997. Son devoir était de nous protéger, mais nous avons subi deux vagues d'attentats terroristes, qui ont coûté la vie à 149 de nos frères et sœurs. Il avait l’obligation morale de nous réunir mais nous a divisés avec son débat sur la citoyenneté. On lui a donné les clés du pays, mais il a tenté de violer notre constitution.
Les mouvements de protestation contre ses politiques injustes s’étendent à tout le pays, mais sa seule réponse est d'exclure toujours plus du pays une partie de sa population féminine, déjà menacée d’un décret de mort sociale parce qu'elle a choisi de se couvrir la tête.
Il aurait pu faire la première page de Libération avec des propositions concrètes en faveur de notre pays, et pourtant on n’a entendu de sa part que des commentaires sur l’actualité : aucune proposition visant à nous sortir de la poisse dans laquelle il nous a mis. Il n’a pas d’autre vision que d’occuper l'espace public avec son obsession des musulmans, qui semblent hanter ses nuits et occuper toutes ses journées, alors que le pays s’inquiète jour et nuit de son avenir, et surtout des problèmes relatifs à l'emploi, aux soins de santé, à l'éducation, aux retraites et à la sécurité.
Or, visiblement, il n’en a que faire. À l’instar de l'ancien ministre de l'Intérieur, Gaston Defferre, qui, dans les années 1980, décrétait que les grèves des travailleurs musulmans n’étaient que des « guerres saintes » commanditées par « les mollahs iraniens », Valls taxe aujourd’hui les femmes qui décident de se vêtir décemment d’activistes politiques aux ordres des groupes « salafistes ». Tout comme ses prédécesseurs, chaque fois que les musulmans font valoir des droits existants, il les accuse de promouvoir un dessein idéologique.
Qu'a-t-il à dire de l’école publique, pierre angulaire de notre pacte républicain, devenue la plus inégalitaire d’Europe occidentale ? Qu'a-t-il à dire à ces 140 000 jeunes qui, chaque année, sortent du système scolaire sans aucune qualification ? Qu'a-t-il à dire de ces 2,5 millions de personnes réduites, pour survivre, à dépendre de l’aide sociale – du jamais vu auparavant ?
Qu'a-t-il à dire de l'évasion fiscale en plein scandale des « Panama Papers », qui a mis au grand jour une fraude fiscale privant le pays de 90 milliards de dollars par an ? Qu'a-t-il à dire sur les fonds détournés par les riches alors que nous sommes écrasés d’impôts ? Qu'a-t-il à dire aux jeunes, quand 26 % d'entre eux sont sans emploi ? Qu'a-t-il à offrir à ceux qui ne croient plus à M. Valls ni au système politique actuel ? Qu'a-t-il à dire à ces millions de personnes qu’il a déçues ? Que notre problème le plus grave c’est le foulard et que tout ira bien une fois qu'on ne le verra plus ?
Comment peut-il dénoncer le foulard ou la visibilité des musulmans, qu'il perçoit comme un symbole de l'idéologie fondamentaliste, alors même qu’il vient de signer plusieurs contrats de fourniture d'armes avec le régime saoudien ? Il veut libérer la femme musulmane, alors qu’elle ne lui a rien demandé, mais il n’a pour elle que mépris. Sa cohérence m’échappe.
Il aurait pu prendre des mesures valables. Mais peut-être en est-t-il incapable, ou encore s’y refuse-t-il, mais les résultats parlent d'eux-mêmes et je le soupçonne, comme un cancre tâchant de cacher ses mauvaises notes à sa famille, de vouloir détourner la conversation. Au lieu de nous donner des raisons d'espérer ensemble, il crée des prétextes pour nous méfier les uns des autres. Quel genre d'homme d’État se complairait à voir son pays divisé et affaibli, en ces temps de grands défis socio-économiques et de grave menace terroriste ?
Il a même osé suggérer que l'islam ne serait pas compatible avec la République. Ce n’était sans doute pas un brillant élève, mais l'histoire ne ment pas. C’est la religion de ces dizaines de milliers de soldats qui, pour défendre cette même République, ont accepté le sacrifice ultime pendant les deux guerres mondiales. C’est aussi celle de ces dignitaires de la Grande Mosquée de Paris qui cachaient des juifs et les sauvaient des camps de la mort, tandis que le gouvernement de Vichy collaborait avec les nazis en les déportant dans des wagons bondés.
C’est également la religion de ces millions de gens qui ne demandent qu'à vivre en paix dans leur pays et qui, pour la plupart, se sont enracinés dans notre territoire national bien avant que Valls ait, dans les années 1980, émigré d’Espagne pour s’installer en France. Soyons honnêtes : ce n'est pas la compatibilité de l'islam avec la République qu'il doit démontrer, mais plutôt la sienne.
Certes, il a besoin de se positionner pour l'élection présidentielle de 2017. Mais à quel genre de candidat aurons-nous à faire ? Un candidat qui tentera de noyer le poisson quant à son bilan au gouvernement en se contentant de nous gaver de son obsession des musulmans ? Nous méritons mieux. La violence de ses attaques cache mal le fait qu’il essaie surtout d’occulter ses faiblesses.
Que restera-t-il de son rôle de Premier ministre ? Pas grand-chose, si ce n’est le mauvais souvenir d'un homme incapable de relever le défi de sa mission et qui, accablé par ses échecs, a choisi de nuire à son pays plutôt que de se remettre en question.
-Yasser Louati est le porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et chef du service relations internationales de cet organisme. Vous pouvez le suivre sur Twitter @yasserlouati
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale du Middle East Eye.
Photo : Le Premier ministre français, Manuel Valls, prononce un discours lors du 3e Comité interministériel pour l'égalité et la citoyenneté, à Vaulx-en-Velin, près de Lyon, dans le sud-est de la France, le 13 avril 2016 (AFP).
Traduction de l’anglais (original) par Dominique Macabies.
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