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Après les mines du Maroc, Mohammed VI s’offre l’or du Soudan 

Le roi Mohammed VI s’est fait une réputation d’homme d’affaires prospère au train de vie fastueux. Le « roi des pauvres » vise maintenant les mines aurifères d’Afrique, tout en continuant à monopoliser l’exploitation de l’or du Maroc
En mars, le groupe marocain Managem a conclu un accord de coopération avec le Chinois Wanbao Mining pour le développement d’un projet aurifère de grande envergure au Soudan (AFP)
En mars, le groupe marocain Managem a conclu un accord de coopération avec le Chinois Wanbao Mining pour le développement d’un projet aurifère de grande envergure au Soudan (AFP)

Historiquement parlant, les sultans alaouites se sont toujours accaparés les richesses afin d’asseoir leur pouvoir tyrannique sur les tribus.

Avant son accession au trône, Moulay Ismail (1672-1727) « se livra ainsi à l’agriculture et au commerce, afin d’augmenter ses richesses, car la soif de l’or fut une de ses passions favorites. Dès qu’il eut appris la mort de Moulay Rachid, en 1672, il s’empara de Fès, où étaient les trésors, et y fut proclamé souverain », raconte à ce propos Louis-Gabriel Michaud, écrivain français (1773-1858). 

On racontait aussi que Moulay Ismail confia un jour à un de ses conseillers qu’un roi peut tout avoir sur cette terre à condition qu’il dispose d’une grande fortune en or et pierres précieuses. À un moment, il crut naïvement que Louis XIV allait consentir à donner sa fille en mariage au riche empereur du Maroc.

Dans la pure tradition alaouite, Hassan II, lui aussi, ne cacha jamais sa soif d’or et de richesses matérielles. Il laissa à son fils une fortune colossale que ce dernier s’est évertué à faire fructifier pour atteindre en 2019 la somme de 5,8 milliards de dollars, selon le magazine Forbes

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Il faut dire que Mohammed VI est un homme d’affaires prospère qui contrôle le plus grand groupe financier du pays : Al-Mada, présent dans plusieurs secteurs, dont notamment celui des activités minières. 

La propagande officielle laisse par ailleurs entendre que les sociétés qui appartiennent au roi seraient des « entreprises locomotives » nécessaires pour booster la croissance économique du pays. 

Or, dans la réalité, il n’en est rien. Il suffit de rappeler que le Maroc occupe toujours la 121e place (sur 189 pays) dans le classement du rapport mondial sur le développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). 

Après l’avènement du Printemps arabe, les masques sont tombés. Les activistes du Mouvement du 20 Février (M20F) ont dénoncé ouvertement l’affairisme du régime, qui a décidé alors de réagir sur le coup. 

En un an seulement, le holding royal Al-Mada a commencé à vendre ses piliers, opérant ainsi une patrimonialisation de ses affaires vers l’international. Les activités minières et l’exploitation de l’or, tout particulièrement, illustrent parfaitement la manœuvre royale visant à investir d’autres horizons, notamment le continent africain, sachant que le régime n’a eu de cesse d’exploiter les ressources minières intarissables du royaume.   

Le « Maroc inutile » regorge d’or

La première société minière au Maroc vit le jour en 1930 avec les autorités coloniales françaises. Mais avec la « marocanisation » (1973), le roi Hassan II s’accapara malicieusement le contrôle des richesses minières, puis décida en 1990 de lancer une politique de privatisation des entreprises publiques. 

Grâce à ce tour de passe-passe, le despote parvint à acquérir ce qui deviendra par la suite Managem, aussitôt rattaché au groupe royal Omnium nord-africain (ONA), puis à la Société nationale d’investissement (SNI), devenue en 2011 Al-Mada. 

Le roi Mohammed VI, dans la lignée de son père, va bénéficier de son statut et ses prérogatives pour faire profiter généreusement Managem des permis d’extraction et d’exploitation des métaux précieux au Maroc.

Aujourd’hui, la société compte 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, selon les données publiées par le groupe en 2018, mais c’est surtout un arsenal d’une dizaine de complexes miniers riches en or et en argent. 

L’exploitation des richesses minières du royaume par le groupe Managem a toujours déchaîné les passions et suscité des controverses sur la surexploitation par le holding royal des ressources minières, pendant que les populations locales sont de plus en plus vulnérables à la pauvreté, surtout en l’absence d’infrastructures socioéconomiques (hôpitaux, écoles, routes…).  

Sit-in contre la société exploitant la mine d’argent d’Imiter près de Tinghir (centre-est) pour revendiquer une meilleure redistribution des bénéfices pour la région, le 2 mars 2012 (AFP)
Sit-in contre la société exploitant la mine d’argent d’Imiter près de Tinghir (centre-est) pour revendiquer une meilleure redistribution des bénéfices pour la région, le 2 mars 2012 (AFP)

À l’intérieur du Maroc, la majorité des complexes miniers exploités par Managem se situent en effet dans les régions berbérophones les plus démunies du pays. 

La mine la plus importante exploitée par Managem est celle d’Akka. Située à 280 kilomètres au sud d’Agadir, elle est en activité depuis 2001, mais son adjudication au profit de Managem remonte à 1996. 

On pourrait aussi citer la mine d’Imiter, au sud-est du royaume, à 137 km de Ouarzazate, sans doute l’un des plus importants sites d’exploitation de l’argent, qui a commencé en 1969. En septembre 2011, la surexploitation minière a engendré des manifestations dans cette région. Pour marquer leur indignation, les mineurs ont fermé la vanne d’alimentation en eau de l’usine.  

Il y a aussi la mine d’or de Tiouit, située à quelque 45 kilomètres de la ville de Ouarzazate, près de Tinghir, fermée depuis 1964, avant qu’elle soit réactivée par Managem en 2015. 

Enfin, impossible de passer sous silence la mine d’or de Tichla, dans la province de Oued Eddahab (Rio de Oro), dans laquelle les populations locales ont découvert des gisements d’or. 

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À l’époque, la communauté a commencé à rêver d’un lendemain meilleur grâce au minerai précieux, mais c’était sans compter l’hégémonie du pouvoir, qui a décidé d’interdire aux populations l’extraction de l’or de Tichla, désormais dans la ligne de mire de Managem. 

C’est dire toutes les ressources minières, notamment les minerais précieux, dont regorge le royaume mais qui ne profitent en fin de compte qu’au holding royal, lequel ne se contente pas de l’exploitation des mines marocaines mais a décidé de se tourner sérieusement vers l’or subsaharien.  

Depuis les années 2000, le roi Mohammed VI n’a eu de cesse d’afficher ses ambitions de faire de Managem un acteur majeur dans l’exploitation de l’or au sud du Sahara. En témoignent ainsi les investissements du groupe dans la mine de Wadi Gabgaba, dans le nord-est du Soudan, et le projet titanesque de Tri-K en Guinée. 

En ligne avec sa stratégie visant à développer ses investissements en Afrique et à conforter sa présence au Soudan, Managem a franchi un nouveau cap, en officialisant le 16 mars un accord avec le Chinois Wanbao Mining. 

Cet accord permettra à la holding royale de détenir 65 % d’intérêts dans la mine d’or Gabgaba et de prendre 35 % d’intérêts dans certaines licences d’exploration appartenant à Wanbao. 

Les deux partenaires ont d’ailleurs déjà signé deux accords d’exploitation minière en 2013 et en 2017. L’objectif actuel est de développer un grand projet aurifère, avec une production à moyen terme d’environ 5 tonnes d’or par an et un niveau d’investissement d’environ 250 millions de dollars. 

Relations opaques

Sur les six complexes miniers exploités dans quatre pays du continent africain, seul celui de la République démocratique du Congo n’exploite pas l’or, mais le cuivre et le cobalt. 

En mai 2010, deux mois après la visite du roi, une convention a été signée par l’État gabonais avec Managem, autorisant ce dernier à exploiter la mine d’or de Bakoudou, qui comporte des réserves d’1,7 million de tonnes d’or. L’extraction, qui a débuté en juillet 2011, génère actuellement une production annuelle de 500 000 tonnes de minerai.

Ces dernières années, les activités de Managem en Afrique ont remis sur la table la question des relations opaques du roi  patron de la Société nationale d’investissement contrôlant Managem, seul bénéficiaire des licences d’exploitation des mines d’or et responsable de l’attribution des autorisations spéciales du Palais royal pour les transferst aériens d’or  avec les affaires liées à l’exploitation des ressources minières. 

Le 9 mai 2019, un hélicoptère transportant une cargaison de 241 kilos d’or – dont seuls 84 avaient les autorisations nécessaires – pour le compte de Managem a été intercepté par les autorités soudanaises alors qu’il se dirigeait vers la capitale Khartoum. 

Gênés par cette affaire fortement relayée par les médias et les réseaux sociaux, les dirigeants du groupe minier marocain ont précisé qu’ils ne disposaient pas de permis pour le transfert de l’ensemble de la cargaison (autrement dit, ils se seraient trompés sur le poids exact de l’or transporté).

Actuellement, Managem vise la production à moyen terme de sept tonnes d’or annuelles, même si les chiffres officiels avancent que le groupe n’a extrait que 600 kilos. Et pourtant, malgré la chute des cours en 2019, le groupe s’est affirmé en 2020 comme une des valeurs les plus en vue de la Bourse de Casablanca.

Pour quand une redistribution des richesses ? 

Or, l’activité minière n’a guère contribué à favoriser le développement du pays. Le bilan est sans appel : l’exploitation des minerais n’a pas profité aux populations locales. Réduites au silence par les pouvoirs publics, à chaque fois qu’elles protestent contre la surexploitation des mines, des populations enclavées se trouvent interdites d’extraire l’or des terres de leurs ancêtres. 

Bien plus, les autorités se montrent intraitables avec ceux qui tentent l’aventure de chercher ou encore de vendre le minerai précieux. 

En 2019, par exemple, les autorités ont procédé à l’arrestation de deux individus inculpés à de lourdes peines de prison pour avoir transporté illégalement, à bord d’une camionnette, environ deux tonnes de terre contenant de l’or vers une destination inconnue. 

On aurait compris la fermeté des autorités à « faire respecter la loi » si seulement ce principe s’appliquait à tout le monde sans exception. Comment en effet expliquer le fait que 5 tonnes d’or auraient été sorties du royaume illégalement à destination de Dubaï en 2012 ? Les lingots d’or avaient été recouverts d’argent et leurs références effacées. 

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On pourrait donc avancer que le royaume constitue une plaque tournante du trafic international du métal précieux, dont une grande partie proviendrait du Soudan. Un pays où le groupe Managem est implanté depuis 2006, et où il a décidé en 2009 de relancer l’exploitation de l’or.  

L’implication du régime marocain dans des affaires (réelles ou supposées) de trafic d’or n’est plus un secret de polichinelle. La surexploitation des mines aurifères par le pouvoir se fait ainsi au détriment du développement socioéconomique du pays. Les recettes provenant de la commercialisation du métal précieux contribuent à financer le train de vie fastueux du roi. 

À l’image de son père, un collectionneur des horlogeries de luxe, Mohammed VI possède plusieurs collections de montres de luxe (en or et diamants). 

En septembre 2018, le « roi des pauvres » s’est affiché avec une montre haut de gamme à son poignet, une Patek Philippe en or blanc incrusté de 883 diamants d’une valeur de 1,2 million de dollars ! 

En 2019, on apprenait que plusieurs dizaines de ces montres de luxe avaient été volées par des femmes de ménage qui travaillaient dans le palais royal de Marrakech. Sans surprise, les personnes impliquées dans cette affaire, notamment 36 détaillants d’or et des intermédiaires, ont écopé de quinze ans de prison ferme !   

Pendant que les milliards coulent à flot dans les caisses du holding royal, notamment grâce à l’exploitation massive des mines d’or de l’Afrique subsaharienne, le Maroc continue de sombrer dans une crise socioéconomique majeure. 

En 2020, le taux de chômage est passé de 9,2 % à 11,9 % (selon les estimations du gouvernement), à l’heure où cinq millions d’habitants vivent avec 10 dirhams par jour (0,88 euro). 

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Cela pourrait sembler infondé, mais mettons-nous à la place de ces milliers d’« instituteurs contractuels », par exemple, qui se sont encore une fois fait tabasser par les forces de l’ordre, auxquels l’État refuse la titularisation sous prétexte du manque de ressources budgétaires, alors que le royaume regorge de ressources minières à l’instar du holding royal qui enregistre des gains astronomiques grâce aux activités minières.

De quoi nourrir le sentiment d’injustice parmi les populations les plus démunies, qui n’arrivent toujours pas à comprendre comment il se fait que les revenus considérables provenant de la commercialisation de l’or, extrait des terres de leurs ancêtres, profitent uniquement au monarque au détriment de la collectivité, laquelle manque cruellement de projets nécessaires pour le développement d’un pays qui croule sous la misère.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Aziz Chahir is an associate researcher at the Jacques-Berque Center in Rabat, and the secretary general of the Moroccan Center for Refugee Studies (CMER). He is the author of Who governs Morocco: a sociological study on political leadership (L'Harmattan, 2015). Aziz Chahir est docteur en sciences politiques et enseignant-chercheur à Salé, au Maroc. Il travaille notamment sur les questions relatives au leadership, à la formation des élites politiques et à la gouvernabilité. Il s’intéresse aussi aux processus de démocratisation et de sécularisation dans les sociétés arabo-islamiques, aux conflits identitaires (le mouvement culturel amazigh) et aux questions liées aux migrations forcées. Consultant international et chercheur associé au Centre Jacques-Berque à Rabat, et secrétaire général du Centre marocain des études sur les réfugiés (CMER), il est l’auteur de Qui gouverne le Maroc : étude sociologique sur le leadership politique (L’Harmattan, 2015).
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