Noël blanc en Palestine
La neige est arrivée tôt dans de nombreuses régions de l’Europe de l’Ouest cette année, et beaucoup ont espéré qu’elle tienne jusqu’à Noël. Nombreuses sont les familles qui rêvent d’un Noël blanc lorsque qu’elles se réunissent pour cette fête traditionnelle enracinée dans la célébration de la naissance de Jésus-Christ.
Mais en « Terre sainte », un Noël blanc d’un autre genre est infligé au peuple palestinien. Depuis des décennies maintenant, le ciel de Palestine est régulièrement rempli de gaz lacrymogène toxique dont se servent les autorités israéliennes pour imposer leur occupation.
Lors d’une récente conférence à la London School of Economics, le commissaire général de l’UNRWA, Pierre Krahenbuhl, a cité un rapport d’experts médicaux montrant comment les habitants du camp de réfugiés d’Aïda, à Bethléem, constituent la communauté la plus exposés au gaz lacrymogène au monde.
Les effets à long terme d’une exposition constante aux gaz lacrymogènes n’ont pas été bien étudiés, mais on soupçonne qu’ils peuvent entraîner des fausses couches, des mises au monde d’enfants mort-nés et des maladies respiratoires graves
C’est à Aïda qu’en octobre 2015, un commandant israélien avait été filmé en train de hurler le message suivant dans les haut-parleurs de sa jeep : « Habitants du camp de réfugiés d’Aïda, nous sommes l’armée d’occupation. Si vous lancez des pierres, nous vous gazerons jusqu’à ce que vous mouriez tous – les jeunes, les enfants, les personnes âgées ; vous mourrez tous. Nous ne laisserons aucun d’entre vous en vie ».
Alors que les Palestiniens protestent actuellement contre la décision de l’administration Trump de déplacer l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, le ciel palestinien est redevenu blanc, chargé de ces nuages de gaz familiers. Depuis l’annonce du président américain, le Croissant-Rouge palestinien a enregistré 2 505 blessés au gaz lacrymogène ayant dû recevoir les premiers secours.
Le gaz lacrymogène est une arme chimique qui est censée causer une douleur temporaire. Les autorités qui l’utilisent en vantent donc les mérites, le considérant comme un outil efficace contre la désobéissance civile. Pourtant, cette arme chimique peut avoir des conséquences mortelles, en particulier dans les espaces clos. Les effets à long terme d’une exposition constante aux gaz lacrymogènes n’ont pas été bien étudiés, mais on soupçonne qu’ils peuvent entraîner des fausses couches, des mises au monde d’enfants mort-nés et des maladies respiratoires graves.
Les Palestiniens connaissent bien les gaz lacrymogènes. Ils les connaissent si bien que lorsque les forces de police américaines s’en sont servies contre les manifestants du « Black Lives Matter » à Ferguson en 2014, les Palestiniens ont tweeté des conseils sur les meilleures façons de traiter l’inhalation de gaz lacrymogène.
Même maintenant, mon nez me démange au souvenir de cette odeur, une odeur qui remplit tout le corps, qui étouffe, qui brûle les yeux, au point où l’on se sent incapable de respirer. Une odeur qui, parfois, vous empêche littéralement de respirer.
En 2015, Hashem al-Azzeh, un activiste bien connu d’Hébron âgé de 54 ans, est décédé à la suite d’une inhalation excessive de gaz lacrymogène. Il tentait de se rendre à l’hôpital suite à des douleurs thoraciques lorsque des soldats israéliens impliqués dans des affrontements avec des manifestants l’ont arrêté et l’ont empêché de passer. Englouti par des gaz lacrymogènes suffocants, il a cessé de respirer.
Dans une autre partie de la Palestine, dans le village de Bil’in, où les villageois organisent depuis douze ans des manifestations hebdomadaires contre le mur de séparation, les gaz lacrymogènes ont eu un autre héritage mortel.
En 2009, le militant local Baseem Abu Rahmah a été tué lors d’une manifestation pacifique par une bombe de gaz lacrymogène propulsée à grande vitesse par un soldat israélien, le heurtant à la poitrine. Trois ans plus tard, Jawaher, la sœur de Baseem, a été tuée lors d’une manifestation hebdomadaire après avoir inhalé une forte concentration de gaz lacrymogène. Dans les deux cas, les grenades lacrymogènes avaient été fabriquées aux États-Unis.
La Palestine a efficacement servi de laboratoire d’expérimentation aux armes de toutes sortes importées et exportées par Israël
La Palestine a efficacement servi de laboratoire d’expérimentation aux armes de toutes sortes importées et exportées par Israël. Ce dernier est devenu l’un des plus gros exportateurs d’armes au monde – bénéficiant de sa capacité à présenter ses technologies comme étant « testées au combat ». Gaza est un exemple parfait de l’efficacité mortelle des armes israéliennes les plus dévastatrices.
Lors de l’attaque de 2008-2009 contre la bande côtière assiégée, Israël a utilisé de manière intensive et répétée du phosphore blanc dans des zones densément peuplées. Human Rights Watch a qualifié cette utilisation d’« illégale » et l’a décrite comme une pluie de feu en raison des brûlures extrêmes qu’elle laisse sur la peau.
Aujourd’hui, alors que les Palestiniens continuent de descendre dans les rues pour revendiquer leurs droits humains les plus fondamentaux, ils continuent et continueront à recevoir des tirs de gaz lacrymogènes et de balles réelles, prouvant une fois de plus que l’occupation et la colonisation des terres palestiniennes ne s’arrêtent jamais, même pour Noël.
- Yara Hawari est une militante universitaire britanno-palestinienne dont les écrits continuent d’être façonnés par son engagement envers la décolonisation. Originaire de Galilée, elle a passé sa vie entre la Palestine et le Royaume-Uni. Elle est actuellement en dernière année de doctorat au Centre européen d’études sur la Palestine de l’Université d’Exeter.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : un manifestant masqué portant un bonnet de père Noël se prépare à renvoyer une bombe de gaz lacrymogène tirée par les forces de sécurité israéliennes lors d’affrontements qui ont éclaté suite à une marche organisée par les habitants du village de Nabi Saleh pour protester contre l’expansion des colonies juives sur les terres palestiniennes (AFP).
Traduit de l’anglais (original).
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