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Pour garantir la paix au Moyen-Orient, les États impliqués doivent renoncer à leurs obsessions

Depuis plus d’un siècle, l’ingérence constante des puissances extérieures dans la région n’a produit que des désastres. Seuls des renoncements pourront faire revenir la confiance
Le groupe aéronaval de l’USS Abraham Lincoln de la marine américaine traverse le canal de Suez (AFP)

Cet article est le troisième et dernier d’une série sur le thème : « Pourquoi il faut créer une architecture de sécurité au Moyen-Orient »

Une architecture de sécurité au Moyen-Orient pourrait être la seule option pour éviter un conflit majeur dans la région, imminent au regard des tensions renouvelées dans le Golfe. Une lente et inquiétante guerre d’usure a déjà lieu, il est impératif d’éviter une escalade ouverte.

Les deux articles précédents de cette série mettent en évidence les mesures de base que les États-Unis et Israël devraient adopter pour faire de cette possibilité une réalité. Toutefois, d’autres acteurs mondiaux et régionaux importants doivent aussi faire leur part.

Toute négociation éventuelle et sérieuse concernant les droits et l’avenir des Palestiniens n’ira nulle part s’ils continuent à laisser leurs ennemis israéliens, américains et arabes se jouer de leurs divisions

Les Palestiniens ne peuvent faire qu’une chose : se montrer unis à nouveau.

Toute négociation éventuelle et sérieuse concernant leurs droits et leur avenir n’ira nulle part s’ils continuent à laisser leurs ennemis israéliens, américains et arabes se jouer de leurs divisions, ou à leurs partisans iraniens de les exploiter. Plus vite ils se réconcilieront, mieux ce sera.

Les principaux acteurs arabes – principalement l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU) et l’Égypte – sont unis par une méfiance commune à l’égard de l’Iran et de ses alliés, et une bienveillante indifférence envers la présentation actuelle de la liquidation de la cause palestinienne par le biais de l’« accord du siècle » du président américain Donald Trump.

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Cependant, leur quête légitime de sécurité ne s’améliorera pas en faisant pression sur l’Iran pour obtenir un changement de régime ou en trahissant les Palestiniens – mais en faisant tout le contraire. 

Si une guerre majeure éclate dans la région, leurs dirigeants risquent d’être irrémédiablement paralysés ou dépassés.

Ils ne peuvent ignorer que les États-Unis sont entrés dans une ère d’imprévisibilité. L’Arabie saoudite devrait surveiller attentivement la détermination du Congrès américain à bloquer les ventes d’armes de Trump à Riyad, l’Égypte n’a pas la garantie éternelle que sa répression interne brutale ne déclenchera pas un nouvel « effet Khashoggi » à Washington. En d’autres termes, le soutien durable et indéfectible de Washington ne doit pas être considéré pour acquis par les capitales arabes. 

Le Printemps arabe a été une sonnette d’alarme. Le fait qu’il a été réprimé dans le sang ne signifie pas qu’il ne reviendra pas sous une autre forme. Les pays arabes devraient envisager de reprendre leur destin en main.

Le fait que le Printemps arabe ait été réprimé dans le sang ne signifie pas qu’il ne reviendra pas sous une autre forme. Ici, une statue représentant la charrette de Mohamed Bouazizi, en Tunisie (AFP)

Les pays du Golfe entretiennent des liens fructueux avec l’Iran depuis des siècles : pourquoi devraient-ils soudainement sous-traiter leurs options en matière de sécurité et de politique à des puissances externes ? 

Le Qatar ne doit pas être isolé, mais pris comme modèle. Les capacités de lobbying des États du Golfe au cœur de Washington – qui se sont avérées temporairement efficaces – ne peuvent pas durer éternellement. Les États-Unis changent, que Trump soit réélu ou non l’année prochaine. 

Complot

L’Iran, après quatre décennies, doit renoncer à sa ferveur révolutionnaire ou sa quête légitime de sécurité, de stabilité et de légitimité restera vaine. Il doit abandonner son excuse de lutter contre chaque injustice et oppression perçue dans la région, que ce soit les Palestiniens, les Houthis ou d’autres communautés chiites. Il doit laisser derrière lui le traumatisme de sa longue guerre avec l’Irak, qui a contribué de manière significative à façonner les opinions de ses dirigeants.

Des cadets iraniens au garde-à-vous, à Téhéran, en 2011 (Khamenei.ir/AFP)

Téhéran devrait progressivement abandonner sa mentalité de « siège », en vertu de laquelle chaque mouvement régional masque un complot en faveur d’un changement de régime. Bien que la croyance des dirigeants iraniens en un effort américano-arabe contre sa révolution est dans une certaine mesure fondée, l’Iran a réagi en conséquence par une politique de défense tournée vers l’avenir, visant à combattre en dehors de ses frontières via des intermédiaires et des guerres asymétriques. 

Israël – avec le silence assourdissant de la « communauté internationale » et des médias traditionnels – suit la même politique, à travers ses fréquentes frappes aériennes et ses opérations spéciales au-delà de ses frontières, qui visent désormais également l’Irak. Toutefois, les dirigeants iraniens doivent comprendre que leur propre politique n’est pas perçue comme défensive par d’autres pays de la région. C’est même tout le contraire. 

La Russie pourrait contribuer de manière significative à une architecture de sécurité du Moyen-Orient, ayant montré sa volonté et sa capacité à jouer des mains difficiles, comme dans le cas de la Syrie.

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Il serait idéal que ces compétences puissent être utilisées pour une stabilisation globale de la région, en supposant que Moscou renonce à la tentation de régler des comptes tenaces avec les États-Unis. 

La récente proposition de Moscou en faveur d’une architecture de sécurité dans le Golfe est une évolution positive sur laquelle s’appuyer.

La Chine pourrait également ajouter de la valeur à un Moyen-Orient stabilisé. L’initiative de la nouvelle route de la soie pourrait devenir pour le Moyen-Orient ce que fut le plan Marshall pour l’Europe. Le royaume arabe le plus avancé, les EAU – malgré leur lien fort avec Washington – s’organisent déjà pour accueillir les investissements chinois.

La valeur ajoutée de l’Union européenne ne viendra pas d’un alignement avec les États-Unis, mais seulement d’un rôle visant à assurer l’équilibre entre tous les acteurs. L’UE doit retrouver son statut de superpuissance en matière de soft power, le Brexit étant en bonne voie d’éliminer l’un des principaux moteurs de sa désunion. Le plus grand défi pour Bruxelles est d’éviter de tomber dans le piège potentiel d’une mission de patrouille militaire dans les eaux du Golfe.

La Turquie pourrait agir – idéalement aux côtés de l’UE – en tant que vecteur d’équilibre supplémentaire parmi les parties adverses dans la région

La Turquie devrait abandonner sa volonté néo-ottomane, ainsi que sa prétention d’être l’avant-garde de l’islam politique à travers les Frères musulmans. Trop de pays arabes perçoivent ces ambitions comme une menace pour leur stabilité, et Ankara a des priorités internes plus pressantes, y compris le réexamen de sa dévorante obsession pour les Kurdes, qui déstabilise constamment le cœur du Moyen-Orient (la Syrie et l’Irak). 

La Turquie pourrait agir – idéalement aux côtés de l’UE – en tant que vecteur d’équilibre supplémentaire parmi les parties adverses dans la région, en particulier lorsqu’il s’agit de freiner les instincts de base d’Israël et de l’Iran. 

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Pour réaliser l’architecture de sécurité du Moyen-Orient, tous les acteurs impliqués doivent renoncer à certaines de leurs politiques, ambitions, obsessions et surmonter leurs traumatismes. Si cela se produit, progressivement et par défaut, les esquisses d’une architecture de sécurité complète prendront lentement forme. 

Une conférence permanente pourrait être un outil pour superviser sa gestation, qui nécessitera probablement des années plutôt que des mois, tandis qu’un groupe de contact composé des principaux acteurs pourrait être son comité directeur. Aucun grand dessein ou schéma n’est exigé.

Si les principales pierres d’achoppement peuvent être surmontées par des renoncements réciproques, alors des ajustements intelligents par des mesures pour instaurer la confiance, en plus d’accords de coopération régionale en matière économique et de sécurité, pourraient consolider les principaux piliers de l’architecture de sécurité. Le reste suivrait.

Et ce suivi devrait idéalement être laissé aux pays de la région. Depuis plus d’un siècle, l’ingérence constante des puissances extérieures dans la région n’a produit que des désastres.

- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et aux Nations unies. Il a été membre du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marco Carnelos is a former Italian diplomat. He has been assigned to Somalia, Australia and the United Nations. He served in the foreign policy staff of three Italian prime ministers between 1995 and 2011. More recently he has been Middle East peace process coordinator special envoy for Syria for the Italian government and, until November 2017, Italy's ambassador to Iraq.
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