Aller au contenu principal

Pourquoi la FIFA a renoncé à appliquer ses propres règles contre Israël

Comme elle l’a fait en Crimée, en Afrique du Sud et en Yougoslavie, la FIFA doit suivre ses propres règles et celles de l’ONU et insister pour que les activités coloniales prennent fin

« Nous sommes une nouvelle FIFA. Nous sommes de nouvelles personnes ici, nous agissons avec des faits, pas avec des mots. Les faits et les actes sont plus parlants que les mots... Mais ce qui importe en fin de compte, c’est la décision qui est prise et mise en œuvre. » C’est sur ces mots que le président de la FIFA Gianni Infantino a donné jeudi 11 mai le coup d’envoi du 67e congrès de l’instance du football à Bahreïn.

La FIFA tolère non seulement la poursuite de la violation de ses règles, mais elle semble également se mettre en quatre pour ne pas les appliquer

Ces mots sonnent creux lorsque l’on observe comment la FIFA a encore une fois fui les faits et évité de prendre une décision sur la question des clubs de football dans les colonies israéliennes. Les clubs font partie de l’Association israélienne de football (IFA) et participent à son système de ligue, mais jouent sur des terrains relevant de la Fédération palestinienne de football (PFA).

Cette situation représente une violation des statuts de la FIFA, qui stipulent qu’aucune association de football ne peut jouer sur le territoire d’autrui sans son consentement. La FIFA tolère non seulement la poursuite de la violation de ses règles, mais elle semble également se mettre en quatre pour ne pas les appliquer.

Malgré un processus de deux ans, la création d’un comité de surveillance spécialisé de la FIFA et plusieurs échéances passées pour résoudre le problème, la FIFA a reporté la présentation d’un rapport interne sur le sujet et a déclaré qu’il était toujours « prématuré pour le Congrès de la FIFA de prendre une quelconque décision ».

Lors d’une séance spectaculaire du congrès retransmise en ligne, Infantino a également bloqué un vote sur une proposition palestinienne séparée visant à contraindre Israël à exclure les équipes coloniales. Les Palestiniens se sont par conséquent engagés à contester la FIFA devant les tribunaux suite à la manœuvre de blocage d’Infantino.

Cette épreuve de force survenue à Bahreïn a fait suite à une ingérence politique extraordinaire exercée par Israël au sein de la FIFA dans les jours qui ont précédé le congrès. Celle-ci s’est notamment manifestée à travers un appel téléphonique adressé à Infantino par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, un lobbying effectué auprès des membres du Conseil de la FIFA par des diplomates israéliens et même des pressions présumées exercées par le biais de la Maison Blanche. Tout cela a effectivement permis de reporter une nouvelle fois toute action de la FIFA vis-à-vis des clubs coloniaux.

Le jeu des reproches

Lors du congrès, Infantino a attribué le report au fait que Tokyo Sexwale, le président de la commission de surveillance, n’a pas finalisé à temps son rapport sur les clubs coloniaux. Sexwale a certainement sa part de responsabilité dans ce processus qui s’éternise.

Infantino n’est peut-être pas un expert du conflit israélo-palestinien, mais il doit très bien savoir qu’un compromis entre les deux parties sur les colonies est tout simplement impossible

Mais en réalité, son rapport préliminaire a été présenté en interne en mars, plusieurs mois après la date limite initiale fixée à l’été dernier. Selon une source interne, Infantino a insisté pour que le rapport réunisse les commentaires reçus des deux parties afin de parvenir à un « consensus ». Cela a servi à justifier l’affirmation selon laquelle le rapport n’était pas prêt à être examiné à ce moment précis.

Infantino n’est peut-être pas un expert du conflit israélo-palestinien, mais il doit très bien savoir qu’un compromis entre les deux parties sur les colonies est tout simplement impossible.

Les membres de la FIFA au 67e Congrès de la FIFA, le 11 mai (AFP)

Lorsque la FIFA a été invitée à commenter l’insistance d’Infantino sur le rapport et si celui-ci servait à justifier le report, un porte-parole de la FIFA a orienté Middle East Eye vers un communiqué publié après la réunion du 11 mai.

« Le conseil s’est engagé à prendre une décision sur la question dès sa prochaine réunion, le 27 octobre 2017 »

– Porte-parole de la FIFA

Le porte-parole a également déclaré que la majorité du Congrès de la FIFA avait approuvé la proposition soumise par le conseil selon laquelle il fallait plus de temps pour prendre une décision dans la mesure où « un rapport consolidé du comité de suivi n’[était] pas encore prêt ».

« Néanmoins, le conseil s’est engagé à prendre une décision sur la question dès sa prochaine réunion, le 27 octobre 2017 », a précisé le porte-parole dans un e-mail.

Toutefois, compte tenu du long historique de la FIFA en matière de promesses non tenues, il est difficile de savoir si cette date limite sera définitive.

Un consensus international contourné

La FIFA a essayé d’expliquer les reports répétés en soulignant la complexité du conflit israélo-palestinien. Mais en réalité, au-delà de l’interprétation israélienne, la situation est très simple en ce qui concerne la FIFA.

Aucun gouvernement dans le monde mis à part Israël ne soutient les revendications de ce dernier vis-à-vis de la Cisjordanie, le territoire sur lequel se situent les clubs coloniaux. Un même consensus écrasant considère les colonies – dans lesquelles les équipes sont basées et jouent leurs matches – comme illégales. De même, l’argument israélien selon lequel les Accords intérimaires d’Oslo légitiment en quelque sorte l’annexion de facto par Israël du territoire cisjordanien n’est partagé par personne.

Ce n’est pas à la FIFA d’écrire ses propres rapports analysant le conflit ou de déterminer qui est propriétaire de tel territoire. Elle doit simplement suivre les positions existantes de l’ONU

Mais alors que les gouvernements sont au courant de ces faits et de ces résolutions juridiques, la FIFA a fait preuve d’une prise de conscience décidément faible face à ces réalités et d’une posture laxiste vis-à-vis de ses propres règles.

Cela a offert à Israël une possibilité à travers laquelle il peut avancer ses revendications territoriales expansives d’une manière qu’il ne pourrait pas employer avec des gouvernements ou des institutions intergouvernementales : si aucun gouvernement n’est disposé à traiter les colonies comme des parties d’Israël, la FIFA pourrait servir à établir un précédent.

En tant qu’organisation sportive, ce n’est pas à la FIFA d’écrire ses propres rapports analysant le conflit ou déterminant qui est propriétaire de tel territoire. Elle doit simplement suivre les positions existantes des Nations unies en tant qu’organisation conçue pour traiter de telles questions politiques et juridiques, contrairement à la FIFA. Mais la FIFA a choisi la première approche, s’empêtrant dans la politique du conflit le plus sensible et le plus prolongé au monde.

La réticence de la FIFA à faire face à une situation directe d’illégalité internationale et aux violations de ses propres statuts contraste vivement avec son action rapide et décisive à la suite de l’annexion russe de la Crimée en 2014.

À cette époque, la FIFA et l’UEFA (dont Infantino était alors secrétaire général) avaient agi rapidement pour interdire à la Russie d’organiser des activités footballistiques en Crimée. Elles l’avaient fait sans exiger de rapports internes, sans comités de suivi et sans négociations à rallonge entre les fédérations de football russe et ukrainienne.

Des jeunes Palestiniens souhaitant jouer au football dans la colonie de Maale Adumim, en Cisjordanie occupée par Israël, sont bloqués par les forces de sécurité israéliennes alors qu’ils tentent d’entrer dans la colonie, en octobre 2016 (AFP)

La FIFA a également pris des mesures résolues par le passé vis-à-vis de l’Afrique du Sud et de la Yougoslavie en réponse aux résolutions de l’ONU. Le fait que la FIFA ait choisi de faire une exception en faveur de l’IFA et des clubs coloniaux montre à quel point l’organisation est prête à sacrifier sa propre intégrité par opportunisme politique.

Mais Infantino n’est pas le seul à protéger les clubs coloniaux de l’application des règles de la FIFA. Selon des sources, les représentants du football européen (UEFA) au sein du Conseil de la FIFA ont également exprimé leur soutien en faveur de la position d’Israël – qui est membre de l’UEFA – et du report de toute décision.

Que cela soit intentionnel ou non, leur soutien aux colonies et aux équipes israéliennes s’oppose de façon spectaculaire à la position adoptée par leurs gouvernements respectifs, qui continuent non seulement de condamner fermement les activités coloniales israéliennes, mais avertissent aussi activement leurs organisations nationales (dont les fédérations de football) des risques juridiques encourus pour toute relation avec les colonies.

Lorsque MEE a interrogé l’UEFA au sujet du soutien de ses représentants pour la position israélienne lors de la réunion du Conseil de la FIFA, l’UEFA a répondu : « La recommandation de ne pas voter sur la question a été acceptée à l’unanimité par le Conseil de la FIFA et a été ratifiée à la suite d’un vote du Congrès de la FIFA. »

Quelle issue ?

En fin de compte, la FIFA n’a que trois options réelles. Elle peut continuer d’essayer de reporter toute décision sur la question. Bien que cela ait été son option préférentielle jusqu’à présent, celle-ci n’offre guère une solution à long terme au problème et deviendra de plus en plus difficile à tenir à chaque échéance manquée.

Autrement, la FIFA pourrait accepter l’argument d’Israël selon lequel le territoire sur lequel se situent les colonies est contesté ou ne relève pas de la juridiction palestinienne. Une telle décision mènerait la FIFA dans des eaux inexplorées étant donné qu’aucun pays ou organisme international n’a adopté cette position. Cela exposerait également l’organisation internationale à une vague de défis juridiques.

La dernière option qui se présente à la FIFA est non seulement la seule légitime, elle est aussi la plus simple. Elle peut s’en tenir à une approche fondée sur les règles en insistant pour que l’Association israélienne de football mette fin à ses activités dans les colonies conformément aux statuts de la FIFA et au consensus au sein de l’ONU. Cette approche est également le meilleur moyen pour la FIFA d’éviter toute politisation et de compromettre davantage son intégrité en sombrant encore plus dans le bourbier israélo-palestinien.

- Martin Konecny est le directeur du European Middle East Project (EuMEP) basé à Bruxelles. Hugh Lovatt est chercheur en politique et coordinateur de projet Israël/Palestine au Conseil européen des relations extérieures, basé à Londres.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : des jeunes joueurs israéliens du club de football d’Aroni Ariel participent à une séance d’entraînement dans leur stade, dans la colonie israélienne d’Ariel, en Cisjordanie, en septembre 2016 (AFP).

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].