Pourquoi la tenue de l’Eurovision en Israël est inacceptable
Le concours de l’Eurovision se tient au Centre des expositions de Tel Aviv du 14 au 18 mai.
Quarante et un pays sont représentés et on estime que 200 millions de personnes regarderont cet événement qui se déroule sur quatre jours, ce qui renforcera énormément la réputation du pays hôte.
C’est un miracle que les cris des enfants effrayés, des amputés et des blessés de Gaza n’atteignent pas les fêtards à Tel Aviv
Le choix d’Israël comme lieu de cette flamboyante occasion est inacceptable à tous égards. Israël est qualifié pour la compétition car l’Autorité de radiodiffusion d’Israël (IBA) est membre de l’Union européenne de radio-télévision, l’organisation responsable de la manifestation. C’est en 1973 qu’Israël a participé au concours pour la première fois.
Néanmoins, Israël ne fait pas partie de l’Europe. Il aime se considérer comme européen, mais ce n’est pas la même chose.
Par ailleurs, il est probable que l’Expo Tel Aviv, comme de nombreux autres quartiers de la ville, ait été construit sur des terres initialement spoliées au village palestinien d’al-Sheikh Muwannis et aux villages voisins.
Comme beaucoup d’autres, le village a été évacué par le recours à la terreur et à la force brutale par Israël après 1948, puis démoli. Cette histoire peu glorieuse n’a pas disparu ; elle planera sur tous les chants et danses du centre des expositions.
À vingt minutes des festivités de l’Eurovision se trouve la bande de Gaza, terre tourmentée de siège, de pauvreté et de faim, du fait d’Israël. Quatre-vingt pour cent de la population est dépendante de l’aide, le taux de chômage varie de 50 % à 70 %, les pénuries de produits de base sont fréquentes et graves et les hôpitaux peuvent à peine faire face à l’afflux de malades et de blessés.
Près de deux millions de Palestiniens sont incarcérés dans la prison à ciel ouvert qu’est Gaza aujourd’hui pour le seul crime de ne pas être juifs. C’est un miracle que les cris des enfants effrayés, des amputés et des blessés de Gaza n’atteignent pas les fêtards à Tel Aviv.
La deuxième Nakba
Il y a un an, le 14 mai 2018, le jour même qui marque l’ouverture de l’Eurovision cette année, des snipers israéliens postés à la soi-disant frontière avec Gaza ont abattu plus de 60 manifestants palestiniens non armés.
Une autre célébration avait également lieu à Jérusalem au même moment : la reconnaissance illégale par les États-Unis de la ville en tant que capitale d’Israël et l’annonce du déménagement de l’ambassade des États-Unis dans cette même ville. Selon le ministère de la Santé de Gaza, les forces israéliennes ont tué 267 personnes de plus au cours de l’année écoulée et ont fait plus de 30 000 blessés, dont plus de 7 000 personnes touchées par des balles réelles.
Le boycott culturel n’a-t-il pas été accepté comme faisant partie du mouvement de lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud ?
Toutefois, la coïncidence la plus significative du calendrier de cette semaine est le 71e anniversaire de la Nakba palestinienne. Le 15 mai (deuxième jour de l’Eurovision) marque la création en 1948 de l’État d’Israël et, avec lui, le déclenchement de la catastrophe qui a ravagé la vie des Palestiniens depuis lors.
Chaque année, à peu près à ce moment-là, Israël célèbre sa soi-disant fête de l’indépendance, oubliant la tragédie que sa fondation a provoquée pour le peuple autochtone de Palestine.
Société autrefois sédentaire et cohérente, les Palestiniens sont aujourd’hui fragmentés sur différents pays, dont 5,3 millions vivent encore dans des camps de réfugiés. Pendant des années, Israël s’est efforcé d’échapper à sa responsabilité dans cette tragédie ou de la dissimuler, et dans ce sens, le concours de l’Eurovision est une aubaine.
La réalité d’Israël
Les Israéliens n’ont ménagé aucun effort pour exploiter toutes les occasions qui s’offrent à eux de montrer qu’ils font partie du monde occidental. Tel Aviv grouille de pancartes en anglais, une armée de volontaires locaux a été formée pour aider les visiteurs et un service de bus gratuit est fourni, même le jour du shabbat, malgré les objections des juifs orthodoxes.
Un clip à la télévision israélienne montre l’une des présentatrices de l’Eurovision, une Arabe « symbolique » sous la forme de Lucy Ayoub, dont le père est un Arabe chrétien et la mère une juive convertie au christianisme, souhaitant la bienvenue en chanson aux invités. Elle leur dit que, malgré ce qu’ils ont entendu, Israël est un « pays de lait et de miel, toujours ensoleillé et doux comme de la soie ».
Beaucoup de gens sont conscients que la réalité d’Israël est très différente. En 2017, l’ONU a publié un rapport sur le système d’apartheid israélien qui imprègne ses lois et sa conduite à l’égard de ses citoyens non juifs.
Cela s’est aggravé à l’été 2018, quand Israël a adopté sa loi sur l’État-nation, affirmant son statut d’État-nation du peuple juif. En pratique et en droit, Israël est un État qui discrimine les non-juifs en faveur des juifs, c’est-à-dire l’apartheid dans son acception générale.
Pendant ce temps, les crimes contre le peuple palestinien et leur culture se poursuivent à un rythme soutenu. Par exemple, en août 2018, les bombardements israéliens ont détruit le centre culturel Said al-Mishal à Gaza.
Les artistes palestiniens se voient systématiquement refuser des visas de sortie pour participer à des manifestations culturelles à l’étranger, et la poétesse palestinienne, Dareen Tatour, est en prison pour avoir « incité au terrorisme » à travers ses vers.
L’apartheid récompensé
Sur quelle base un tel État devrait-il être récompensé par le faste et le glamour du concours de l’Eurovision ? Quel message cette prétention selon laquelle Israël est un État normal envoie-t-elle lorsque sa politique et son comportement sont manifestement en conflit avec autant de normes civilisées que la communauté internationale entend respecter ?
Quel délire pousse des personnalités comme les célébrités britanniques Stephen Fry et Sharon Osborne à écrire une lettre de protestation pour défendre Israël contre le boycott de l’Eurovision prôné par les Palestiniens et les défenseurs de leur cause, au motif que « l’esprit d’unité » serait attaqué ?
Quelle unité se trouve sous l’apartheid ? Le boycott culturel n’a-t-il pas été accepté comme faisant partie du mouvement de lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud ?
Un outil de propagande
D’autres artistes ne sont pas dupes. En janvier, plusieurs écrivains et artistes de renom tels que la créatrice de mode Vivienne Westwood et le réalisateur Mike Leigh ont demandé à la BBC d’annuler sa couverture du concours.
Le musicien Roger Waters a exhorté Madonna à ne pas participer à l’Eurovision et, en septembre 2018, il a écrit aux 41 candidats pour leur demander de se tenir aux côtés des Palestiniens.
Des artistes comme Brian Eno, Lana del Rey et Annie Lennox ont décliné l’invitation de l’Eurovision.
Si quelqu’un doute de la nécessité pour Israël d’utiliser le concours Eurovision à des fins de propagande, son vice-ministre de la diplomatie publique, Michael Oren, a vendu la mèche. Alors que le 5 mai dernier, Israël acceptait les conditions du cessez-le-feu avec le Hamas pour mettre fin à la flambée militaire, il a déclaré : « Le Hamas doit partir, mais juste après nos vacances et l’Eurovision. »
- Ghada Karmi est chargée de recherche à l’Institut d’études arabes et islamiques de l’Université d’Exeter. Elle est née à Jérusalem et a été forcée de quitter sa maison avec sa famille à la suite de la création d’Israël en 1948. La famille a déménagé en Angleterre en 1949, où Ghada Karmi a grandi et fait ses études. Elle a exercé la profession de médecin pendant de nombreuses années, spécialisée dans la santé des migrants et des réfugiés. De 1999 à 2001, Ghada Karmi a été membre associée de la Chatham House, où elle a dirigé un grand projet sur la réconciliation israélo-palestinienne. En 2009, elle est devenue membre de la Royal Society of Arts.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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