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Trump : l’homme autoritaire à la chevelure aux reflets orangés qui hante mes rêves

Oscar Rickett a travaillé sur deux films traitant du président américain tout récemment élu. Ce qu’il a vu lui a fait froid dans le dos et pourtant, c’est lui qui règnera désormais sur la Maison Blanche

Cette année, j’ai travaillé à la réalisation de deux documentaires d’une heure sur Donald Trump, pour la chaîne Channel 4, et il est arrivé, à chaque fois, un moment où l’homme autoritaire à la chevelure aux reflets orangés en venait à hanter aussi bien mes jours que mes nuits. Un moment où ses mots (« Nous allons construire un grand mur à la frontière ») et ses gestes (celui où il pointe un doigt vers le ciel et celui où il forme un « O » avec son pouce et son index) occupaient complètement mon esprit.

Lire : Les États-Unis de Trump – comment expliquer la situation à nos enfants ?

Je suis persuadé que je ne suis pas le seul à penser cela. Le monde est aujourd’hui entre ses mains et cette créature conçue pour réveiller les pensées les plus sombres de notre esprit rôdera bientôt dans les couloirs de la Maison Blanche.

Un ancien membre de l’équipe de Trump a affirmé qu’il n’avait jamais vraiment souhaité devenir le candidat républicain, qu’il voulait simplement se faire de la publicité et puis, tout s’était emballé

Pour le dernier film intitulé President Trump: Can He Really Win? (Président Trump : peut-il réellement gagner ?) (Il s’agit du nom donné aux deux programmes, ne me demandez pas pourquoi), notre reporter Matt Frei s’est rendu dans la ville de Mingo Junction, dans l’Ohio, ravagée et oubliée de tous.

Nous regardions le défilé de l’acier « made in China » sur la voie ferrée jusqu’à une ville américaine où était implantée, jusqu’en 2009, une usine d’acier. Dans un bar, des habitants qui n’avaient jamais voté de leur vie expliquaient qu’ils voteraient pour Trump car lui ne laisserait pas les États-Unis sombrer davantage et permettrait à l’acier de reprendre ses droits à Mingo.

La domination du système

Dans les États de la ceinture de rouille (nom donné aux États industriels de Chicago jusqu’à la côte Atlantique qui longe les Grands Lacs et la frontière canadienne) les emplois ont disparu. Rien n’est venu les remplacer. Ceux qui vivaient confortablement de leur activité d’ouvriers se trouvent désormais plongés dans la précarité.

Meeting après meeting, Trump a évoqué les effets néfastes que les accords de libre échange ont eus sur les travailleurs américains. L’une de ses vidéos préférées montrait un responsable de Carrier, une entreprise spécialisée dans la fabrication de climatiseurs, au moment où il annonçait devant une usine remplie d’employés, dans l’Indiana, que leur usine allait être délocalisée au Mexique.

À Mechanicsburg, en Pennsylvanie, des sympathisants écoutent Trump au cours d’un meeting en août dernier (AFP)

Le capitalisme néolibéral déçoit beaucoup trop de monde ; et tandis qu’Hillary Clinton s’enlise dans ce système, Donald Trump, cet homme qui a assis sa fortune grâce à une main-d’œuvre bon marché et des niches fiscales, a réussi à faire de son passé la raison pour laquelle les Américains peuvent lui faire confiance. Je me suis joué du système donc je sais comment le défaire, a-t-il expliqué.

Et de s’exclamer, lors d’un rassemblement à un moment clé : « Je suis votre voix. » Dans un pays où les millionnaires se sentent, chose exceptionnelle, mal à l’aise, le rêve américain est aujourd’hui encore présent dans tous les esprits. C’est là qu’entre en jeu Trump, le roi du capitalisme, annonçant à la nation qu’il se ralliera à sa cause, qu’elle peut s’émerveiller devant lui et avoir la certitude qu’il agira pour leur bien.

La défaite des personnes les moins influentes

Mais les oubliés de la mondialisation n’allaient pas offrir à Trump la Maison Blanche sur un plateau d’argent, et la vision qu’a le mastodonte de l’immobilier quant aux travailleurs de son pays reposait sur son identité de blanc. Sa campagne a joué tant sur les peurs culturelles qu’économiques, bien que ces deux aspects étaient souvent passés sous silence.

Le fait que le choix final se fasse entre Trump et Hillary en dit long sur la manière dont la démocratie a été mise à mal par l’appât du gain

Les communautés américaines noires, musulmanes, hispaniques, et plus généralement les communautés de couleur, ont été marginalisées, lorsqu’elles n’ont pas fait l’objet d’attaques directes. Leurs préoccupations n’ont pas été prises en compte et leur identité a été reniée. La vision que Trump a du monde fait écho à celle de David Duke, ancien dirigeant du Ku Klux Klan prônant la suprématie blanche : « L’Amérique d’abord », un principe auquel il est déjà fait référence par l’expression « whitelash » (contraction des mots « white » (blanc) et « backlash » (retour de bâton) désignant le racisme dont font preuve les communautés blanches à l’égard des communautés noires).

Dans cet État qui craint d’être le témoin de son propre déclin, un dirigeant autoritaire s’est présenté avec un message simple : nous allons « gagner à nouveau », nous serons à nouveau « heureux ». Cette victoire suppose, dans une certaine mesure, la défaite des personnes qui sont les moins influentes : les minorités raciales et sexuelles, les immigrants et les réfugiés, tous ceux qui ne sont pas prêts à s’investir pour le bien du pays.

Un membre du Black Panther Party sépare les protestants des forces de police au cours d’une manifestation pacifiste visant à dénoncer les bavures policières (AFP)

Si Trump s’était retrouvé face à un meilleur candidat, nous n’en serions pas là : le fait que le choix final dans le cadre de ces élections se fasse entre Trump et Hillary en dit long sur la manière dont la démocratie a été mise à mal par l’appât du gain.

Trump donne l’illusion de la démocratie. Propulsé dans le monde de la politique grâce à sa renommée et la richesse dont il a hérité de sa famille, il prétend vouloir agir pour les gens ordinaires alors qu’il est en fait consumé de l’intérieur par la relation qu’il entretient avec son propre miroir.

Le robot et l’insurgé

En dépit de son sérieux, de son expérience, et de la portée qu’aurait pu avoir sa victoire pour les femmes du monde entier, Hillary Clinton a montré à chacune de ses apparitions qu’elle n’est pas une bonne politicienne en campagne. Qu’elle agit tel un robot, incapable d’éveiller la conscience des électeurs par rapport aux problématiques qui les touchent de près ou de loin ; et qu’elle est trop proche des milieux politique et financier dont les gens se détournent.

Qu’elle ait perdu face à Trump alors que c’est une femme blanche qui a fait des études universitaires est en effet une chose accablante, même si cela en dit long tant sur les idées sexistes qui viennent toujours gangrener la société américaine.

Hillary Clinton et Bernie Sanders lors d’un rassemblement démocrate en septembre 2016 (AFP)

Bernie Sanders, un véritable politique qui possède de réelles idées et un sens du devoir public, a mis en avant à plusieurs reprises cette énorme faiblesse qui dessert Clinton. Loin d’être un homme honnête et jamais véritablement préoccupé par l’intérêt commun, Trump a exploité cette faiblesse.

Kellyanne Conway, la directrice de campagne de Trump, nous a dit qu’il avait atteint le sommet de sa gloire lorsqu’il a joué la carte de l’insurgé, l’outsider venu pour mettre fin à l’establishment au sein de la Maison Blanche et de Wall Street

Kellyanne Conway, la directrice de campagne de Trump, nous a dit qu’il avait atteint le sommet de sa gloire lorsqu’il a joué la carte de l’insurgé, l’outsider venu pour mettre fin à l’establishment au sein de la Maison Blanche et de Wall Street.

Elle nous a également dit que la campagne s’appuyait sur un projet secret appelé « Undercover Trump voters » (Les électeurs de Trump sous couverture) qui visait à identifier les personnes qui voteraient pour Trump mais ne le révèleraient jamais lors des sondages. Il semblerait qu’elle ait eu là une idée en or.

Sur la scène internationale, la manière dont le président Trump abordera la question de la Russie sera cruciale. Les démocrates avaient tort de se focaliser sur une théorie du complot établissant un lien à de nombreux niveaux entre le candidat républicain et la Russie, mais on dirait bien que Trump voit en Vladimir Poutine une sorte d’alter ego.

Dans un magasin de Moscou, de traditionnelles poupées russes en bois à l’image de Vladimir Poutine, d’Hillary Clinton et de Donald Trump (AFP)

En ce qui le concerne, Poutine perçoit probablement Trump comme un Américain égocentrique qu’il peut mener par le bout du nez. Dans les pays situés à la frontière de la Russie, l’inquiétude va crescendo, mais il se pourrait bien que ce soit l’entêtement de Trump à considérer que le changement climatique n’est qu’un vaste canular qui nous rapproche d’une apocalypse que nous voyons désormais se profiler plus en détails.

Cette année, au cours du mois de juillet, j’ai eu l’occasion d’échanger avec un ancien membre de l’équipe de Trump qui affirmait alors qu’il n’avait jamais vraiment souhaité devenir le candidat républicain, qu’il le faisait simplement pour se faire de la publicité et puis, tout s’était emballé.

Si c’est le cas, ce coup de pub a catastrophiquement bien tourné. Trump ne mettra peut-être pas en application la plupart de ses promesses les plus extrêmes, mais la rhétorique fait toute la différence. Il semblerait que l’unité des États-Unis ne soit pas encore à l’ordre du jour.

- Oscar Rickett est un journaliste qui a écrit et travaillé pour ITN, VICE, The Guardian, BBC, Africa Confidential et plusieurs autres médias.

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Photo : Donald Trump photographié à l’occasion d’un meeting dans l’Ohio en septembre 2016 (AFP).

Traduit de l'anglais (original) par Stiil.

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