Arabie saoudite : MBS peut se rapprocher de la Chine, mais il a toujours besoin de la protection des États-Unis
La récente visite du président chinois Xi Jinping à Riyad serait l’aboutissement de nouvelles alliances stratégiques initiées par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane (MBS).
Alors que les relations économiques entre les deux pays sont florissantes depuis plusieurs années, le prince héritier estime qu’il est temps de s’engager avec la Chine au plus haut niveau politique.
Manifestement, l’engagement saoudien avec la Chine, ou d’ailleurs avec la Russie, est toujours interprété comme un éloignement vis-à-vis de Washington.
Il semblerait qu’à l’heure actuelle, le monde ne puisse pas se permettre de contrarier MBS, qui est assis sur d’importantes ressources pétrolières alors que ces ressources sont rares
Il est vrai qu’en 2022, les relations américano-saoudiennes n’ont pas été à leur zénith. Riyad a considéré que Washington se retirait de la région sans projet futur pour renforcer son influence décroissante.
Alors que Washington s’est récemment signalé en ne protégeant pas les gisements pétroliers saoudiens, l’administration américaine continue d’attendre de ses partenaires dans la région qu’ils répondent à ses souhaits.
L’Arabie saoudite a refusé d’augmenter sa production de pétrole après avoir été invitée par les États-Unis à le faire pour atténuer la crise énergétique mondiale. Cependant, MBS a obtenu l’immunité devant les tribunaux américains et est dispensé de poursuites pour l’assassinat du journaliste du Washington Post Jamal Khashoggi ou d’autres crimes.
Après la visite du président Joe Biden à Riyad en juillet et ce récent jugement, MBS s’est senti fort et émancipé.
Il semblerait qu’à l’heure actuelle, le monde ne puisse pas se permettre de contrarier MBS, qui est assis sur d’importantes ressources pétrolières alors que ces ressources sont rares. MBS est ainsi en mesure de démontrer à son public national qu’il est un acteur indépendant qui est maître de son destin et qui protège la souveraineté saoudienne contre les ordres de Washington.
L’image d’un dirigeant stratégique
Le fait de paraître rebelle plaît toujours aux publics locaux et renvoie pour les dirigeants nationalistes une image forte auprès de leurs partisans. MBS a actuellement l’image d’un dirigeant stratégique qui cherche à diversifier ses alliances en réponse au climat politique actuel tout en préservant farouchement l’indépendance de sa nation.
MBS partage avec la Russie et la Chine certains intérêts économiques. Le pétrole est évidemment essentiel pour les deux pays, puisque la Russie a tout intérêt à le vendre à un prix élevé pour financer sa guerre en Ukraine, tandis que la Chine souhaite que le pétrole continue d’affluer d’Arabie saoudite à un prix raisonnable. L’Arabie saoudite et la Chine ont toutes deux la possibilité d’investir leurs fonds excédentaires dans leur économie.
Par ailleurs, les trois pays partagent une vision idéologique qui lie la prospérité économique à un régime autoritaire plutôt qu’à une démocratie libérale.
Le développement capitaliste reste dirigé par l’État, avec la ferme conviction que seul un régime autoritaire peut apporter prospérité et croissance. Dans les trois pays, la démocratie est perçue comme préjudiciable à la croissance économique et chacun tient à montrer que la prospérité peut se concrétiser sous une autocratie forte.
MBS a engagé une démarche de privatisation et de libéralisation de l’économie, mais refuse de lâcher complètement l’économie et de permettre à un secteur privé saoudien faible de prendre l’initiative et de récolter les louanges pour toute croissance. Il souhaite toujours que l’État soit au centre du leadership et de la croissance économique.
Cette perspective convient à ses nouveaux partenaires à Moscou et Beijing, qui apprécient tous deux l’opacité et le rejet des notions de droits de l’homme, de droit du travail et des autres signes extérieurs caractéristiques d’une démocratie libérale occidentale.
Toutefois, les intérêts économiques que l’Arabie saoudite partage avec la Russie et la Chine, au-delà de leur proximité idéologique, ne suffisent pas à déloger complètement les États-Unis de la péninsule Arabique.
Accélérer le désengagement américain dans la région
MBS exagère peut-être sa capacité à exercer son autorité lorsqu’il s’agit de choisir et de diversifier les partenaires économiques de l’Arabie saoudite, mais cette autorité est limitée lorsqu’il est question d’alliances militaires et politiques.
Il doit observer avec grand intérêt la réaction unifiée de l’Occident à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le vaste régime de sanctions économiques et financières imposé à Moscou.
Pour un pays dépendant du pétrole, dont la monnaie est arrimée au dollar américain et dont l’armée est équipée et entraînée par les États-Unis, il serait insensé d’imaginer que les États-Unis peuvent être remplacés par d’autres puissances dans un avenir proche.
L’Arabie saoudite continue de compter sur la protection des États-Unis. Ni la Chine, ni la Russie ne peuvent jouer ce rôle. La Chine est réticente à l’idée d’être entraînée dans un conflit militaire en dehors de ses frontières et il est peu probable qu’elle se précipite pour défendre l’Arabie saoudite contre toute attaque étrangère.
La Russie semble coincée dans une guerre d’usure en Ukraine sans perspective de victoire imminente.
Si le prince héritier saoudien continue de flirter avec la Chine au détriment des relations avec les États-Unis, il pourrait en réalité finir par accélérer le désengagement américain dans la région, en particulier vis-à-vis de son propre pays.
Il peut continuer de se rapprocher de la Chine sur le plan économique, mais il doit savoir quand il franchit les lignes rouges américaines. Pour des raisons évidentes, toute alliance russo-saoudienne serait très dangereuse pour Riyad.
MBS peut s’affirmer autant qu’il le souhaite et autant que sa machine de propagande le lui permet. Mais penser qu’il peut remplacer à court terme les États-Unis par la Chine est non seulement irréaliste mais aussi insensé
MBS peut s’affirmer autant qu’il le souhaite et autant que sa machine de propagande le lui permet. Mais penser qu’il peut remplacer à court terme les États-Unis par la Chine est non seulement irréaliste mais aussi insensé.
Il devra accepter que tant que les capacités militaires de l’Arabie saoudite seront non seulement faibles mais aussi dépendantes des États-Unis, l’implication de la Chine en Arabie saoudite devra rester économique et technologique.
- Madawi al-Rasheed est professeure invitée à l’Institut du Moyen-Orient de la London School of Economics. Elle a beaucoup écrit sur la péninsule arabique, les migrations arabes, la mondialisation, le transnationalisme religieux et les questions de genre. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @MadawiDr.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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