Aller au contenu principal

Sommet sino-arabe : l’avenir du Golfe est peut-être en jeu

Un possible accord de libre-échange, des transactions pétrolières en yuans et une adhésion aux BRICS Plus renforceraient considérablement les liens entre le Golfe et la Chine et remettraient encore plus en cause l’hégémonie américaine
Poignée de main entre Mohammed ben Salmane, alors vice-prince héritier saoudien, et le président chinois Xi Jinping, le 4 septembre 2016 à Hangzhou (AFP)
Poignée de main entre Mohammed ben Salmane, alors vice-prince héritier saoudien, et le président chinois Xi Jinping, le 4 septembre 2016 à Hangzhou (AFP)

Depuis le début de la pandémie de covid-19, le président Xi Jinping n’a quitté la Chine qu’une seule fois, pour se rendre au Kazakhstan et en Ouzbékistan en septembre 2022. Xi Jinping a atterri ce mercredi 7 décembre à Riyad pour une visite de trois jours qui le conduira à rencontrer le roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz al-Saoud et le prince héritier Mohammed ben Salmane.

À l’occasion de sa visite, l’Arabie saoudite a également décidé d’accueillir le tout premier sommet sino-arabe, qui se tiendra le 9 décembre. Bien qu’aucun autre détail n’ait été communiqué, des invitations à l’événement ont été adressées à des dirigeants de toute la région MENA. Nombreux sont ceux qui se demandent à quoi s’attendre.

L’annonce d’un sommet sino-arabe est lourde de sens. Dans une période marquée par des relations tendues entre Riyad et Washington, elle témoigne de l’évolution de la dynamique du pouvoir dans le Golfe et il est essentiel de cerner les intérêts en jeu – ainsi que leurs points de convergence. Que veut la Chine ? Qu’en est-il des monarchies du Golfe, en particulier l’Arabie saoudite ?

Comme nous le verrons, dans la mesure où les objectifs de la Chine et du Golfe s’alignent dans de nombreux domaines, le sommet ne peut que produire de nouvelles synergies.

Les discussions portant sur un accord de libre-échange entre le Conseil de coopération du Golfe (CCG) et la Chine ont emprunté un chemin long et cahoteux. Entamées dès 2004, elles ont été suspendues en 2009 et relancées en 2016, avant de s’interrompre à nouveau en 2017, lorsque les divisions au sein du CCG ont abouti à la crise diplomatique du Qatar.

Un pétrole échangé en yuans

Toutefois, en 2021, les monarchies du Golfe ont rétabli leurs liens et recommencé à travailler en bloc. À l’heure actuelle, les dirigeants de la Chine et du CCG ne s’en cachent pas : le moment semble enfin venu de conclure l’accord de libre-échange Chine-CCG tant attendu.

L’ambassadeur de Chine aux Émirats arabes unis, Zhang Yiming, a récemment déclaré que les négociations sur l’accord de libre-échange entre la Chine et le CCG étaient entrées dans « la phase finale et critique » et que les deux parties « [s’étaient] accordées sur la plupart des points ».

La Chine se tourne vers le Golfe pour accroître sa projection de puissance
Lire

Cela devrait se traduire par des avantages mutuels substantiels – en 2020, la Chine devait remplacer l’Union européenne en tant que premier partenaire commercial du CCG, avec un commerce bilatéral total évalué à 161,4 milliards de dollars.

Un accord de libre-échange ne ferait qu’accroître le commerce international entre la Chine et ce bloc et l’on peut s’attendre à ce que le sommet relance les discussions autour de négociations qui couvent depuis longtemps.

Au cours des six dernières années, Beiking et Riyad ont occasionnellement évoqué l’éventualité de contrats pétroliers en yuans. Le sommet pourrait par ailleurs servir de cadre pour de nouvelles discussions ciblées.

Dans ses efforts pour internationaliser le yuan, la Chine a trouvé un partenaire intéressant à Riyad : Beijing achète plus de 25 % des exportations de pétrole du royaume et si le prix de ces transactions était fixé en yuan, le pétrole saoudien pourrait aider le renminbi chinois à renforcer son statut de monnaie mondiale.

Par ailleurs, une telle démarche pourrait créer un précédent et inciter d’autres pays riches en pétrole à suivre l’exemple et à fixer le prix de leurs exportations en yuans.

Il est néanmoins important de prendre ces scénarios avec des pincettes. Le dollar est depuis longtemps la monnaie par défaut du marché de l’énergie – l’Arabie saoudite l’utilise depuis 1974 à la suite d’un accord avec l’administration Nixon qui a accouché de la formule largement connue sous l’appellation « pétrole contre sécurité ».

De toute évidence, une relance des discussions sur des transactions pétrolières en pétroyuans serait un signe que les normes d’un ordre mondial sous domination américaine sont de plus en plus érodées par de nouvelles alternatives

Le riyal saoudien est indexé sur le dollar, ce qui signifie que toute faiblesse de cette monnaie se répercuterait en définitive à Riyad.

De plus, le royaume pourrait être réticent à accumuler de grandes quantités de renminbis chinois. Cependant, les sanctions punitives contre la Russie ont également ravivé de vieilles craintes liées à un système commercial dominé par le dollar. Ainsi, des pays comme l’Arabie saoudite pourraient chercher à réduire leur dépendance à l’égard de cette monnaie.

Beijing est dans une position qui lui permet de s’employer à internationaliser le yuan en offrant au royaume des avantages attrayants – par exemple en investissant massivement dans ses mégaprojets ambitieux.

De toute évidence, une relance des discussions sur des transactions pétrolières en pétroyuans (la monnaie chinoise destinée au commerce du pétrole) serait un signe que les normes d’un ordre mondial sous domination américaine sont de plus en plus érodées par de nouvelles alternatives.

Visions

L’élargissement des BRICS – le groupe rassemblant les économies émergentes du monde (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) – est un autre domaine où les objectifs du CCG sont clairement compatibles avec les intérêts de Beijing.

Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a récemment annoncé l’idée des « BRICS Plus », un cadre qui résume cette intention d’ouvrir l’organisation à de nouveaux membres.

La Chine devient un fournisseur d’armes de choix pour de nombreux pays du Moyen-Orient
Lire

L’Arabie saoudite comme les Émirats arabes unis n’ont pas tardé à faire part de leur souhait d’y adhérer. Au-delà des discussions sur l’accord de libre-échange et l’éventualité de transactions pétrolières en pétroyuans, on peut également s’attendre à ce que le sommet sino-arabe soit l’occasion de se pencher sur les BRICS Plus.

« Nous avons tous une dépendance maladive vis-à-vis du pétrole en Arabie saoudite », a déclaré MBS en 2016, avant de dévoiler son plan de réforme Vision 2030.

En effet, les « visions » sont un mot clé répandu dans le Golfe, où chacune des six monarchies a élaboré une stratégie de diversification nationale dans le but de s’éloigner d’une économie basée sur le pétrole.

Le Qatar a lancé « National Vision 2030 », parallèlement à « Vision 2035 » au Koweït, « Vision 2040 » à Oman, « Economic Vision 2030 » à Bahreïn et « We the UAE 2031 » aux Émirats arabes unis.

Les domaines clés de ce processus de diversification sont le secteur maritime, avec la construction d’infrastructures portuaires, et le développement d’un secteur high-tech solide. L’initiative chinoise de nouvelle route de la soie, avec ses opportunités infrastructurelles et technologiques, est en mesure d’aider le Golfe à guérir de sa « dépendance au pétrole ».

Le roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz al-Saoud passe en revue une garde d’honneur en compagnie du président chinois Xi Jinping au palais de l’Assemblée du peuple à Beijing, le 16 mars 2017 (AFP)
Le roi d’Arabie saoudite Salmane ben Abdelaziz al-Saoud passe en revue une garde d’honneur en compagnie du président chinois Xi Jinping au palais de l’Assemblée du peuple à Beijing, le 16 mars 2017 (AFP)

La technologie 5G de la Chine est essentielle pour aider les Émiratis et les Saoudiens à développer leurs « ports intelligents » et à améliorer leur efficacité opérationnelle.

À Abou Dabi, le constructeur chinois de véhicules électriques intelligents NWTN est impliqué dans la construction d’une usine de véhicules électriques.

Non loin de là, dans la métropole futuriste de Dubaï, une voiture volante construite par la société chinoise XPeng AeroHT a connu son premier lancement public en octobre 2022.

Entièrement électrique et capable d’éviter le trafic, elle pourrait selon les experts être prête à être utilisée par le grand public dans seulement cinq ans. Il s’agit ainsi d’une réalité croissante dans le Golfe et le sommet devrait porter ces synergies économiques à un niveau supérieur.

Un message subtil adressé aux Américains

Le sommet sino-arabe intervient dans un contexte de détérioration des relations entre Washington et Riyad. La récente décision du royaume de réduire la production de pétrole et de faire remonter les prix du brut a été largement perçue aux États-Unis comme une gifle assénée par un allié de longue date.

L’organisation par Riyad d’un sommet sino-arabe est un message subtil adressé aux Américains : l’Arabie saoudite a clairement l’intention de se montrer plus autonome dans ses décisions.

Bras de fer avec l’OPEP+ : les États-Unis ont perdu le contrôle de leurs alliés du Golfe
Lire

Sur cette voie, Riyad serait réticent à laisser les États-Unis contrôler ses alliances. À l’inverse, avec le sommet qui s’annonce, le golfe Persique prépare le terrain pour bénéficier davantage de l’engagement de Beijing dans la région.

Les discussions autour d’un accord de libre-échange, de potentielles transactions pétrolières en yuans, d’une adhésion aux BRICS Plus et d’une coopération technologique à grande échelle sont de puissants indicateurs de cette réalité.

En juillet, le président américain Joe Biden a écrit dans le Washington Post qu’il se rendrait au Moyen-Orient pour ouvrir un « chapitre plus prometteur de l’engagement américain dans la région ».

Il a également affirmé que pour concurrencer la Chine, les États-Unis devaient s’engager auprès de pays comme l’Arabie saoudite. Pour l’instant, il semblerait que ces efforts ne soient pas fructueux.

On ignore comment Washington entend réagir à l’avenir. Une nouvelle politique au Moyen-Orient pourrait être nécessaire pour reconstruire une influence que les États-Unis sont manifestement en train de perdre. 

- Carlotta Rinaudo est chercheuse au sein de l’unité consacrée à la Chine de l’ITSS Verona (International Team for the Study of Security Verona – www.itssverona.it).

- Zeno Leoni est chargé de cours en « Défis pour l’ordre international » au département des études de défense au King’s College de Londres, associé au Lau China Institute et chercheur invité à l’Universidad Nebrija. Ses recherches actuelles se concentrent sur la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Carlotta Rinaudo is a researcher in the China unit of the International Team for the Study of Security Verona (ITSS Verona - www.itssverona.it).
Zeno Leoni is a Teaching Fellow in "Challenges to the International Order" at the Defence Studies Department of King's College London, an affiliate to the Lau China Institute and a visiting scholar at Nebrija University. He is currently researching on the New Cold War between the US and China.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].