Aller au contenu principal

La Chine se tourne vers le Golfe pour accroître sa projection de puissance

Alors que la visite de Xi Jinping à Riyad vient d’être confirmée, un nouveau porte-avions plus avancé sur le plan technologique laisse entrevoir les ambitions plus vastes de Beijing dans la région
Des soldates chinoises participent à une cérémonie à Beijing, en novembre 2019 (AFP)
Des soldates chinoises participent à une cérémonie à Beijing, en novembre 2019 (AFP)

Deux événements récents ont attiré l’attention sur la projection de puissance de la Chine à l’étranger.

Début août, les forces militaires chinoises ont effectué une série d’exercices militaires à Taïwan à la suite de la visite à Taipei de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, démontrant ainsi comment elles pourraient encercler l’île et la soumettre à un blocus si nécessaire.

Des rumeurs ont ensuite circulé, laissant entendre que le premier voyage du président Xi Jinping hors de Chine depuis le début de la pandémie de covid-19 pourrait avoir lieu en Arabie saoudite.

L’annonce de la visite de Xi Jinping en Arabie saoudite risque d’irriter encore davantage les États-Unis, partenaires clé des pays pétroliers du Golfe, qui voient d’un mauvais oeil ce rapprochement avec leur grand rival chinois (AFP/Wang Zhao)
L’annonce de la visite de Xi Jinping en Arabie saoudite risque d’irriter encore davantage les États-Unis, partenaires clé des pays pétroliers du Golfe, qui voient d’un mauvais œil ce rapprochement avec leur grand rival chinois (AFP/Wang Zhao)

Vendredi 28 octobre, le ministre saoudien des Affaires étrangères Fayçal ben Farhane a confirmé que Xi Jinping, reconduit le 23 octobre à la tête du Parti communiste, pour un troisième sacre après une décennie à la tête du pays, était attendu à Riyad. 

Cette annonce intervient au moment où l’Arabie saoudite et son partenaire américain s’écharpent sur les prix du pétrole, les États-Unis reprochant à Riyad une connivence politique avec la Russie, un autre rival géopolitique.

Le ministre saoudien a également évoqué la tenue en Arabie saoudite de plusieurs sommets entre Beijing et Riyad, un autre avec les États du Golfe et un dernier avec tous les pays arabes.

Des effets limités à court terme

Ce voyage est d’une importance particulière à un moment où la mise en place par la Chine d’un réseau de ports à double usage (civil et militaire) dans toute la région de l’océan Indien suscite de plus en plus de préoccupations.

Ces événements qui ne semblent avoir aucun lien entre eux se sont produits quelques semaines après le lancement par la Chine de son troisième porte-avions, le Fujian, dans le but de combler l’écart avec les États-Unis et d’accroître sa projection de puissance.

La Chine devient un fournisseur d’armes de choix pour de nombreux pays du Moyen-Orient
Lire

Premier porte-avions conçu et fabriqué par la Chine sur son territoire, ce modèle est également le plus avancé, avec un poids de 80 000 tonnes et un système de lancement assisté par catapulte électromagnétique.

Quelles sont les répercussions de cette avancée technologique pour le Golfe ? Ce porte-avions pourrait-il changer la donne dans l’équilibre des forces militaires régionales ?

Si, à long terme, le Fujian contribuera aux efforts de la Chine pour accroître la puissance de sa force navale, ses effets à plus court terme pourraient être plus limités.

Il faudra encore quelques années avant que le Fujian soit pleinement opérationnel. Par ailleurs, posséder et déployer un porte-avions peut se révéler un handicap de nos jours. À l’ère des missiles hypersoniques, les porte-avions deviennent de plus en plus vulnérables.

Des armes hypersoniques

Lorsqu’il était secrétaire à la Défense des États-Unis, James Mattis a affirmé que l’époque des porte-avions était révolue et débattu âprement de leur avenir avec la Navy. Si Mattis a perdu le bras de fer à l’époque, le débat à plus grande échelle perdure.

En procédant récemment à des essais de missiles hypersoniques, la Chine a lancé un défi à l’Occident, que le pacte AUKUS comprenant la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Australie a décidé de relever en début d’année en s’engageant à collaborer au développement d’armes hypersoniques.

La Marine nationale française participe à un exercice maritime dans l’océan Indien, le 29 mars 2022 (AFP)
La Marine nationale française participe à un exercice maritime dans l’océan Indien, le 29 mars 2022 (AFP)

Il est clair que les porte-avions, que les analystes décrivent comme des « cibles évidentes » en cas de conflit, ne deviendront pas la pièce maîtresse de la politique étrangère et militaire chinoise dans le Golfe.

Alors que la Chine lance son nouveau porte-avions, la marine chinoise reste concentrée sur « les opérations militaires à grande échelle autour de sa périphérie maritime », selon l’US-China Economic and Security Review Commission (USCESRC).

Dans un avenir proche, la Chine continuera de faire face à des défis et elle dispose d’une palette limitée d’options en matière de déploiement militaire.

L’équilibre du pouvoir militaire dans l’océan Indien montre que la marine chinoise est dépassée par les capacités navales combinées des États-Unis, de l’OTAN et de l’Inde.

L’équilibre du pouvoir militaire dans l’océan Indien montre que la marine chinoise est dépassée par les capacités navales combinées des États-Unis, de l’OTAN et de l’Inde

Ainsi, même lorsque le nouveau porte-avions sera opérationnel, Beijing devra limiter ses ambitions de puissance dans le nord de l’océan Indien et dans le Golfe. Ces défis s’intensifient à mesure que la marine chinoise s’éloigne de son territoire national.

Les pays du Golfe s’intéressent davantage à l’idée – exprimée par certains analystes militaires occidentaux – selon laquelle la Chine pourrait déployer ses porte-avions face à des États moins puissants ou des adversaires qui ne sont pas des acteurs étatiques, comme l’ont fait les États-Unis pendant et après la guerre froide.

En effet, dans les années à venir, la Chine cherchera à améliorer ses capacités expéditionnaires pour « mener une guerre limitée à l’étranger », souligne l’USCESRC. Cela aura un impact pour le Golfe, car le porte-avions aidera la Chine à protéger plus efficacement ses intérêts commerciaux et à préserver la stabilité.

S’opposer aux pratiques hégémoniques

Fin janvier, le ministre chinois de la Défense, le général Wei Fenghe, a déclaré que Beihjing et Riyad devaient « renforcer la coordination et s’opposer conjointement aux pratiques hégémoniques et d’intimidation ».

Ces propos ont été formulés dans le contexte de frappes de missiles lancées par les Houthis yéménites contre les Émirats arabes unis, où résident plus de 200 000 Chinois.

Toute intervention dans un tel scénario pourrait affecter les relations de Beijing avec Téhéran, et compte tenu de la culture stratégique prudente de la Chine, toute action militaire serait coordonnée avec les puissances locales de manière à ne pas interférer avec leurs affaires internes.

La Chine, partenaire ou rivale des Émirats arabes unis dans le Golfe ?
Lire

Pourtant, sa dépendance à l’égard des sources d’énergie du Golfe la rend vulnérable aux ruptures d’approvisionnement et aux flambées des prix nourries par les conflits. Cela obligera la Chine à adopter une posture militaire plus audacieuse si nécessaire, pour des raisons pratiques.

Dans ce contexte, le porte-avions chinois serait un outil diplomatique essentiel qui pourrait être utilisé pour patrouiller dans les eaux autour du Golfe, rassurer les partenaires, affirmer la détermination politico-militaire du pays et forger des coalitions. À l’heure du désengagement américain dans le Golfe, c’est exactement ce que la Chine doit faire pour s’assurer des partenariats régionaux.

Le nouveau porte-avions chinois envoie donc un message important aux pays du Golfe. La marine chinoise est déterminée à projeter une grande puissance militaire, ce qui pourrait constituer un atout pour les pays du Golfe dans une optique de sécurité régionale, en dépit de la neutralité diplomatique de la Chine sur les questions litigieuses.

Cependant, le premier porte-avions chinois véritablement moderne montre également que les efforts déployés par la Chine pour se doter d’une marine capable d’aller à l’étranger n’en sont qu’à leurs débuts. La Chine continue donc d’afficher les traits d’une puissance forte et faible à la fois.

Zeno Leoni est chargé de cours en « Défis pour l’ordre international » au département des études de défense au King’s College de Londres, associé au Lau China Institute et chercheur invité à l’Universidad Nebrija. Ses recherches actuelles se concentrent sur la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et actualisé.

Zeno Leoni is a Teaching Fellow in "Challenges to the International Order" at the Defence Studies Department of King's College London, an affiliate to the Lau China Institute and a visiting scholar at Nebrija University. He is currently researching on the New Cold War between the US and China.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].