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L’hydrogène vert, le nouvel accaparement européen des ressources d’Afrique du Nord

Le modèle énergétique néocolonial de l’Europe s’est construit sur l’exploitation des peuples du Sud, et l’Afrique du Nord semble encore une fois la cible de l’avidité européenne et de ses tentatives d’accaparement des ressources
Un fermier marocain passe devant des panneaux solaires dans le village de Tafoughalt, en octobre 2016 (AFP)

À la suite de l’invasion de l’Ukraine, l’Union européenne (UE) a l’intention de mettre un terme à sa dépendance au gaz russe – le remplaçant en partie par l’hydrogène. Selon REPowerEU, un plan sur lequel se sont accordés les dirigeants européens en début d’année, l’UE veut importer jusqu’à 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable – ou « vert » – d’ici 2030.

Cependant, l’enthousiasme qui accompagne cette transition vers les énergies de substitution a un prix, et il est élevé. Cela contribue à la création et au renforcement de zones sacrifiées où sont capturées ces ressources énergétiques, notamment en Afrique du Nord, qui semble encore une fois la cible de l’avidité européenne et de ses tentatives d’accaparement de nouvelles ressources. 

Une étude publiée par le Corporate Europe Observatory et le Transnational Institute souligne de nombreux problèmes avec ce projet d’importation d’hydrogène depuis l’Afrique du Nord. Les coûts élevés de production et de transport montrent que les ambitions européennes sont très irréalistes.

Que l’Europe atteigne ses propres objectifs au détriment des pays nord-africains n’est pas seulement absurde, cela relève aussi de l’exploitation. L’élan en faveur de l’hydrogène vert est l’illustration parfaite de l’accaparement néocolonial des ressources

Même si l’hydrogène est produit à l’aide de sources renouvelables, sa production ne sera pas constante du fait de leur intermittence. Les usines d’hydrogène seront donc connectées au réseau électrique, souvent alimenté par des énergies fossiles. Par exemple, un parc photovoltaïque moyen peut produire seulement 20 à 25 % de sa capacité installée totale (la puissance électrique maximale qu’un générateur d’électricité peut produire) car le soleil ne brillera que la moitié du temps et pas suffisamment le matin et le soir.

Le projet de construction d’une usine d’hydrogène vert alimentée par l’énergie solaire d’une capacité d’un gigawatt en Algérie par la multinationale italienne Eni souligne ces défis. Cette usine ne fournirait qu’environ 0,2 % des exportations de gaz de l’Algérie.

Ainsi, si le pays devait basculer ses exportations du gaz à l’hydrogène, il devrait installer 500 gigawatts de panneaux solaires, plus d’un millier de fois les capacités existantes. En plus des coûts très élevés de production, l’utilisation des terres, de l’eau et des ressources primaires serait également profondément affectée.

Coûts qui explosent

Les coûts de transport sont également prohibitifs. Il faut bien plus d’énergie pour transporter l’hydrogène que le gaz. Il est probable que l’Égypte et le Maroc exporteraient de l’hydrogène vert via des tankers. Il faut trois fois plus d’énergie pour liquéfier ce gaz et l’hydrogène transporté ne contiendrait que 27 % de l’énergie contenue dans un volume équivalent de gaz naturel.

L’Égypte explore le remplacement des combustibles marins polluants par du méthanol vert et de l’ammoniac vert produits à partir d’hydrogène vert. Mais outre leur toxicité avérée, tous deux sont quatre à cinq fois plus chers que les combustibles existants. 

La production et les coûts de transport de l’hydrogène et des combustibles « verts » qui lui sont associés constituent une inquiétude majeure. Mais ces coûts sont d’autant plus alarmants que l’hydrogène produit en Afrique du Nord est destiné à répondre aux besoins énergétiques de l’UE. Si l’Europe devait utiliser l’hydrogène nord-africain, cela coûterait onze fois plus que le gaz naturel. D’où la question : qui va payer ces coûts ?

La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’exprime à Bruxelles, le 28 septembre 2022 (AFP)
La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen s’exprime à Bruxelles, le 28 septembre 2022 (AFP)

En réalité, l’intérêt croissant de l’UE pour l’hydrogène vert est un cheval de Troie pour l’industrie gazière, lui permettant de poursuivre ses activités dans les combustibles fossiles. En effet, outre l’hydrogène « vert », l’UE promeut également l’hydrogène « bas carbone », fabriqué à partir du gaz et selon lequel le CO2 est capturé et enfoui sous terre (dit hydrogène « bleu »).

Selon l’Union européenne, il s’agirait d’un « combustible de transition » vers l’hydrogène vert. Il convient de noter ici que moins de 1 % de l’hydrogène produit en Europe est vert. L’hydrogène bleu n’est pas simplement pire pour le climat que l’hydrogène vert, il est également pire que le gaz fossile. 

En créant un tel emballement autour de l’économie de l’hydrogène, les sociétés gazières européennes espèrent sûrement que la demande excédera l’offre d’électricité renouvelable nécessaire à l’hydrogène « vert » et que l’UE (ou le monde entier) sera contrainte de compter sur l’hydrogène bleu. De cette façon, ce qui est supposé être un « combustible de transition » pourrait dans les faits devenir un « combustible de destination ».

Écran de fumée européen

Dans son récent discours sur l’état de l’Union, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé un énorme financement public pour couvrir les coûts élevés de l’hydrogène. L’Union européenne va créer une banque européenne de l’hydrogène dotée de trois milliards d’euros. Ces fonds sont censés couvrir le fossé initial entre les coûts de production et de vente.

Le Vieux Continent est en pleine crise du coût de la vie alors que les prix de l’énergie grimpent à une vitesse alarmante, est-ce là une meilleure utilisation des ressources limitées qu’un programme massif d’isolation des logements et de lutte contre la précarité énergétique ?  

Supposons une minute que l’Union européenne puisse couvrir totalement les coûts pour ses consommateurs. On pourrait alors se demander s’il ne serait pas plus sage pour des pays tels que le Maroc, l’Algérie et l’Égypte de s’assurer d’atteindre leurs propres objectifs en matière d’électricité renouvelable et de climat plutôt que de répondre aux besoins énergétiques européens. 

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Que l’Europe atteigne ses propres objectifs au détriment des pays nord-africains n’est pas seulement absurde, cela relève aussi de l’exploitation. L’élan en faveur de l’hydrogène vert est l’illustration parfaite de l’accaparement néocolonial des ressources rendu possible par la relation étroite entre les multinationales européennes, les dirigeants politiques et les élites locales. 

L’intérêt de l’UE pour l’hydrogène va au-delà de l’Afrique du Nord, elle ambitionne de créer un marché mondial de l’hydrogène pour satisfaire ses propres besoins. Elle prétend amener un développement durable et juste au monde mais ce n’est qu’un simple écran de fumée. Des pays tels que le Chili et l’Afrique du Sud sont également affectés par la quête européenne d’hydrogène vert.

Cette volonté de conclure de nouveaux accords de libre-échange dans l’intention d’importer de l’hydrogène souligne en outre clairement que derrière le discours de coopération mutuelle, il y a en fait un commerce unilatéral de la périphérie vers le centre. Les traités de libre-échange ont prouvé leur capacité de destruction environnementale, sociale et économique.

Serait-ce juste pour les populations locales d’être contraintes de voir leurs terres et leur eau détruites et accaparées par des mégaprojets visant à produire de l’hydrogène vert pour l’UE ? La ruée corporatiste européenne vers le profit perpétue les dangers posés par l’extractivisme prédateur, qui est imposé aux communautés locales.

Afin de rompre catégoriquement avec le modèle énergétique néocolonial bâti sur l’assujettissement des peuples du Sud, l’Union européenne doit renoncer totalement à ses objectifs chimériques d’importation d’hydrogène et se reconcentrer sur les investissements qui promettent des énergies renouvelables et une efficacité énergétique de manière juste. 

- Hamza Hamouchene est le coordinateur du programme Afrique du Nord au Transnational Institute (TNI). Ses écrits ont été publiés dans le Guardian, le Huffington Post, Counterpunch, Jadaliyya, New Internationalist et sur openDemocracy. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @bentoumert.

- Ouafa Haddioui est une chercheuse féministe sur le genre et la justice environnementale qui travaille actuellement en tant qu’adjointe sur le programme Afrique du Nord au Transnational Institute (TNI).

- Pascoe Sabido est un chercheur et militant au Corporate Europe Observatory. Il cherche à dévoiler le pouvoir des industries pétrolières et gazières au sein de l’Union européenne et de l’Organisation des Nations unies.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye. 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Hamza Hamouchene is the North Africa Programme Coordinator at the Transnational Institute (TNI). His writings appeared in the Guardian, Huffington Post, Counterpunch, Jadaliyya, New Internationalist and openDemocracy. He tweets @bentoumert
Ouafa Haddioui is a feminist researcher on gender and environmental justice woking currently as North Africa Programme assistant at Transnational Institute (TNI).
Pascoe Sabido is a researcher and campaigner with Corporate Europe Observatory, focused on exposing the power of the oil and gas industry in the European Union and at the level of the United Nations.
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