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Maghreb : en attendant Marine Le Pen ou Mélenchon

Faire profil bas avec la Tunisie, gérer les susceptibilités avec l’Algérie et continuer à flatter le Maroc : quel ton sera celui du nouveau gouvernement français avec les pays d’Afrique du Nord ? Sans doute celui de la continuité
Le parti du président Emmanuel Macron et ses alliés centristes sont au coude-à-coude avec une coalition de partis de gauche conduite par Jean-Luc Mélenchon, le parti d’extrême droite de Marine Le Pen arrivant en troisième position (AFP/Ludovic Marin)
Le parti du président Emmanuel Macron et ses alliés centristes sont au coude-à-coude avec une coalition de partis de gauche conduite par Jean-Luc Mélenchon, le parti d’extrême droite de Marine Le Pen arrivant en troisième position (AFP/Ludovic Marin)

Une fois passée l’élection présidentielle, les législatives qui suivent le second mandat d’un président français chamboulent quelquefois la donne politique en concédant la victoire à l’opposition.

C’est ce qu’on appelle, en France, la « cohabitation » : un président issu de l’ancienne majorité se retrouve obligé de gouverner avec un Premier ministre chef de file de l’ex-opposition devenue majoritaire à l’Assemblée nationale.

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Emmanuel Macron est considéré depuis la dernière présidentielle comme le président le plus mal élu de la Ve République, mais son parti, Renaissance (ex-LREM), est pour l’instant donné vainqueur dans les sondages.

Si ces derniers voient juste, il n’est pas nécessaire d’extrapoler sur ce qui va venir après. Si les sondages se trompent en revanche, la France va se retrouver dans une situation inédite dans l’histoire de la République.

Comme la droite, la gauche et l’écologie traditionnelles françaises ont été laminées lors du scrutin présidentiel, le prochain vainqueur des législatives risque d’être le Rassemblement national (RN, extrême droite de Marine Le Pen) – ce que ne prévoient pas les sondages – ou la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), une coalition de partis se situant à la gauche de l’échiquier politique et conduite par La France insoumise, la formation politique dirigée par Jean-Luc Mélenchon.

La NUPES se positionnerait après Renaissance, selon les dernières estimations, gagnant en voix mais pas en sièges en raison de la concentration du vote pro-Mélenchon dans certaines circonscriptions électorales.

Dans cette France où se bousculent depuis quelques années des termes nouveaux comme le wokisme, l’indigénisme et le séparatisme, qu’on a accolés de force à la peau de la population musulmane française, les prochaines semaines risquent d’être incandescentes.

D’où la question : quel type de relations aura le prochain gouvernement français avec le Maghreb au cas où Renaissance perdrait les élections législatives ? Comment se comportera l’extrême droite ou la NUPES avec la Tunisie, l’Algérie et le Maroc ?

La Tunisie

Pour la Tunisie, sauf gros imprévu ou sortie tonitruante d’un quelconque responsable français, les relations entre l’Hexagone et son ancien protectorat ne risquent pas d’être perturbées outre mesure.

C’est ainsi depuis longtemps. La France, qui avait soutenu dans le passé la dictature du général Ben Ali, a dû opérer depuis la révolution de 2010-2011 un aggiornamento dans ses relations avec Tunis.

Emmanuel Macron et Kais Saied en conférence de presse à Paris, le 22 juin 2020 (AFP/Christophe Petit Tesson)
Emmanuel Macron et Kais Saied en conférence de presse à Paris, le 22 juin 2020 (AFP/Christophe Petit Tesson)

En ces temps troubles d’accaparation musclée du pouvoir par le président Kais Saied, la France, qu’elle soit de Le Pen ou de Mélenchon, ne sera pas en mesure de donner des leçons de morale ou de démocratie aux Tunisiens. Pour ne pas trop leur rappeler qu’elle leur doit encore des excuses pour les péchés d’antan.

L’Algérie

Pour l’Algérie, la situation ne devrait pas trop évoluer non plus. La relation en Paris et Alger restera ce qu’elle est : à fleur de peau, compliquée et prompte à l’emballement.

On en a eu un exemple l’année dernière quand le président Macron a eu la témérité d’évoquer le « système politico-militaire », la « rente mémorielle » et a fait part de ses doutes sur l’existence d’une « nation algérienne » avant la colonisation française.

Des trois États du Maghreb, c’est l’Algérie qui a souffert le plus pour se débarrasser de son statut d’appendice français en plein milieu du Maghreb. De 1830 à 1962, l’Algérie était la France, à l’instar des Pays de la Loire ou de la Franche-Comté, sauf pour une chose : la condition de ses habitants musulmans, les légitimes propriétaires du pays réduits à l’état de sous-citoyens.

Certains espèrent qu’en cas de victoire de Mélenchon aux législatives, les relations entre Paris et Alger pourraient s’améliorer ostensiblement.

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Fils d’un pied-noir d’Algérie, Mélenchon est l’artisan du réveil du vote dit « maghrébin » lors de la dernière présidentielle. Il a littéralement raflé la mise, aidé en cela par le discours ouvertement islamophobe de l’autre candidat de l’extrême droite, Éric Zemmour, qui a provoqué la ruée des musulmans de France dans les bras de La France insoumise.

Si on ajoute les sympathies naturelles de Mélenchon pour la Russie de Poutine et quelques régimes autoritaires arabes, celui-ci n’aura pas trop de difficultés à trouver des terrains d’entente avec l’Algérie.

Avec Marine Le Pen, les relations entre la France et son ancienne colonie risquent de connaître quelques turbulences. Pour faire honneur aux sentiments de la masse pied-noire, méridionale depuis son départ d’Algérie et revancharde, soutien indéfectible du Rassemblement national, Le Pen devra trouver quelques bons prétextes pour justifier une politique hostile à Alger.

Avant même d’être élue, l’ancienne présidente du RN annonçait déjà des mesures de rétorsion contre l’Algérie qui, selon Paris, refuse de récupérer les migrants expulsés de France. La Tunisie et le Maroc, qui en font autant, selon le gouvernement français, ne sont pourtant pas nommément cités par Mme Le Pen.

Une tempête en vue en perspective. Encore qu’il ne soit pas exclu qu’Emmanuel Macron, à l’instar de ce qu’avait fait François Mitterrand lors de la première expérience de cohabitation (1986-1988), garde la haute main sur la diplomatie française. Histoire, dans ce cas précis, de contrer l’animosité de son premier ministre RN.

Le Maroc

Et pour le Maroc, le bon élève de l’Occident, sa sentinelle chargée de veiller à la sécurité d’une partie de sa frontière sud ? Que ce soit avec Le Pen ou avec Mélenchon, les relations entre les deux pays ne devraient pas connaître de soubresauts diplomatiques majeurs.

Certes, les accointances entre services de renseignement de part et d’autre de la Méditerranée ne sont plus ce qu’elles étaient dans le passé.

En 2014, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE, les renseignements français) a lancé une expédition punitive contre la Direction générale des études et de la documentation (DGED, contrespionnage marocain) en faisant diffuser sur Twitter, par un faux hacker du nom de « Chris Coleman », des milliers de documents confidentiels qui ont mis sens dessus dessous cette centrale d’intelligence et la diplomatie marocaines.

Contrairement à l’Algérie, dont l’ancien Front national et son actuel appendice, le RN, ont fait un parfait bouc émissaire ces dernières décennies, le parti de Marine Le Pen n’a jamais eu de mots disgracieux envers le régime marocain. Au contraire

Ces représailles étaient la réponse française à la révélation volontaire par un site proche du secrétaire particulier du roi, Mohamed Mounir Majidi, de l’identité de la chef d’antenne de la DGSE à Rabat, qui travaillait sous couverture à l’ambassade de France.

Cette brutale riposte fut un désastre pour la DGED, dont les noms de collaborateurs assidus et occasionnels, marocains et étrangers, ont été jetés en pâture dans les réseaux sociaux.

Mais à part cette guéguerre, si Marine Le Pen est appelée à former un gouvernement, les Français et les Marocains devraient s’attendre à une « divine surprise ». Ils découvriront, pour ceux qui ne le savent pas, l’étendue des relations cordiales entre le royaume chérifien et l’extrême droite française.

Contrairement à l’Algérie, dont l’ancien Front national et son actuel appendice, le RN, ont fait un parfait bouc émissaire ces dernières décennies, le parti de Marine Le Pen n’a jamais eu de mots disgracieux envers le régime marocain. Au contraire.

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L’année dernière, lors de la discussion par le Parlement européen d’une résolution condamnant le Maroc pour avoir organisé l’afflux de milliers de Marocains, dont beaucoup de mineurs, dans l’enclave espagnole de Ceuta, le RN, pourtant hostile à toute immigration illégale et désordonnée tant décriée, a voté contre.

Et il n’était pas le seul. Une grande partie de l’extrême droite européenne a fait de même. Une preuve que les liens noués par le défunt Hassan II avec l’extrême droite française (Jean-Marie Le Pen a été reçu au palais royal de Rabat en 1990) ont fait des petits depuis.

Le royaume a toujours su cultiver des liens avec l’extrême droite, à contresens des sentiments et des intérêts de sa propre et très nombreuse communauté installée en France, qui est souvent victime d’un racisme ambiant venu des rangs du RN.

Avec les bouleversements stratégiques actuels qui redessinent les rapports de force au Maghreb (l’alliance militaire et sécuritaire entre le Maroc et Israël qui vise à imposer la marocanité du Sahara occidental et se préparer à la guerre avec l’Algérie, les exercices militaires, la prochaine ouverture d’une usine de drones israéliens au Maroc, etc.), il n’est pas incongru de penser que la Première ministre Marine Le Pen serait partante pour une convergence d’intérêts franco-marocains pour cibler l’Algérie. À condition, bien entendu, que le président Macron laisse faire. Ce qui pourrait ne pas être le cas.

Un régime « exemplaire »

Pour l’autre candidat à la primature, Jean-Luc Mélenchon, il n’est pas sûr, électorat maghrébin d’origine algérienne oblige, qu’il s’embarque dans une quelconque hostilité envers l’Algérie.

Mais il aura mille difficultés pour essayer d’équilibrer les relations entre Paris et Alger. L’Algérie a toujours considéré que la France était trop proche des intérêts du Maroc et qu’elle était son principal soutien au conseil de sécurité de l’ONU.  

Et il est vrai que même Mélenchon, né à Tanger, ne rate aucune occasion pour tresser des lauriers au régime alaouite. Quand il ne lui vient pas en aide. L’année dernière, La France insoumise n’a pas hésité à voter, avec l’extrême droite française et européenne, contre la motion du Parlement européen rappelant à l’ordre le royaume chérifien après la crise de Ceuta.  

Il est vrai que même Mélenchon, né à Tanger, ne rate aucune occasion pour tresser des lauriers au régime alaouite. Quand il ne lui vient pas en aide

Mélenchon fait d’ailleurs partie de ces rares responsables français qui refusent d’accepter que le Maroc soit derrière l’espionnage à grande échelle opéré par le logiciel espion Pegasus et dont les principales victimes ont été des membres du gouvernement français et une partie de la classe politique, dont des personnalités de La France insoumise.

Pour le « Robespierre » des Insoumis, le régime monarchique marocain est « bien » et « exemplaire » mais il ne devrait pas, comme l’ont fait pratiquement tous les gouvernants français, s’aligner sur le Maroc au détriment de l’Algérie. Encore lui faudrait-il trouver la formule miraculeuse pour ne fâcher ni l’un ni l’autre.  

Pour résumer, on peut dire que sauf peut-être avec Marine Le Pen, les relations franco-maghrébines continueront à couler des jours tristes et monotones. Et il est même vraisemblable que Mme Le Pen finisse par s’adapter à la réalité du pouvoir et à intégrer le concept de pragmatisme diplomatique pour atténuer les critiques acerbes qu’elle verse souvent sur l’Algérie.  

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ali Lmrabet est un journaliste marocain, ancien grand reporter au quotidien espagnol El Mundo, pour lequel il travaille toujours comme correspondant au Maghreb. Interdit d’exercer sa profession de journaliste par le pouvoir marocain, il collabore actuellement avec des médias espagnols. Ali Lmrabet is a Moroccan journalist and the Maghreb correspondent for the Spanish daily El Mundo.
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