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Parler à Alger « entre hommes » : l’énième délire xénophobe et sexiste de Zemmour

« Aux dirigeants algériens, je dis : on parle entre hommes », a déclaré le candidat d’extrême droite à la présidentielle française Éric Zemmour. Un langage qui trahit son « virilisme », son obsession de la brutalité et son racisme
Le candidat d’extrême droite Éric Zemmour a déclaré, le 17 janvier 2022, « c’est notre faiblesse qui rend les dirigeants algériens arrogants » (AFP/Jean-François Monier)
Le candidat d’extrême droite Éric Zemmour a déclaré, le 17 janvier 2022, « c’est notre faiblesse qui rend les dirigeants algériens arrogants » (AFP/Jean-François Monier)

On savait le candidat extrémiste à la présidentielle française Éric Zemmour obsédé par son fantasme de la virilité soi-disant perdue en Occident, mais on ne pouvait deviner qu’il projetterait son délire sur les relations diplomatiques.

Lors d’une rencontre, lundi 17 janvier, avec l’Association de la presse étrangère à Paris, le polémiste s’est prononcé sur les relations algéro-françaises. Il a tout naturellement déroulé son discours habituel, écartant toute « repentance » de la France, promettant, s’il est élu, la suppression des accords de 1968 facilitant travail et séjour des immigrés algériens.

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Jusque-là, rien de nouveau chez celui qui veut incarner une certaine idée décomplexée de la colonisation, le racisme, la suprématie de certaines cultures sur d’autres, la misogynie, l’homophobie et la légitimation de la violence coloniale.

« Si nous avons colonisé l’Algérie pendant 130 ans, nous n’avons été ni les premiers ni les seuls, l’Algérie a toujours été une terre de colonisation, par les Romains, les Arabes, les Turcs, les Espagnols… », a plaidé Zemmour, ajoutant que « la France a laissé plus de choses que tous les autres colonisateurs », citant « les routes, les instituts de santé que la France a laissés, le pétrole que la France a trouvé et qui permet de nourrir 40 millions d’Algériens ». 

Rien de nouveau dans le discours révisionniste et haineux du candidat extrémiste qui s’était dit, à l’antenne, « du côté du général Bugeaud », officier le plus emblématique de la conquête française de l’Algérie, architecte de la politique de la terre brûlée, dont une des consignes célèbres fut : « Le but n’est pas de courir après les Arabes, ce qui est fort inutile, il est d’empêcher les Arabes de semer, de récolter, de pâturer, de jouir de leurs champs. Allez tous les ans leur brûler leurs récoltes ou bien exterminez-les jusqu’au dernier. »

Longue lignée raciale obsédée par le « virilisme »

Devant les représentants de l’Association de la presse étrangère en France, Zemmour se veut droit dans ses bottes : « Il y a eu des massacres, des affrontements, je ne le nie absolument pas, mais en face, ils ne combattaient pas avec des roses, c’est l’histoire du monde. »

« C’est l’histoire du monde », bien évidemment, selon lui. Lui qui évoque la violence comme un mécanisme nécessaire de l’histoire (autant que l’était la nécessité de « l’espace vital » pour les nazis), il déteste y mêler atermoiements ou sentimentalisme.

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« C’est toujours comme ça dans les guerres. Les femmes pleurent », écrit-il dans son dernier ouvrage La France n’a pas dit son dernier mot. Non, il ne faut pas pleurer, donc, comme une femme, selon Zemmour. Il ne faut pas être un « faible » non plus.

« C’est notre faiblesse qui rend les dirigeants algériens arrogants, mais ils respecteront des gens qui se respectent […] Aux dirigeants algériens, je dis : on parle entre hommes, entre gens responsables […] Ils comprendront ce que je leur dirai, qu’il n’y a aucune culpabilité française », déclare le candidat devant les correspondants étrangers à Paris.

« On parle entre hommes » : mots puérils, évoquant davantage les codes de cours de récréation ou de bagarres d’après-cuites ?

Pourquoi Zemmour emploie-t-il ce terme pour évoquer, en cas de victoire à la prochaine présidentielle, les relations algéro-françaises ?

D’abord, parce que l’idée de « virilité » et son champ idéologique sont une obsession pour celui qui a bâti toute une théorie sexiste sur « l’émasculation du masculin [blanc] » par la castration féministe, et la puissance libidineuse des hordes arabes et noires, selon lui.

Zemmour s’inscrit pleinement dans la longue lignée raciale obsédée par le « virilisme » comme valeur et comme explication globale de l’Histoire, une question décortiquée par le chercheur américain Todd Shepard dans Mâle décolonisation.

Les fanatiques de l’Algérie française et leurs bras armés criminels de l’OAS n’appelaient-ils pas Charles de Gaulle la « Grande Zohra » !?

Analysant cet ouvrage, la chercheuse Charlotte Gobin écrit : « Ainsi, les partisans de l’Algérie française tentent d’expliquer l’indépendance algérienne, événement politique, par la sexualité : à l’hypervirilité algérienne est opposée une crise de la masculinité française, pensée comme la cause de la défaite en Algérie. L’extrême droite se présente alors comme la possibilité de restauration d’une autorité virile et Mai 68 – présenté comme une ‘’farce efféminée’’ conduite par des ‘’minets’’ ou des ‘’dandys’’ – lui permet par ailleurs de lier combat contre l’invasion arabe et lutte contre les ‘’gauchistes’’. »  

Les fanatiques de l’Algérie française et leurs bras armés criminels de l’OAS n’appelaient-ils pas Charles de Gaulle, l’accusant d’avoir bradé l’Algérie au profit des indépendantistes, la « Grande Zohra » !? C’était même son nom de code lors de l’opération ratée visant à l’assassiner le 22 août 1962 quand un commando de l’OAS tenta de l’abattre au Petit-Clamart (Haut-de-Seine).

Féminiser et arabiser ce sobriquet étaient, pour les extrémistes de l’OAS et leurs supporters, une manière d’humilier le chef de l’État en le dévirilisant et en le projetant dans le camp de l’ennemi.

Il faut le dire « d’homme à homme » !

Dans son essai Le Premier Sexe (2006), Zemmour assume le fait de lier cette obsession de la prétendue virilité perdue à la menace migratoire. Ne qualifiait-il pas les « jeunes arabes » d’« archétypes masculins » ? « Des caricatures. Ils viennent d’un univers où les hommes ne sont pas féminisés, où ils se conduisent selon leurs pulsions […] Ils sont des conquérants dans une ville ouverte », écrit-il.

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Il y appelle à interdire le regroupement familial parce que « tout s’est passé comme si la France, l’Europe, devenue uniformément femme, s’était déclarée terre ouverte, attendant d’être fécondée par une virilité venue du dehors » ! 

D’ailleurs, lors de cette rencontre avec l’Association de la presse étrangère, Zemmour dit aussi qu’il veut parler « entre hommes » avec les dirigeants algériens pour leur expliquer « que l’Algérie arrête de considérer que la France est le déversoir de son excès démographique » !

En voulant discuter « entre hommes » avec les dirigeants algériens, sur les questions mémorielles et l’immigration, Zemmour veut inscrire toutes les démarches de ses prédécesseurs sur ces questions bilatérales comme étant non conformes à une certaine « virilité » de position, à une certaine fermeté dénudée de toute faiblesse.

Lui, c’est un homme, il n’a rien à voir avec la politique des petits pas adoptée depuis Chirac sur la mémoire de la colonisation et poursuivie par Sarkozy, Hollande et, surtout, Macron, l’ennemi du moment. Du haut de sa reconquête d’une virilité perdue, Zemmour ne peut être dans la « repentance », les « excuses » ou le regard apaisé sur l’histoire douloureuse de la colonisation.

Non.

« Il y a eu des massacres, des affrontements, je ne le nie absolument pas, mais en face ils ne combattaient pas avec des roses, c’est l’histoire du monde » : il met en égalité l’agresseur et l’agressé, ils se battent sans pitié, et c’est ça « l’histoire du monde » pour Zemmour. Il faut le dire « d’homme à homme », selon lui, et ne pas laisser libre champ à celui « qui n’est pas fini [en tant qu’homme, d’après lui] ».

Zemmour le dit sans ambages. En septembre 2021, il déclare en parlant du président sortant : « Il est le grand vide. C’est un adolescent qui se cherche. On a l’impression d’un type qui n’est pas fini […] Il va dire un jour : ‘’La colonisation est un crime contre l’humanité’’. Et puis quelques années plus tard, il va dire : ‘’Le FLN se sert d’une rampe mémorielle.‘’ Ce type n’est pas fini. » 

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« Il n’est pas fini », un « adolescent ». Tout est dit. Aux yeux de Zemmour, Macron est donc loin d’être le mâle alpha ! Le mimétisme du mâle alpha reste indissociable du logiciel des dictateurs et des populistes, depuis Mussolini ou Hitler, en passant par les « gros bras » plus contemporains, comme Trump, Bolsonaro ou Duterte.

Il ne s’agit ni de politique ni de diplomatie, mais de montrer sa férocité de mâle dominant, libéré des faiblesses de l’empathie, de l’humanisme surtout.

D’un autre côté, ce que disent les déclarations de Zemmour sur ces dirigeants algériens reste fidèle à sa vision raciale, à sa quête de l’ensauvagement de l’Autre : en face, ce sont des brutes moustachues à qui il faut parler « directement », il faudrait leur parler comme à des primitifs qui ne connaissent que le langage du corps du mâle alpha.

Langage de caïds dont le polémiste lui-même fait une cible de choix pour défendre la sécurité d’une France abandonnée aux hordes d’immigrés surdopés en testostérone. Montrer les dents et gonfler les muscles face à ces « dirigeants algériens arrogants », qui « respecteront des gens qui se respectent ». C’est ainsi donc que se considère le candidat d’extrême droite – récidiviste devant la justice pour « provocation à la haine et à la violence » –, quelqu’un « qui se respecte », qui parle en « homme », prédateur, xénophobe et sexiste.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Adlène Meddi est un journaliste et écrivain algérien. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese et signé trois thrillers politiques sur l’Algérie, dont le dernier, 1994 (Rivages, sortie le 5 septembre). Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.
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