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Comment l’aide internationale normalise le siège israélien de Gaza depuis quinze ans

L’aide humanitaire est involontairement devenue un moyen pour Israël de poursuivre le siège et de le normaliser
Un garçon tient une bouteille d’huile et une ration alimentaire de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, le 28 janvier 2021 à Gaza (AFP)
Un garçon tient une bouteille d’huile et une ration alimentaire de l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, le 28 janvier 2021 à Gaza (AFP)

En 2005, Israël a annoncé le retrait de ses bases militaires, postes de contrôle et colonies de Gaza. La fin de la colonisation israélienne directe de Gaza a été remplacée en 2007 par un siège.

Le siège israélien imposé au cours des quinze dernières années réglemente tous les aspects de la vie des Palestiniens, notamment la santé, la mobilité sociale, l’accès aux ressources naturelles, l’électricité, l’eau, les télécommunications et l’économie.

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Selon un rapport de l’ONU daté de 2020, le blocus a fait glisser plus d’un million de Palestiniens de Gaza sous le seuil de pauvreté et coûté 16,9 milliards de dollars à l’enclave.  

Au-delà du blocus total de Gaza, Israël a mené de fréquentes attaques militaires, faisant des milliers de morts, des dizaines de milliers de blessés et détruisant des maisons, des écoles et des hôpitaux.

Ainsi, ce qu’Israël a qualifié de « retrait » en 2005 était en réalité l’introduction d’une nouvelle façon draconienne de gouverner les plus de deux millions d’habitants de Gaza.

L’une des tactiques employées par Israël est le contrôle méticuleux des marchandises entrant et sortant de Gaza. Pendant une période, Israël a décidé d’interdire des produits essentiels tels que le papier, le bois et le ciment.

En 2009, Israël a même refusé des serviettes hygiéniques et du papier toilette. S’il l’a fait, c’était parce qu’il pouvait le faire sans avoir à rendre des comptes. En 2022, plus de 96 % de l’eau de Gaza n’est pas potable. Le taux de pauvreté est de 59 % et le taux de chômage de 45 %.

Un calcul pour 2 300 calories par jour

Le siège israélien empêche régulièrement l’entrée de médicaments et d’équipements médicaux à Gaza. Cela signifie que les traitements médicaux urgents sont retardés pour les plus chanceux et refusés à la majorité des patients. Selon la Commission européenne, environ 80 % de la population dépend de l’aide humanitaire en raison du siège.

La crise provoquée par le siège a fait réagir le monde, avec un déferlement d’aide humanitaire.

Au cours des quinze dernières années, la communauté internationale a fait don de 5,7 milliards de dollars pour venir en aide aux Palestiniens de Gaza. Ces efforts d’aide humanitaire ont sauvé les Palestiniens de Gaza d’un génocide. Cependant, l’aide humanitaire internationale est involontairement devenue un moyen pour Israël de poursuivre le siège et de le normaliser.

L’aide est venue soutenir l’ambition de « mettre les Palestiniens au régime » défendue en 2006 par Dov Weisglass, alors conseiller principal du Premier ministre Ehud Olmert.

Traduction : grandir sous le siège : les jeunes Palestiniens de Gaza dénoncent leur vie sous blocus.

En 2012, il a été révélé qu’Israël avait fait un calcul pour autoriser l’entrée à Gaza de 2 300 calories par jour, sur la base des besoins moyens d’une personne. Un apport tout juste suffisant pour « [ne pas] les faire mourir de faim », comme l’a énoncé Dov Weisglass.

La compréhension commune de la notion de siège ne reflète donc pas la pratique israélienne, qui devrait être qualifiée de « politique de siège néocoloniale ». Celle-ci se déploie de plusieurs manières.

Premièrement, Israël exige que toute aide destinée à Gaza passe par Israël, soit physiquement, soit avec son approbation. Le diktat israélien oblige les organisations humanitaires à travailler avec le gouvernement colonialiste israélien. Ces négociations des groupes humanitaires internationaux avec Israël légitiment implicitement l’autorité coloniale israélienne.

Pour chaque dollar que la communauté internationale envoie à Gaza, le blocus néocolonial d’Israël fait en sorte de causer plus de deux dollars de dommage

Par ailleurs, l’aide étrangère aide Israël, en tant qu’occupant, à se soustraire à ses responsabilités prévues par le droit international, la Convention de La Haye et la quatrième Convention de Genève, se rapportant à la protection de la population palestinienne et de ses biens. Israël se soustrait à son devoir parce que l’aide humanitaire empêche les Palestiniens de mourir de faim.

La politique de siège néocoloniale d’Israël vise également à détruire l’aide humanitaire généreuse fournie par la communauté internationale

Dans les faits, Israël affiche un visage bienveillant en « autorisant » l’entrée de l’aide humanitaire à Gaza tout en resserrant son étreinte. 

La politique de siège néocoloniale d’Israël vise également à détruire l’aide humanitaire généreuse fournie par la communauté internationale. Les attaques et le siège de Gaza menés par Israël ont causé plus de 16 milliards de dollars de dommages économiques entre 2007 et 2018, selon l’étude de l’ONU.

Cela signifie que pour chaque dollar que la communauté internationale envoie à Gaza, le blocus néocolonial d’Israël fait en sorte de causer plus de deux dollars de dommages. La politique de siège israélienne crée donc un déficit perpétuel, laissant la population de Gaza dans un état de crise humanitaire permanente.

C’est par ces moyens et d’autres méthodes néocoloniales qu’Israël a pu normaliser le siège de Gaza.

L’heure de demander des comptes à Israël

Alors que le blocus de Gaza entre dans sa seizième année, il est temps que la communauté internationale réforme non seulement l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza, mais demande également des comptes à Israël pour son siège et ses nombreuses violations des droits de l’homme.

Pour mettre à nu les violations commises par Israël et l’obliger à rendre des comptes, les opérations de secours doivent être menées parallèlement à l’expression d’exigences politiques.

Des enfants palestiniens portant des faitouts attendent de recevoir un repas dans un quartier pauvre de Gaza, le 28 janvier 2021 (AFP)
Des enfants palestiniens portant des faitouts attendent de recevoir un repas dans un quartier pauvre de Gaza, le 28 janvier 2021 (AFP)

À l’heure actuelle, les investissements des organisations internationales dans l’aide humanitaire dépassent de loin les campagnes de lobbying politique, de contentieux, d’éducation et de mobilisation de la société civile. 

Une pression soutenue doit être exercée sur les gouvernements pour les pousser à isoler diplomatiquement et économiquement Israël.

De même, les efforts visant à faire respecter le droit international doivent être soutenus. Il faut exiger d’Israël qu’il compense les ravages qu’il inflige à la population de Gaza et qu’il réponde d’accusations de crimes de guerre.

La société civile doit être éduquée et mobilisée pour pouvoir se monter solidaire. Elle doit être prête à faire pression sur son gouvernement respectif pour l’inciter à défendre la justice, à contribuer à l’arrêt du siège néocolonial israélien et à participer aux boycotts.

La tragédie qui se déroule à Gaza n’est pas due à des causes environnementales ou « naturelles », mais conçue et fabriquée par Israël. Il convient de le répéter : le taux de pauvreté augmente à Gaza non pas parce que le territoire est « pauvre », mais parce que les Palestiniens de Gaza sont privés des fruits de leur terre et de leur labeur par le siège israélien.

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L’aide humanitaire apportée par le biais de la matrice israélienne actuelle sera toujours inadéquate. Elle ne permettra jamais aux Palestiniens de Gaza de dépasser le seuil de pauvreté.

Si la compassion humaine lie les individus à la population assiégée de Gaza, il convient de reconnaître que sans une pression parallèle – juridique, politique, économique, diplomatique – exercée sur Israël, l’aide humanitaire ne pourra éradiquer sa souffrance et rétablir une normalité.

Tant que des mesures tangibles ne seront pas prises pour mettre fin au siège, l’espoir d’une vie meilleure ou de la liberté pour les Palestiniens de Gaza ne viendra pas de sitôt.

- Ismail Patel est l’auteur de The Muslim Problem: From the British Empire to Islamophobia. Il est également chercheur invité à l’université de Leeds et président de l’ONG britannique Friends of Al-Aqsa.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ismail Patel is the author of “The Muslim Problem: From the British Empire to Islamophobia”. He is also Visiting Research Fellow at the University of Leeds and the Chair of the UK based NGO Friends of Al-Aqsa.
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