Israël : qu’y a-t-il derrière l’ouverture de l’aéroport Ramon aux voyageurs palestiniens ?
Le 21 juillet dernier, alors que des milliers de voyageurs palestiniens se pressaient sur le pont Roi-Hussein (pont Allenby) sous la chaleur accablante pour rentrer chez eux via la Jordanie, le site d’information Israel Hayom publiait un article qui a eu un écho retentissant.
Il signalait qu’Israël allait autoriser les Palestiniens de Cisjordanie occupée à se rendre en Turquie via l’aéroport Ramon, situé tout au Sud du Néguev et fermé depuis deux ans.
Ce qui est offert aux Palestiniens, ce ne sont que des « cadeaux » symboliques qui les lient davantage aux restrictions israéliennes et les éloignent de l’autodétermination
Cette idée a été soulevée lors d’une réunion entre le ministre de la Défense israélien Benny Gantz et le président palestinien Mahmoud Abbas le 7 juillet.
Gantz l’avait présentée dans le cadre d’une série d’« améliorations » en échange de l’abandon par l’Autorité palestinienne (AP) des poursuites contre Israël pour crimes de guerre devant la Cour pénale internationale (CPI).
À la veille de la visite du président américain dans la région, la couverture médiatique de cette proposition s’était intensifiée, la plaçant dans le cadre de la série de « réformes » qui seraient présentées par Joe Biden aux Palestiniens.
Une « faveur »
Israël fait d’une pierre deux coups, en présentant le voyage via Ramon comme un « allègement des restrictions » et une « faveur » aux Palestiniens qui souffrent grandement de devoir voyager via les points de passage terrestres avec la Jordanie, tout en leur faisant du chantage et en exploitant leur besoin de voyager pour sauver un aéroport amorphe et chancelant qui a englouti des millions de shekels.
Cela s’inscrit dans la récente politique d’Israël visant à contrôler les Palestiniens et éliminer leur résistance en procédant à des soi-disant « réformes économiques », notamment en délivrant davantage de permis de travail et ouvrant certains des check-points.
De même, ces « réformes », et la manière dont elles ont été annoncées dans les médias israéliens, montrent la nature de la relation d’Israël avec l’Autorité palestinienne. Israël tente obstinément de se passer de l’AP en tant que médiateur entre lui et les Palestiniens en gérant directement la vie des gens, notamment des choses telles que le projet « porte à porte », l’application al-Munasseq (de l’administration militaire israélienne qui gère la sécurité et les affaires civiles en Cisjordanie occupée, le COGAT) et les ouvertures du mur de l’apartheid.
L’aéroport Ramon doit son nom à Ilan Ramon, premier astronaute israélien et ancien pilote de chasse tué avec six autres astronautes dans l’explosion de la navette spatiale américaine Columbia en 2003 lors de son entrée dans l’atmosphère. Ironiquement, la navette a explosé dans le ciel au-dessus de la ville américaine de Palestine au Texas.
D’une superficie de 5 665 hectares, l’aéroport Ramon se situe en périphérie de la route 901, à 18 km au nord du village palestinien de Umm al-Rashrash, qui a fait l’objet d’un nettoyage ethnique et qu’on connaît aujourd’hui sous le nom d’Eilat. À quelques kilomètres à l’est se situent Wadi Araba et la frontière jordano-palestinienne, et à l’ouest Wadi al-Manea.
Premier aéroport civil
Selon le site officiel de l’autorité de l’aviation israélienne, l’idée d’un aéroport a été lancée vers 2004 et a passé une série de procédures gouvernementales.
Il y a eu des délais, des interruptions ainsi que des difficultés de construction en raison de la chaleur extrême, des coûts de transport et de la difficulté à attirer des ouvriers dans une région désertique. Il a été inauguré en janvier 2019, après deux reports, pour un coût estimé à 1,7 milliard de shekels (environ 460 millions de dollars).
Cela allait faire de lui le premier aéroport civil israélien construit après la création d’Israël car le reste des infrastructures aéroportuaires civiles du pays sont un legs du colonialisme britannique. Espérant cultiver le tourisme, Israël a cherché à développer des installations d’accueil au milieu d’une zone touristique qui attire des centaines de milliers de visiteurs chaque année, et qui est constituée de la triade Aqaba, Eilat et Charm el-Cheikh.
Bon nombre de ces « simplifications » offertes aux Palestiniens sont annoncées de façon à ignorer totalement l’existence de l’AP, qui a été privée de toute importance politique
Avant la construction de cet aéroport, les touristes arrivaient à Eilat de deux façons : via les vols internationaux qui atterrissaient à l’aéroport Ovda ou via les vols nationaux à destination de l’aéroport d’Eilat depuis les autres aéroports israéliens. Cependant, aucun aéroport ne convenait à l’expansion du tourisme international.
Le premier est un aéroport militaire à une heure de route d’Eilat, le second un aéroport de taille relativement limitée situé au cœur d’une banlieue résidentielle qui ne peut accueillir que des petits ou moyens appareils.
L’aéroport Ramon devait donc être le second aéroport international en Israël après l’aéroport Ben-Gourion.
Selon le ministère israélien des Transports, l’aéroport Ramon a été construit pour être cent fois plus grand que l’aéroport d’Eilat afin d’accueillir des vols internationaux transportant des touristes étrangers à Eilat. L’aéroport d’Eilat a été fermé dès l’ouverture de l’aéroport Ramon.
Attentes déçues
Pour Israël, le motif sécuritaire derrière l’ouverture de l’aéroport est inséparable de ses ambitions économiques et touristiques.
Ceci est apparu de manière plus évidente lors de l’offensive israélienne de 2014 sur Gaza, lorsque les groupes de la résistance palestinienne ont contraint la suspension des vols vers l’aéroport Ben-Gourion après qu’une roquette a atterri à environ un kilomètre et demi de là. Des dizaines de compagnies internationales ont annulé leurs vols vers Tel Aviv.
Israël a été contraint de dérouter les vols internationaux vers l’aéroport Ovda. Mais le chaos et la surfréquentation qui en ont découlé ont amené le gouvernement à décréter que ce petit aéroport ne constituait pas une alternative adéquate en cas de situations d’urgence.
Le ministre israélien des Transports a ordonné l’extension de la piste d’atterrissage de l’aéroport Ramon toujours en construction (de 3 100 m à 3 600 m) pour permettre l’atterrissage d’avions plus gros et son utilisation comme aéroport civil alternatif en cas d’urgences.
Cela offrait une solution aux centres de gravité économique et de population israéliens de Gush Dan, qui étaient à portée de tir des roquettes de la résistance. Mais il n’a pas profité très longtemps de cette sécurité. Lors de la guerre contre Gaza en mai 2021, le Hamas a annoncé que sa nouvelle roquette « Ayyash » avait une portée de 250 km, ce qui lui permet d’atteindre l’aéroport Ramon.
En mai 2022, TheMarker, journal d’affaires israélien, a publié un article de fond sur l’aéroport Ramon, dont presque personne ne fréquente les magasins et pour qui la surfréquentation reste un concept abstrait.
Les inquiétudes concernant l’aéroport étaient résumées dans le titre de l’article : « Vingt passagers sur neuf vols internationaux : pourquoi l’aéroport Ramon ne décolle-t-il pas ? », avant d’examiner les chiffres du premier trimestre de l’année.
À son ouverture en 2019, il avait été annoncé que, lors de la phase initiale, l’aéroport devrait accueillir 1,5 million de passagers par an pour les vols nationaux et 350 000 passagers sur les vols internationaux, avec une prévision d’augmentation de la fréquence des vols pour accueillir 4,25 millions de passagers.
Lors de la première année, la fréquentation de l’aéroport était proche des attentes, mais les fermetures imposées par la pandémie de covid-19 a fait chuter les chiffres de manière drastique en 2020 et 2021.
Mais les espoirs déçus concernant l’aéroport ne sont pas que le résultat de la pandémie.
Malgré des chiffres prometteurs la première année, plusieurs organismes israéliens du secteur du tourisme, en particulier, avaient prévu la possibilité d’un échec en raison du niveau de services touristiques fournis à Eilat, qui sont considérés de moindre qualité et plus chers que ce qu’un touriste trouverait à Aqaba ou Charm el-Cheikh.
En outre, le tourisme à Eilat est généralement faible, excepté en automne et en hiver. Et pour rendre ces saisons plus attractives, depuis 2015, le ministère israélien du Tourisme encourage les compagnies internationales à atterrir à Eilat en leur versant 60 euros par passager débarqué.
Voilà la réalité du secteur du tourisme à Eilat et l’aéroport Ramon n’a pas réussi à changer cela. Preuve de ce manque de confiance, après quatre mois environ d’ouverture de l’aéroport aux vols internationaux, TheMarker a publié un article intitulé : « On a compté les oiseaux : l’aéroport Ramon ne vole pas », en référence au faible nombre de vols internationaux pendant l’été.
Achat de l’obéissance
Avec ce soi-disant « allègement des restrictions » pour les voyageurs palestiniens, Israël cherche à soudoyer l’obéissance des Palestiniens en échange de la réduction des restrictions strictes et inhumaines imposées à leur circulation, à leur vie quotidienne, à leur accès, en accroissant notamment le nombre de permis de travail, en approuvant des milliers de demandes de regroupement familial et en ouvrant des check-points.
Mais cette politique ne veut pas dire grand-chose. Au cours des vingt dernières années, les outils de la « paix » économique ont été recyclés des centaines de fois, pourtant la population continue de se battre pour la liberté.
La politique d’endiguement, présentée comme si les Israéliens facilitaient les mesures, est devenue l’objectif exclusif des négociations – qui ne sont plus politiques – entre Israël et l’AP.
Ce qui est offert aux Palestiniens, ce ne sont que des « cadeaux » symboliques qui les lient davantage aux restrictions israéliennes et les éloignent de l’autodétermination. Bon nombre de ces « simplifications » offertes aux Palestiniens sont annoncées de façon à ignorer totalement l’existence de l’AP, qui a été privée de toute importance politique. Les diverses « réformes » économiques d’Israël ont atteint le summum de l’humiliation et du contrôle, sans que l’AP ne se soucie de le dénoncer.
C’est racketter les Palestiniens à travers l’un de leurs droits fondamentaux, à savoir celui de circuler, afin de sauver un aéroport israélien en difficulté
Permettre aux Palestiniens de voyager via l’aéroport Ramon n’est pas seulement une question d’allégement des restrictions qui sont censées les contrôler. C’est racketter les Palestiniens à travers l’un de leurs droits fondamentaux, à savoir celui de circuler, afin de sauver un aéroport israélien en difficulté.
De son côté, l’Autorité palestinienne s’est contentée de publier une déclaration du vice-ministre des Transports et des Communications dans laquelle il rejette cette proposition « unilatérale et renforçant la politique d’apartheid » et demande la restauration de l’aéroport de Jérusalem à Qalandiya, d’autoriser un second aéroport à Jéricho et la restauration de l’aéroport de Gaza.
Un autre article fait référence au rejet par l’AP de ce projet à cause de considérations politiques, notamment la protection de ses relations avec la Jordanie. L’aéroport Ramon se situe dans la zone la plus chaude de la Palestine historique, une région bien trop éloignée pour les habitants de Cisjordanie.
La ville jordanienne la plus proche de l’aéroport est à environ 250 km, soit 3 heures de route, sans prendre en compte les barrages routiers et, à l’arrivée, les contrôles de sécurité, les temps d’attente et l’humiliation qui vont avec.
L’« expérience du voyage facile » qu’Israël tente de promouvoir auprès des voyageurs palestiniens sera, comme tout le reste, conditionnée à leur casier vierge, et à de nombreux efforts, afin de sauver l’aéroport de ceux qui ont atteint le « bout du monde » sur les ruines de notre sang.
- Hanadi Alqawasmi est une journaliste de Jérusalem.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Cet article a été initialement publié en arabe sur le site Metras.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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