Joe Biden et l’illusion dévastatrice du « processus de paix »
Les Américains et les habitants du monde entier sont confrontés à deux menaces majeures. La première est celle d’un président américain populiste, Donald Trump, et de tout ce qu’il représente. L’autre est la pandémie de COVID-19.
La première menace a été écartée – mais seulement de manière symbolique, semble-t-il, étant donné que son héritage perdure aux États-Unis et au-delà. Le COVID-19 a en revanche paralysé le monde et rendu la vie de millions de personnes encore plus fragile, en particulier dans les pays pauvres et déchirés par la guerre.
Trump est une menace artificielle, caractérisée par une idéologie raciste et populiste. Le coronavirus est une menace créée dans la nature, mais l’incapacité flagrante à contenir la maladie relève la responsabilité de l’homme – de ce système néolibéral mondial devenu plus cruel et plus impitoyable depuis l’effondrement de l’Union soviétique.
Ces deux menaces ne peuvent être comprises que comme une conséquence naturelle d’un système mondial inique dirigé unilatéralement par l’empire américain au cours des trois dernières décennies.
Les fausses affirmations portant sur un triomphe du capitalisme au début des années 1990 ont été suivies de guerres agressives et dévastatrices initiées par la superpuissance victorieuse et ses intermédiaires dans le but d’imposer sa religion du marché au niveau mondial. L’essence de cette religion néolibérale privilégie le profit aux dépens des vies humaines.
Ces maux ont engendré une prise de conscience de plus en plus importante des populations du monde entier quant à l’origine de leur situation. Nous avons assisté à un retour à des luttes coordonnées à travers la mobilisation d’organisations populaires émergentes locales et mondiales. Les luttes intersectionnelles fondées sur la classe, la couleur de peau, l’origine autochtone, l’ethnicité, le sexe et l’orientation sexuelle gagnent du terrain dans le monde entier.
Néanmoins, un point encourageant réside dans l’amélioration de la position de la gauche américaine, à l’intérieur et à l’extérieur du Parti démocrate, et dans le rôle qu’elle a joué dans la défaite de Trump.
La défaite de Trump – personnification la plus vulgaire et la plus cynique de l’économie de marché débridée et de la droite raciste et populiste – a été célébrée non seulement par des millions d’Américains, mais aussi par des gens du monde entier.
Mais les forces progressistes et les organisations de la société civile sont bien conscientes que la victoire de Joe Biden n’offre pas de véritable alternative et ne considèrent ce changement que comme un petit pas vers un activisme plus sérieux sur le long chemin d’un véritable changement dans la politique américaine.
Un changement de paysage politique
Où se situe la cause palestinienne dans ce paysage politique en constante évolution ? La nouvelle – et ancienne à la fois – administration à Washington peut-elle apporter un soutien conséquent aux Palestiniens, ou reproduira-t-elle les illusions traditionnelles et dévastatrices liées au « processus de paix » ?
L’ordre mondial capitaliste et impérialiste existant est le même que celui qui a créé la Nakba, la tragédie permanente vécue par le peuple palestinien après que les sionistes ont déplacé de force la population indigène de la Palestine et judaïsé un pays arabe.
Il serait catastrophique pour les dirigeants palestiniens et en particulier pour l’Autorité palestinienne (AP) de revenir à de vieilles illusions et d’attendre un réel changement de la part de l’administration Biden au détriment de l’unité palestinienne et d’une stratégie cohérente de résistance populaire.
Il serait suicidaire de continuer de croire que des négociations seules pourraient aboutir à un résultat significatif, même si le médiateur américain malhonnête est remplacé par un arbitrage international.
Malheureusement, au moment où l’électorat américain a opéré un virage en faveur de Biden, les dirigeants de l’AP se sont empressés de reprendre la coordination en matière de sécurité avec Israël, renonçant à leur propre initiative récente visant à réunifier le corps politique palestinien dans le sillage de l’« accord du siècle » américano-israélien.
Cela en dit long sur la réflexion bancale de ces dirigeants et sur leur incompétence pour ce qui est de faire avancer la lutte palestinienne.
Une vision alternative
Les dirigeants de ce type sont un problème majeur pour les forces palestiniennes qui s’efforcent d’élaborer une vision alternative pour mobiliser le peuple palestinien, lui redonner des forces et capter l’imagination du monde.
Beaucoup d’entre nous croient aujourd’hui que la meilleure solution à la lutte coloniale en Palestine est un seul État démocratique où tous les habitants de la Palestine historique et les réfugiés expulsés en 1948 pourront coexister.
Pour obtenir cela, il faut démanteler le régime d’apartheid colonial et ses structures de domination et réparer les injustices faites aux Palestiniens. Comment y parvenir et quelle est la stratégie ? Cela nécessite une réflexion collective sérieuse.
La réalité sur le terrain est sombre, car la colonisation et la répression sionistes battent leur plein sous un gouvernement israélien d’extrême droite.
Le mouvement national palestinien est toujours divisé, avec des dirigeants faibles qui ont abandonné depuis longtemps la lutte anticoloniale et la solution à un seul État démocratique en faveur d’une solution à deux États raciste et injuste.
Quant au monde arabe, un certain nombre de régimes despotiques et corrompus font évoluer leur normalisation secrète vers une alliance directe et ouverte avec le régime d’apartheid. Cela renforce le soutien conséquent qu’Israël reçoit déjà des gouvernements occidentaux.
Cette sinistre réalité cache toutefois quelques points positifs importants. Le plus important est la ténacité des Palestiniens sur leur terre natale : ils sont au même niveau que les Israéliens sur le plan numérique et Israël n’a pas réussi à retirer la cause palestinienne des questions internationales. D’importants mouvements populaires tels que le BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) ont remporté des victoires remarquables.
Le BDS ainsi que d’autres mouvements populaires palestiniens ont redynamisé les mouvements de solidarité internationale qui ont fait partie des victimes des accords d’Oslo. Au sein de la communauté juive américaine, des voix s’élèvent pour critiquer les crimes israéliens. De ces avancées, nous pouvons tirer un espoir et un élan dans notre lutte pour la libération et la justice dans un État démocratique unique.
Les progressistes ont un ennemi commun : l’ordre actuel fait d’exploitation, de pauvreté, de maladie, de guerres, de dévastation environnementale, de colonisation et de racisme
Dans le même temps, au-delà du déséquilibre existant du pouvoir et l’absence d’acteurs politiques qui défendent l’égalitarisme dans toute la Palestine, les partisans de la solution à un seul État sont confrontés à quatre défis majeurs.
Premièrement, ils doivent formuler un programme politique qui puisse être approuvé par un grand nombre d’activistes et d’intellectuels, tant palestiniens que juifs. Deuxièmement, ils doivent construire un grand mouvement populaire pouvant être un acteur politique efficace et toucher tous les segments palestiniens.
Troisièmement, ils doivent renouer avec les forces progressistes arabes qui s’efforcent de parvenir à une renaissance globale – un monde arabe libéré du despotisme, du népotisme, de l’injustice et du colonialisme. Et enfin, ils doivent restaurer la position du mouvement palestinien de libération nationale au sein du mouvement progressiste mondial.
Nous avons un ennemi commun : l’ordre actuel fait d’exploitation, de pauvreté, de maladie, de guerres, de dévastation environnementale, de colonisation et de racisme.
La voie à suivre
La One Democratic State Campaign, lancée il y a trois ans, s’attaque à ces défis tout en tirant les leçons des contributions et des erreurs des précédents groupes de défense d’une solution à seul État qui ont vu le jour après que la seconde Intifada a été écrasée par Israël.
Bien que nous opérions dans des conditions difficiles, nous sommes parvenus à mettre sur pied la plus grande organisation jamais créée pour défendre le paradigme d’une solution à un seul État, tandis que d’autres groupes établis se sont intégrés à notre campagne. Néanmoins, il reste beaucoup à faire et il n’est pas facile de passer d’une campagne à un mouvement populaire de masse plus important, qui constitue la prochaine phase de notre projet.
Mais c’est la seule façon d’avancer vers le dénouement : une solution noble, juste et éthique à un siècle d’agression coloniale. Nous sommes déterminés à poursuivre sur cette voie vers la liberté pour tous.
- Awad Abdelfattah est un auteur politique et ancien secrétaire général du parti Balad. Il est le coordinateur de la campagne One Democratic State basée à Haïfa, lancée fin 2017.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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