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Guerre en Ukraine : la politique énergétique de l’Europe est un acte autodestructeur

Entre politiques énergétiques contradictoires, guerre en Ukraine et désarroi politique, l’UE semble décidée à se nuire
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prend la parole au Conseil européen à Bruxelles, le 21 octobre 2022 (AFP)
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prend la parole au Conseil européen à Bruxelles, le 21 octobre 2022 (AFP)

Mieux vaut tard que jamais, dit l’adage. Telle devrait être la conclusion après la lecture d’un article de fond paru fin novembre dans The Economist, sur la façon dont l’Europe se retrouve « sur la touche ». 

Le magazine s’inquiète du fait que le continent « est confronté à une crise énergétique et géopolitique durable [qui] l’affaiblira et menacera sa position mondiale », tandis que la « pression économique brutale constituera un test pour la résilience de l’Europe en 2023 et après ». 

Cette perspective était déjà évidente il y a des mois, mais ce n’est qu’avec l’arrivée d’un hiver glacial qu’elle se fraye un chemin dans l’un des fleurons des grands médias occidentaux. 

Début décembre, les cours du gaz ont bondi, bouleversant les marchés mondiaux, avec une conséquence très concrète et très chère : l’Europe et l’Asie surenchérissent pour s’arracher des cargaisons de gaz naturel liquéfié (AFP/Morris Mac Matzen)
Début décembre, les cours du gaz ont bondi, bouleversant les marchés mondiaux, avec une conséquence très concrète et très chère : l’Europe et l’Asie surenchérissent pour s’arracher des cargaisons de gaz naturel liquéfié (AFP/Morris Mac Matzen)

Le magazine souligne également la « crainte que la refonte du système énergétique mondial, le populisme économique américain et les divisions géopolitiques menacent la compétitivité à long terme de l’Union européenne (UE) et des non-membres, y compris la Grande-Bretagne », notant que : « Ce n’est pas seulement la prospérité du continent qui est menacée, la santé de l’alliance transatlantique l’est aussi. »

En effet, le prix élevé facturé par les États-Unis à l’Europe pour ses approvisionnements en gaz naturel liquéfié (GNL), les politiques de la Réserve fédérale des États-Unis (FED) sur les taux d’intérêt qui soutiennent le dollar et le train de écosubventions de 369 milliards de dollars de l’administration Biden sous l’égide de la loi sur la réduction de l’inflation, ont tous exacerbé les tensions entre les deux côtés de l’Atlantique. Dans ces conditions, la compétitivité de l’économie européenne risque d’être compromise. 

Plus de 100 000 décès supplémentaires

La crise énergétique reste la priorité absolue de l’Europe. Les dernières perspectives économiques de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) indiquent que la part du PIB des pays membres consacrée à l’énergie pour son utilisation finale est de près de 18 %, soit le double par rapport à 2020. Ces perspectives mettent également en garde contre le risque important que les réserves de gaz en Europe soient plus faibles l’hiver prochain comparées à cette année.

Selon la propre modélisation de The Economist, « lors d’un hiver normal, une hausse de 10 % des prix réels de l’énergie est associée à une augmentation de 0,6 % des décès.

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Par conséquent, la crise énergétique de cette année pourrait causer plus de 100 000 décès supplémentaires de personnes âgées à travers l’Europe. » 

Pour donner une idée de l’ampleur, l’agence des droits de l’homme de l’ONU a estimé à environ 6 600 le nombre de civils tués en Ukraine après neuf mois de guerre.

Heureusement, l’Europe a pu remplir ses réserves de gaz presque à pleine capacité pour cet hiver. Mais cet objectif a été atteint grâce à une augmentation de plus de 40 % des importations de GNL russe (oui, russe) entre janvier et octobre, par rapport à la même période de l’année dernière. Il est difficile de trouver un meilleur qualificatif que « tragicomique » pour décrire une telle situation.

Ces données illustrent à la fois la folie de l’Union européenne et le dysfonctionnement de ses institutions. Des raisons géopolitiques ont poussé l’Europe à diversifier ses approvisionnements énergétiques en dehors du gaz russe, afin d’éviter de dépendre d’un pays autocratique et dangereux.

Les décideurs européens devraient maintenant expliquer la logique derrière l’abandon de l’option d’approvisionnement la moins chère, le gaz livré par gazoduc, pour opter pour la plus chère, le GNL livré par voie maritime, auprès du même fournisseur. 

Si la situation oblige l’Europe à continuer de dépendre du gaz russe, pourquoi choisir l’option la plus chère ? La situation est tellement absurde qu’elle m’amène à me demander : de l’UE ou de la Russie, qui sanctionne vraiment qui ?

La situation est tellement absurde qu’elle m’amène à me demander : de l’UE ou de la Russie, qui sanctionne vraiment qui ?

La tendance apparente de l’UE à se nuire pourrait s’accroître avec le plafonnement des prix du pétrole russe adopté par Bruxelles le 3 décembre et entré en vigueur le 5 décembre.

L’objectif est de réduire les revenus de la Russie, mais la situation pourrait se retourner contre l’Europe. Personne ne connaît vraiment les répercussions possibles d’une telle mesure sur l’approvisionnement et le cours du pétrole. 

L’administration Biden a apparemment fait pression sur l’UE pour assouplir sa politique de sanctions car de nouvelles mesures pourraient complètement perturber les marchés pétroliers et intensifier la crise énergétique. 

Cela marque une autre situation tragique : les États-Unis – qui, en ce qui concerne l’Iran, ont revendiqué la compétence universelle en appliquant leurs sanctions secondaires contre tout le monde, y compris les membres de l’UE – font maintenant pression sur l’UE pour éviter de suivre le même chemin sur l’Ukraine.

« De nouveaux centres de pouvoir émergent »

En conséquence, alors que les relations politiques transatlantiques ont été revigorées par une position forte et cohésive contre la Russie, les relations économiques pourraient être mises à rude épreuve si le partage du fardeau des coûts économiques de la guerre en Ukraine continue d’être inégal.

C’est le message que le président français Emmanuel Macron a fait passer lors de sa visite d’État à Washington la semaine dernière.

Le chancelier allemand Olaf Scholz a déjà transmis un message beaucoup plus ferme à Washington en se rendant à Beijing accompagné de grands hommes d’affaires.

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Indépendamment de la pression américaine, et même contrairement aux propres recommandations de la bureaucratie bruxelloise, l’Allemagne n’a pas l’intention de se dissocier de la Chine, semblant beaucoup plus consciente que les États-Unis que – selon les mots de son propre chancelier – « de nouveaux centres de pouvoir émergent dans un monde multipolaire, et nous visons à établir et à élargir des partenariats avec chacun d’entre eux ». 

En d’autres termes, le message de Scholz à Biden est le suivant : « Si je me suis senti obligé de rompre douloureusement ma relation énergétique avec la Russie en raison de la guerre en Ukraine, ne pensez pas un instant que je me sentirai obligé de faire de même en ce qui concerne ma relation commerciale avec la Chine. » 

Les politiques économiques américaines et la crise énergétique nuisent aux économies européennes au point que même The Economist reconnaît que le continent est « menacé de désindustrialisation massive ».

Les décideurs bruxellois ne sont apparemment pas conscients qu’ils se précipitent vers une falaise. L’administration Biden pourrait faire preuve de plus de sagesse et de bon sens.

Après tout, quel avantage les États-Unis auraient-ils à renforcer le lien transatlantique si le prix pouvait finalement être la destruction économique de l’UE sur le continent eurasiatique ? 

Il est déjà évident que dans le conflit ukrainien, l’Europe est le plus grand perdant extérieur – mais ses angoisses ne s’arrêtent pas là. Selon les estimations de la Banque centrale européenne, d’ici 2030, l’UE devrait dépenser plus de 5 000 milliards d’euros pour poursuivre sa transition verte, diversifier ses approvisionnements énergétiques, combler le fossé numérique et atteindre l’objectif de dépenses militaires de l’OTAN de 2 % du PIB – ce qui revient à peu près au coût du plan de relance de l’UE post-covid chaque année jusqu’à la fin de la décennie. 

Les politiques économiques américaines et la crise énergétique nuisent aux économies européennes au point que même The Economist reconnaît que le continent est « menacé de désindustrialisation massive »

Il est difficile d’imaginer comment l’Europe sera capable d’accomplir une tâche aussi énorme dans une ère de polycrise, décrite par l’ancien secrétaire américain au Trésor Larry Summers comme « l’ensemble de défis le plus complexe, disparate et transversal » auquel nous ayons été confrontés en quatre décennies.

C’est encore plus difficile à imaginer, compte tenu du trio actuel à la tête de l’UE. Les présidents du Conseil européen et de la Commission européenne ne sont apparemment pas en bons termes après qu’un protocole d’avril 2021 a placé le premier sur un fauteuil et la seconde sur un canapé ; tandis que le troisième, le chef de la politique étrangère de l’UE, cultive des visions sophistiquées de la politique internationale telles que « L’Europe est un jardin… [et] la majeure partie du reste du monde est une jungle ».

En effet, l’Europe est en plein accès autodestructeur.

- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et à l’ONU. Il a été membre du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Marco Carnelos is a former Italian diplomat. He has been assigned to Somalia, Australia and the United Nations. He served in the foreign policy staff of three Italian prime ministers between 1995 and 2011. More recently he has been Middle East peace process coordinator special envoy for Syria for the Italian government and, until November 2017, Italy's ambassador to Iraq.
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