Les jeunes Afghanes partent étudier en Iran après l’interdiction des talibans
Un nombre croissant de familles afghanes ont trouvé refuge en Iran, après que le gouvernement taliban est revenu sur sa promesse d’autoriser les filles à aller à l’école au mois de mars.
Après le retrait américain d’août 2021 et le retour au pouvoir des talibans, ces derniers avaient dit et répété aux filles afghanes initialement exclues des classes pendant six mois à cause de l’agitation dans le pays qu’elles pourraient retourner en cours au début de la nouvelle année scolaire, au mois de mars.
« Ils toisaient les filles et leur disaient : “Rentrez chez vous. Étudier jusqu’à ce niveau devrait être suffisant pour vous toutes” »
- Nilofar, enseignante à Hérat
Or le mercredi 23 mars, alors que des dizaines d’adolescentes reprenaient le chemin de l’école dans tout le pays, les talibans sont revenus sur leur décision à la dernière minute. Les gardes talibans postés devant les écoles leur en ont interdit l’entrée, laissant les élèves en larmes rentrer chez elles, les livres à la main.
« Ils toisaient les filles et leur disaient : “Rentrez chez vous. Étudier jusqu’à ce niveau devrait être suffisant pour vous toutes” », se rappelle Nilofar (31 ans), enseignante dans la province occidentale de Hérat.
Attentats de l’État islamique contre les écoles
Des sources de Middle East Eye dans la ville de Machhad, au nord-est de l’Iran, rapportent que les inscriptions dans les écoles accueillant des réfugiés afghans ont augmenté ces sept dernières semaines, en particulier pour les jeunes filles.
Le directeur de l’une de ces écoles précise que si l’éducation n’est peut-être pas la raison première qui a amené ces Afghans en Iran, c’est un facteur important.
« Il y a des problèmes substantiels d’insécurité et d’économie », explique le chef d’établissement, qui n’a pas souhaité être nommément identifié.
« Mais si l’éducation n’est pas la raison première pour laquelle ces familles sont venues ici, cette raison est assurément haut placée. »
Ces derniers mois, des forces ayant fait allégeance au groupe État islamique (EI) mènent des attaques de plus en plus hardies contre des écoles, des centres éducatifs et des lieux de culte dans plusieurs provinces d’Afghanistan.
Les talibans avaient pourtant maintes fois affirmé qu’une fois au pouvoir et l’occupation américaine terminée, la sécurité reviendrait dans le pays.
Mais selon une organisation internationale, près de 20 millions d’Afghans, soit 47 % de la population, sont confrontés à l’insécurité alimentaire en raison de la récession, de la sécheresse, des réductions d’aide et du gel par Washington de milliards d’actifs afghans après le retour au pouvoir des talibans.
Zainab Sajadi, directrice d’une école privée pour les réfugiés afghans à Machhad, signale à MEE que les inscriptions d’élèves sans papiers ont augmenté depuis la prise de pouvoir des talibans l’été dernier.
« On accueille des centaines de nouveaux élèves. Nos classes sont bondées », indique-t-elle.
« Nous n’avons même pas assez de chaises. Certains élèves sont debout en classe, d’autres doivent partager leur siège. »
Heures supplémentaires pour les enseignants
Zainab Sajadi explique que l’école a commencé à faire cours en trois rotations par jour, et les enseignants assurent les cours supplémentaires sur la base du volontariat sans complément de rémunération.
Mais la directrice redoute que, quelles que soient les mesures prises, cela ne soit jamais suffisant pour satisfaire la demande démesurée.
« Même si on continue à faire trois rotations par jour et qu’on continue à inscrire des élèves, il y aura toujours des milliers d’autres élèves qui ne pourront pas aller à l’école », déplore-t-elle.
« Ce sont les élèves les plus intelligentes de notre école. Je ne peux que constater à quel point elles désirent étudier »
- Zainab Sajadi, enseignante à Machhad, Iran
Les Afghanes représentent 60 % des effectifs de son école.
« Ce sont les élèves les plus intelligentes de notre école », affirme-t-elle. « Je ne peux que constater à quel point elles désirent étudier. »
Mais la route vers l’Iran regorge de dangers et de difficultés pour les Afghans.
Payer des passeurs pour traverser la frontière peut coûter jusqu’à 400 dollars par personne et, étant donné les restrictions des banques sur les retraits hebdomadaires et les milliers de personnes au chômage ou dont les salaires ont été drastiquement réduits depuis le retour au pouvoir des talibans, ces sommes sont au-delà des moyens de beaucoup d’Afghans.
En outre, les gardes-frontières iraniens sont accusés d’abattre et de torturer des migrants afghans. Téhéran est l’un des deux seuls gouvernements (l’autre étant Islamabad) à n’avoir jamais suspendu l’expulsion des Afghans quand les talibans se rapprochaient de Kaboul l’été dernier.
Les Afghans qui arrivent à passer en Iran sont confrontés à des violences, de l’intimidation et du racisme tant de la part du gouvernement que de la population iranienne en général.
C’est pourquoi des centaines de familles afghanes ont déménagé dans les quelques régions de leur pays où les adolescentes ont pu retourner à l’école.
Code vestimentaire de plus en plus strict
L’un de ces endroits est Mazar-e-Charif, quatrième plus grande ville d’Afghanistan et capitale de la province de Balkh, dans le nord.
Là-bas, le dialogue entre les écoles et les talibans a permis aux filles de poursuivre leurs études. Cependant, les écoles de Balkh et d’ailleurs sont menacées de fermeture si elles refusent de se plier à un code vestimentaire de plus en plus strict.
« Les obligations en matière de hijab se renforcent de jour en jour », a déclaré à Human Rights Watch un professeur le mois dernier.
« Ils ont des espions qui rapportent et signalent tout. Si les élèves ou enseignantes ne respectent pas leurs règles strictes concernant le hijab, sans aucune discussion ils renvoient les enseignants et expulsent les élèves. »
L’une des règles promulguées par les autorités est un changement de l’uniforme traditionnel composé d’une tunique noire longue et d’un foulard blanc pour des vêtements dans le style des pays du Golfe qui dissimulent le visage des élèves.
Une élève de première à Mazar-e-Charif affirme à MEE que l’une des raisons pour lesquelles les filles de la ville ont pu retourner à l’école est qu’elles ne se sont pas laissé faire.
« On revenait sans cesse, affirmant qu’on voulait aller à l’école, et finalement, ils nous ont laissé entrer », raconte cette adolescente, qui ne veut pas dévoiler son nom.
Elle reconnaît toutefois que respecter le code vestimentaire de plus en plus strict édicté par les talibans était une condition sine qua non pour pouvoir retourner à l’école.
« On s’habille exactement comme ils le veulent et ne montrons que nos yeux », précise-t-elle.
Sodabah, élève à Mazar-e-Charif, rapporte que la plupart des filles de son école étaient folles de joie à l’idée de pouvoir retourner à l’école le 23 mars mais que cette joie a été de courte durée.
« Toutes nos camarades de classe et professeures étaient ravies jusqu’à ce que notre enseignante nous apprenne l’interdiction d’aller à l’école dans les autres villes, y compris Kaboul », relate-t-elle. « Notre joie s’est muée en désespoir. »
L’adolescente de 19 ans souhaite que toutes les filles afghanes puissent partager leur joie et retourner à l’école mais jusqu’à présent, ce n’est pas le cas.
Nombre croissant d’inscriptions
Corps enseignant et élèves de Mazar-e-Charif indiquent à MEE avoir récemment constaté un nombre d’inscriptions croissant du nombre de filles qui arrivent d’autres provinces dans les collèges et lycées de la ville.
Amina (17 ans) raconte que sa famille a déménagé à Mazar-e-Charif depuis Kaboul début avril pour qu’elle puisse poursuivre ses études. Elle dit avoir eu la chance d’avoir des proches dans la ville qui ont pu l’aider elle et ses sœurs à s’inscrire à l’école ici.
« Les services éducatifs de Kaboul ont rejeté nos demandes concernant nos dossiers scolaires pour pouvoir être transférées dans les écoles de Mazar-e-Charif », indique-t-elle à MEE par téléphone.
« Les Afghanes veulent être des personnes éduquées. Elles veulent acquérir la sagesse »
- Kamila, enseignante dans un lycée pour filles de Mazar-e-Charif
« Si ma tante n’avait pas été professeure dans cette école, on n’aurait pas pu s’inscrire à Mazar-e-Charif. »
Kamila, enseignante dans un lycée pour filles, indique que depuis avril, son établissement accueille « de nombreuses élèves d’autres provinces » qui souhaitaient continuer leurs études et que le corps enseignant de Mazar-e-Charif espère donner à ces lycéennes « la chance de poursuivre leur scolarité jusqu’à ce qu’elles puissent rentrer dans leurs provinces et établissements ».
Selon Kamila, le fait que ces familles déménagent dans d’autres provinces voire d’autres pays est la preuve que « les Afghanes veulent être des personnes éduquées. Elles veulent acquérir la sagesse ».
Cependant, alors que les talibans continuent de resserrer la vis sur le quotidien des Afghans – début mai, le groupe a officiellement annoncé que toutes les femmes devraient couvrir leur visage et ne sortir de chez elles qu’en cas de nécessité –, maintenir les écoles ouvertes n’est pas chose facile.
« Nous avons reçu des instructions du service éducatif de Balkh à propos des règles de la charia et des uniformes », indique Kamila, qui confirme que les talibans procèdent à des inspections surprises pour s’assurer que leurs ordres sont bien suivis.
Charge financière
Toutefois, alors que de nombreuses familles afghanes ont du mal à se nourrir en raison de la récession et de la dévaluation de la devise, respecter les nouvelles règles en matière d’uniforme ne fait qu’accroître la charge financière.
Une enseignante dans une école pour filles de Mazar-e-Charif qui n’a pas souhaité être nommée pour des raisons de sécurité estime que les talibans n’ont pas réfléchi à la charge financière que font peser leurs exigences en matière d’uniforme sur les familles alors que des millions d’Afghans sont au chômage.
« Il est très difficile pour les élèves d’acheter de nouveaux uniformes à cause de la crise économique. Imaginez la difficulté économique pour les familles qui ont trois ou quatre filles », poursuit l’enseignante.
Sodabah, l’adolescente de 19 ans, abonde dans son sens.
« Le nouvel uniforme coûte environ 800 afghanis [environ 8,50 euros], ce qui est plus que notre budget hebdomadaire pour les courses, mais nous n’avions pas d’autres options », déplore-t-elle.
Son père vendait des tee-shirts et des jeans sur un marché local. Mais depuis que les talibans sont arrivés au pouvoir, la demande en vêtements de style occidental s’est totalement effondrée. En conséquence, il ne gagnait plus assez pour nourrir la famille et vend désormais des légumes.
Malgré les difficultés, il a travaillé dur pour s’assurer de pouvoir acheter de nouveaux uniformes afin que ses trois filles poursuivent leur scolarité.
« Quelle que soit la situation, j’irai à l’école. Je dois étudier pour réussir », insiste Sodabah.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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