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Battue, torturée et enterrée vivante : le calvaire de la femme palestinienne à bord du camion israélien

Hadeel al-Dahdouh a été séparée de son fils, qu’elle allaitait encore, pendant plus de 50 jours lorsqu’elle a été jetée à l’arrière d’un camion israélien. Elle raconte à MEE les actes de torture qu’elle a subis
Des soldats israéliens devant un camion rempli d’hommes palestiniens torse nu et d’une femme dans la bande de Gaza assiégée, le 8 décembre 2023 (Yossi Zeliger/Reuters)
Par Maha Hussaini à GAZA, Palestine occupée

Cette image a suscité choc et indignation.

Des dizaines d’hommes palestiniens, ligotés, les yeux bandés, en sous-vêtements, ont été entassés dans un camion israélien à toit ouvert dans la bande de Gaza assiégée.

Sur cette photo, on voit des Palestiniens en état de choc, qui semblent frigorifiés, affamés et traumatisés en plein mois de décembre froid et pluvieux.

Mais un peu plus à droite du centre de la scène, une personne s’est fait remarquer.

Hadeel al-Dahdouh, mère de deux enfants, est la seule femme connue à avoir été enlevée par les soldats israéliens lorsqu’ils ont pris d’assaut le quartier de Zaytoun dans la ville de Gaza à la fin de l’année dernière.

Dans un entretien accordé à Middle East Eye à Rafah après sa longue détention, elle raconte qu’elle, ainsi que son mari, ses beaux-parents et ses voisins, ont reçu des injections de substances inconnues et ont été soumis à des interrogatoires prolongés et violents, voire à des simulacres d’exécution, pendant leur captivité en Israël.

Contenant ses larmes, Hadeel al-Dahdouh, encore vêtue de la même « robe de prière » qu’elle portait lors de sa détention, est submergée par le chagrin lorsqu’elle raconte les sévices qu’elle a subis.

Son témoignage à propos de sa détention dans différentes zones de la bande de Gaza occupée et en Israël semble concorder avec celui d’autres anciens détenus enlevés par les forces israéliennes à la suite des attaques du 7 octobre.

La conduite de la guerre d’Israël contre le Hamas à Gaza fait déjà l’objet d’une procédure devant la Cour internationale de justice, dans laquelle Israël est accusé de génocide, et d’une enquête sur les crimes de guerre perpétrés menée par la Cour pénale internationale.

« Si je bougeais, ils me battaient »

Hadeel al-Dahdouh explique à MEE que son calvaire a commencé lorsque les forces israéliennes ont assiégé son quartier à l’aide de chars et d’autres véhicules blindés, obligeant sa famille – à savoir son mari, ses enfants, ses beaux-parents et deux membres de la famille al-Mughrabi – à s’abriter dans leur petite maison.

« Nous nous étions réfugiés au sous-sol lorsque les soldats israéliens ont bombardé l’un des murs et sont entrés. Ils nous ont tous emmenés à l’extérieur et ont séparé les hommes des femmes », raconte-t-elle.

« L’un des officiers m’a appelée et m’a dit : ‘’Viens ici, nous allons te faire passer un test.’’ Je lui ai demandé quel genre de test et il m’a répondu qu’il s’agirait d’un petit test sur ma main et que je pourrais retourner auprès de mes enfants.

« J’étais terrifiée. Je m’inquiétais pour la sécurité de mes enfants. »

Hadeel al-Dahdouh précise qu’avant de quitter le sous-sol, elle a confié son fils Muhammad, âgé de quatre ans, et son fils Zain, âgé de neuf mois, à sa belle-mère, redoutant le pire.

« Les soldats israéliens nous ont ensuite emmenés dans une autre maison qui avait été évacuée dans le quartier de Zaytoun. Une fois que nous sommes entrés dans la maison, ils ont immédiatement commencé à nous battre et à nous torturer », affirme-t-elle.

« Ils nous ont laissés là pendant un certain temps avant qu’un soldat vienne administrer aux hommes [une sorte] d’injection sédative dans le bas du dos. Peu après, ils ont commencé à avoir des hallucinations et n’étaient plus tout à fait conscients. Les soldats ne nous ont pas dit ce qu’ils leur avaient injecté, mais je soupçonne qu’il s’agissait d’un sédatif parce que j’avais déjà subi une césarienne et qu’on m’avait injecté un sédatif qui m’avait également donné des hallucinations. »

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L’un des soldats a ensuite forcé Hadeel al-Dahdouh à adopter une position de stress, la tête posée sur le sol et les bras attachés derrière les genoux.

Elle explique que son dos a été découvert et qu’une substance lui a été injectée près de la moelle épinière.

« Pendant plus d’une heure, on m’a forcée à rester dans cette position et je n’avais pas le droit de bouger. Si je bougeais, ils me battaient très fort. J’ai demandé [au soldat] ce qu’ils me faisaient, mais ils n’ont pas répondu. Ils se sont contentés de me lancer des injures et de me dire : "Tu es une sal*** du Hamas". »

« Je pleurais, je suppliais et je disais : "Je jure devant Dieu que je ne le suis pas, je suis juste une citoyenne normale comme tout le monde" », confie-t-elle.

« Je ne sais pas ce qu’ils m’ont injecté, mais c’était une sorte de solution, et ils ont également prélevé quelque chose de mon corps, comme un échantillon de sang », précise-t-elle.

Hadeel al-Dahdouh raconte que des soldats israéliens les ont ensuite interrogés, elle et les autres hommes, sur l’attaque du 7 octobre, leur demandant ce qu’ils faisaient lorsque des combattants du Hamas ont pris d’assaut la barrière et attaqué le sud d’Israël.

« [L’un des soldats israéliens] m’interrogeait et me frappait violemment dans le dos et sur les jambes. Le lien en plastique qui attachait mes mains était très serré et me faisait très mal, je lui ai demandé : "S’il vous plaît, desserrez-le un peu". Au lieu de cela, il l’a resserré encore plus fort. 

« Nous sommes restés dans cette maison une nuit. Le [lendemain] matin, ils nous ont emmenés dans un autre endroit qu’ils ont dit être le tribunal de la charia. Il y avait plus d’une centaine de détenus. Ils m’ont placée parmi les hommes et ont commencé à me battre et à me jeter des objets au visage pour m’effrayer. »

« Je vais t’enterrer vivante »

Le troisième jour, Hadeel al-Dahdouh raconte que les forces israéliennes ont creusé ce qui semblait être un trou et l’ont jetée dedans, ainsi que des dizaines d’autres hommes.

« J’ai commencé à pleurer et à crier, en disant : "Que faites-vous ?" Un officier m’a alors dit : "Je vais t’enterrer vivante." Je lui ai répondu : "Tirez-nous dessus directement, c’est mieux que de nous torturer comme ça" », rapporte-t-elle.

« Il a commencé à me battre et à m’insulter, puis il a enlevé mon foulard, j’ai pleuré et j’ai senti que je tombais. Mes sentiments étaient indescriptibles. 

« J’avais les yeux bandés, mais je pouvais voir un peu à travers le bandeau que j’avais sur les yeux. Ils ont pris mon mari et l’ont mis par terre très près d’un char d’assaut et ont fait semblant de lui rouler dessus. Puis j’ai entendu deux coups de feu, et un soldat m’a dit : "J’ai tué ton mari." »

Hadeel al-Dahdouh explique qu’on lui a alors fait croire que son mari était mort.

Pendant les 54 jours qui ont suivi, elle a cru qu’elle était désormais veuve. Ce n’est qu’à sa libération qu’elle a découvert que son mari était toujours en vie et que le soldat avait procédé à un simulacre d’exécution.

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Hadeel al-Dahdouh raconte que les soldats l’ont ensuite enterrée, ainsi que certains des hommes, sous une couche de sable. Les soldats les ont laissés dans le trou pendant un certain temps avant de les en sortir et de les transférer dans un centre de détention.

« Ils versaient du sable sur nous et nous injuriaient », témoigne-t-elle. « Nous pensions qu’ils allaient nous enterrer. »

Elle raconte que peu de temps après, elle a été forcée de monter dans un camion militaire israélien, comme en atteste la photo qui est devenue virale depuis lors. « J’étais la seule femme parmi des dizaines d’hommes », précise-t-elle.

« Ils nous ont emmenés à la zone frontalière, où j’ai vu trois autres femmes de la famille Abuzor. Pendant trois jours, nous sommes restés sans aucune nourriture, j’avais mal à cause de l’engorgement de mes seins, car à ce moment-là j’allaitais encore mon enfant, et comme je n’ai pas pu l’allaiter pendant des jours, ma poitrine était pleine de lait. »

Hadeel al-Dahdouh affirme avoir ensuite été transférée dans un autre centre de détention à Jérusalem, où elle a été soumise à une fouille à nu et où ses effets personnels ont été confisqués.

« Ils ont pris tout mon argent et l’or que je gardais dans mes chaussettes et mon soutien-gorge, ainsi que ma carte d’identité et mon téléphone portable », poursuit-elle. « Ils m’ont ensuite interrogée à nouveau sur les événements du 7 octobre, me demandant où se trouvait [le dirigeant du Hamas] Yahya Sinwar. 

« Je pleurais et je demandais à l’officier de me renvoyer chez moi, auprès de mes enfants, car je ne savais rien de ce qu’il disait. Il m’a dit : "Je ne te renverrai chez toi que lorsque nos fils à Gaza seront rentrés chez eux."

« Nous avons ensuite été placés dans une cellule qui ressemblait à une cage d’animaux. La pluie tombait sur nous et il faisait très froid. Ils nous battaient et nous torturaient tous les jours, de 4 heures du matin à 10 heures du soir. 

« Ils nous forçaient à nous asseoir en position de prostration et ne nous permettaient pas de bouger ou de changer de position. »

« Quand j’ai retrouvé mes enfants, ils étaient maigres et mal nourris »

Hadeel al-Dahdouh raconte que les forces israéliennes l’ont ensuite transférée dans un autre centre de détention à Be’er Sheva, où elle a été battue, torturée et a reçu des coups de pied directement sur sa plaie de césarienne.

Après avoir été blessée à la suite de ce passage à tabac, Hadeel al-Dahdouh confie qu’elle s’attendait à ce que l’armée israélienne la renvoie dans la bande de Gaza. Au lieu de cela, elle a été transférée à la prison de Damon en Israël, où elle a été torturée pendant six jours, avant d’être emmenée au point de passage de Karam Abou Salem, le long de la barrière avec Gaza.

« Ils nous ont laissés là et nous ont ordonné de courir vers Gaza sans nous retourner », raconte-t-elle.

« Nous sommes arrivés dans un centre des Nations unies à Rafah [dans le sud de la bande de Gaza] où j’ai appris que mon mari était toujours en vie et qu’il avait été libéré quelques jours plus tôt. Mais mes enfants étaient toujours dans la ville de Gaza – l’un d’eux était avec ma mère et l’autre avec ma belle-mère. 

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« Non seulement j’ai été séparée de mes enfants pendant ma période de détention, mais je n’ai pas pu retourner à Gaza après ma libération, et ma mère et ma belle-mère n’ont pas pu se rendre dans le sud parce qu’elles sont âgées et ne peuvent pas prendre le risque de traverser la dangereuse rue al-Rasheed et les check-points israéliens. »

Après des jours d’attente, elle raconte qu’elle a finalement pu retrouver ses enfants après que sa belle-sœur eut pris la courageuse décision de quitter la ville de Gaza et de lui amener ses enfants.

« J’ai été choquée lorsque j’ai vu mes enfants. Ils étaient très maigres et souffraient de malnutrition sévère. 

« Pour ne rien arranger, l’armée a pris tout mon argent et mon or et m’a laissée en mauvaise santé. La plaie de la césarienne s’est ouverte et la zone s’est infectée. Je ne peux ni me déplacer ni m’occuper de mes enfants. »

La guerre à Gaza, qui dure depuis six mois, a plongé près de la moitié des Palestiniens de Gaza, soit environ 1,1 million de personnes, dans une situation de faim « catastrophique », ont averti les organisations humanitaires.

Plus de 33 000 Palestiniens ont été tués dans l’enclave côtière et des milliers de corps sont perdus dans les décombres.

Tandis que la plupart des hôpitaux de Gaza ont été contraints de fermer, les quelques centres médicaux encore partiellement opérationnels ne disposent pas de suffisamment de matériel médical, de médecins ou de personnel pour faire face au nombre de morts et de blessés.

MEE a contacté l’armée israélienne pour obtenir un commentaire, mais aucune réponse n’avait été obtenue au moment de la publication.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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