Cent jours de guerre à Gaza : les Palestiniens se sentent isolés, abandonnés et terrifiés
Lorsqu’elle a fui sa maison à la mi-octobre, Yara Waheidi était convaincue que la guerre d’Israël à Gaza ne durerait que quelques jours.
Après avoir préparé des vêtements légers pour ses trois jeunes enfants dans une petite valise, elle a entrepris le pénible voyage vers le sud, d’abord vers Gaza, puis vers Nuseirat, et enfin vers Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza.
Bravant les frappes aériennes et les tirs de snipers israéliens, elle a continué à fuir vers une zone sans cesse plus réduite de l’enclave côtière, avec un seul espoir en tête : survivre à l’assaut israélien.
Mais après cent jours de terreur, Yara Waheidi confie avoir pris conscience que son sort allait probablement s’aggraver, car le conflit prolongé ne semble pas près de s’achever.
« Lorsque nous avons décidé d’évacuer, j’ai pris un petit sac avec quelques vêtements légers pour mes enfants », explique Yara Waheidi, 39 ans, à Middle East Eye.
« Nous étions encore en automne et, à Gaza, nous commençons à revêtir des vêtements épais et chaud à partir de la mi-décembre. Je pensais que nous n’en aurions pas besoin parce que la guerre ne durerait pas au-delà du mois d’octobre. »
« Mais le mois d’octobre est passé, le mois de novembre est passé, le mois de décembre est passé, et maintenant nous sommes en janvier. Même dans mon pire cauchemar, je n’aurais jamais imaginé que nous aurions été déplacés aussi longtemps. »
« Pour le monde, ce sont cent jours. Pour nous, cela ressemble à cent ans »
- Lamia Saqqa, déplacée
Yara Waheidi indique qu’elle envisage à présent de fuir à nouveau, car Israël intensifie ses frappes aériennes et son offensive terrestre dans les quartiers adjacents à celui où elle a trouvé refuge.
« Je n’arrive pas à croire qu’après cent jours, nous en soyons toujours à parler de trouver un abri, de savoir où aller et de déterminer quel est l’endroit le plus sûr. »
« Je suis fatiguée [par] les circonstances difficiles, les difficultés et les problèmes auxquels nous sommes confrontés pour accomplir de simples tâches quotidiennes, mais surtout, je suis mentalement épuisée de [devoir] réfléchir à ce que je dois faire et à ce qui va se passer ensuite. »
Le feu vert de l’Occident
Depuis cent jours, le monde entier assiste aux bombardements intensifs et à l’invasion terrestre d’Israël, qui ont réduit de vastes zones de Gaza en ruines.
Le conflit israélo-palestinien, vieux de plusieurs décennies, s’est aggravé le 7 octobre lorsque des combattants palestiniens dirigés par le Hamas ont franchi la barrière frontalière de haute technologie qui encercle la bande de Gaza sous blocus et fait irruption dans le sud d’Israël, à la suite de provocations israéliennes sur le troisième site le plus sacré de l’islam, la mosquée al-Aqsa à Jérusalem.
Plus de 1 100 personnes ont été tuées lors de ces attaques en Israël, la majorité d’entre elles étaient des civils, d’après un bilan établi par MEE sur la base de chiffres officiels.
Israël a réagi en lançant des milliers de frappes aériennes sur l’enclave densément peuplée, détruisant des zones urbaines et rasant des immeubles résidentiels de plusieurs étages.
Une grande partie du nord de Gaza a été réduite à un terrain vague poussiéreux et plus de 24 100 Palestiniens, dont plus des deux tiers sont des femmes et enfants, ont été tués dans l’enclave.
Les Palestiniens ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils étaient incapables de récupérer des corps en décomposition dans les rues, de peur d’être eux-mêmes tués.
Un nombre impressionnant de 1,9 million de Palestiniens ont été déplacés, la majorité d’entre eux ayant dû transporter leurs enfants d’un endroit à l’autre à la recherche d’une sécurité toujours insaisissable.
Ces dernières semaines, Israël a dû faire face à une pression internationale croissante pour mettre fin à la guerre, mais a été largement couvert par le soutien diplomatique et militaire des États-Unis.
Samedi 13 janvier, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déclaré avec assurance que son pays ne se laisserait pas décourager par les accusations de génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza.
« Personne ne nous arrêtera, ni La Haye, ni l’Axe du mal, ni personne », a-t-il assuré, faisant référence à la Cour internationale de justice (CIJ) où l’Afrique du Sud a accusé Israël de génocide la semaine dernière.
Une décision provisoire de la CIJ est attendue dans quelques semaines, mais la Cour dispose de peu de moyens pour faire appliquer les mesures qu’elle pourrait proposer. Tout résultat risque donc d’être de nature symbolique.
En 2004, la Cour avait émis un avis non contraignant considérant que la construction par Israël de son mur de séparation en béton en Cisjordanie occupée était illégale et qu’il devait être démantelé. Plus de vingt ans plus tard, les murs et les clôtures sont toujours en place.
« Israël nous traite comme des sous-humains »
Au début de la guerre, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a qualifié les Palestiniens d’« animaux humains » lorsqu’il a annoncé qu’Israël couperait les vivres, l’électricité, l’eau et le carburant à l’enclave assiégée.
Abu Muhammed Gharbi, 55 ans, a été déplacé à plusieurs reprises depuis le début du conflit. Il affirme que le gouvernement israélien considère réellement les Palestiniens comme des sous-hommes et est déterminé à les soumettre à un traitement inhumain.
« Nous nous réfugions dans des endroits qui ne sont appropriés qu’aux chiens », témoigne-t-il auprès de MEE dans une rue encombrée d’ordures à Deir al-Balah, dans le centre de la bande de Gaza.
« Aucun humain ne peut vivre dans ces conditions. Pourtant, nous vivons ainsi depuis plus de trois mois, soit le quart d’une année. »
Abu Muhammed Gharbi souligne que de nombreux Palestiniens, s’ils parviennent à survivre à la guerre, risquent de ne pas avoir de maison où retourner.
« Les conséquences de la guerre sont dévastatrices, mais nous n’en verrons la véritable ampleur que lorsque nous retournerons à Gaza, dans nos maisons et nos quartiers, et que nous constaterons le véritable niveau de destruction. Là, nous serons à nouveau confrontés au déplacement jusqu’à ce que nous reconstruisions nos habitations ou que nous trouvions d’autres solutions. »
Selon les chiffres du bureau des médias du gouvernement palestinien à Gaza, cités par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), on estime que 65 000 unités résidentielles ont été détruites ou rendues inhabitables et 290 000 autres ont été endommagées.
Un bilan du Centre satellitaire des Nations unies (UNOSAT), qui ne couvrait que les 50 premiers jours de la guerre, a révélé qu’environ 18 % des structures de Gaza avaient été détruites ou endommagées.
« Lorsque la guerre prendra fin, on ne sait quand, il nous faudra probablement au moins quinze ans pour reconstruire ce qui a été détruit, et peut-être toute une vie pour guérir les profondes blessures psychologiques et les traumatismes complexes qui n’en finissent pas »
- Abu Muhammed Gharbi, déplacé
Une analyse de données satellitaires citée par Associated Press (AP) suggère pour sa part qu’environ deux tiers de toutes les structures dans le nord de Gaza ont été détruites.
D’après l’AP, le taux de dévastation est pire que la destruction d’Alep en Syrie entre 2012 et 2016 ou que les bombardements russes sur Marioupol en 2022.
« Il s’agit d’une guerre d’usure ; elle dure depuis aussi longtemps parce que le but est d’épuiser les Palestiniens à tous les niveaux », déplore Abu Muhammed Gharbi.
« Aujourd’hui, notre principale préoccupation quotidienne consiste à trouver de l’eau pour boire et se laver, trouver de la nourriture, essayer de contacter les membres de notre famille pour s’assurer qu’ils vont bien et savoir où s’abriter. Plus la situation durera, plus les gens se sentiront à bout de forces et épuisés. »
« Lorsque la guerre prendra fin, on ne sait quand, il nous faudra probablement au moins quinze ans pour reconstruire ce qui a été détruit, et peut-être toute une vie pour guérir les profondes blessures psychologiques et les traumatismes complexes qui n’en finissent pas. »
Cent jours de guerre qui semblent cent ans
Pour Lamia Saqqa, qui se trouve actuellement à Gaza, presque chaque jour depuis le 7 octobre a été marqué par la douleur et la perte.
« Pour le monde, ce sont cent jours. Pour nous, cela ressemble à cent ans », confie-t-elle à MEE.
« Chaque minute, nous sommes terrifiés à l’idée de recevoir de mauvaises nouvelles ou que notre maison soit bombardée. Chaque heure, nous devons faire face à de nouvelles difficultés pour nous procurer de la nourriture et de l’eau », explique-t-elle.
Les conditions sanitaires sont désastreuses et on voit régulièrement les Palestiniens se ruer sur la nourriture apportée occasionnellement par des camions d’aide en provenance d’Égypte.
Selon une étude réalisée en décembre par Euro-Med Human Rights Monitor, 98 % des personnes interrogées à Gaza ont déclaré que leur alimentation était insuffisante, tandis que 64 % ont avoué avoir mangé de l’herbe, des aliments non mûrs et des produits périmés pour combler leur faim.
L’étude révèle que la quantité d’eau accessible, y compris l’eau pour boire, se laver et nettoyer, n’est que de 1,5 litre par personne et par jour.
Cela représente 15 litres de moins que la quantité minimale d’eau nécessaire à la survie au niveau requis selon les normes internationales, a constaté Euro-Med Monitor.
Faisant référence au roman Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez, Lamia Saqqa affirme que les Palestiniens se sentent abandonnés du reste du monde.
« Cela fait cent jours que nous sommes isolés. Nous avons été coupés du reste du monde, confrontés à des coupures d’électricité constantes. Nous nous sentons abandonnés alors que le monde laisse cette tragédie se poursuivre », déplore-t-elle.
« S’il y a bien une chose que j’ai apprise au cours de ces cent derniers jours, c’est que la communauté internationale et l’attention qu’elle porte aux droits de l’homme ne sont qu’un gros mensonge. »
« Il n’y a pas de droits humains. »
Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.
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