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Cent jours de guerre à Gaza : plus de 23 000 morts et une société en ruines

De toutes les attaques israéliennes contre l’enclave assiégée, celle lancée le 7 octobre cause des destructions d’une ampleur sans précédent
Des enfants regardent un arc-en-ciel au-dessus de Rafah, alors qu’Israël continue ses raids sur la bande de Gaza (AFP)
Des enfants regardent un arc-en-ciel au-dessus de Rafah, alors qu’Israël continue ses raids sur la bande de Gaza (AFP)

Cent jours après le déclenchement de l’assaut israélien sur Gaza, les bombes continuent de tomber sur l’enclave assiégée, qui a déjà vu 4 % de sa population tuée, blessée ou portée disparue.

S’il est impossible de cataloguer tout ce qui a été détruit et endommagé jusqu’à présent, et qui continue de l’être, il est possible de dire avec certitude que l’ampleur des destructions depuis le 7 octobre est sans précédent comparée à celle de toute autre guerre israélienne contre Gaza.

« Je ne pense pas que quiconque à Gaza puisse imaginer l’ampleur des destructions qu’Israël a infligées aux Palestiniens », commente pour Middle East Eye Yousef al-Jamal, journaliste et auteur palestinien de Gaza qui a traversés ces guerres. « Cela dépasse l’imagination. »

« Nous n’avons jamais vu de telles destructions, même pendant la Nakba », souligne-t-il en faisant référence à l’expulsion des Palestiniens lors de la création d’Israël en 1948. « C’est quelque chose que nous n’avons jamais vu auparavant ».

Des écoles aux hôpitaux, des universités aux centres commerciaux, des bibliothèques aux théâtres, en 100 jours, les éléments constitutifs d’une société qui fonctionnait encore après seize ans de siège ont été anéantis.

Un observateur affirme que 70 % des infrastructures civiles de Gaza ont disparu.

MEE a dressé une liste provisoire de ce qui a été détruit et endommagé.

Santé : la plupart des hôpitaux ne fonctionnent plus

Un expert de l’ONU a qualifié les attaques déclenchées de « guerre implacable » contre le système de santé à Gaza.

« L’infrastructure de santé dans la bande de Gaza a été complètement anéantie », a déclaré en décembre Tlaleng Mofokeng, rapporteuse spéciale de l’ONU sur le droit à la santé et médecin praticien.

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’armée israélienne a attaqué 94 établissements de santé et 79 ambulances depuis le 7 octobre.

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Plus de la moitié des hôpitaux de Gaza ne fonctionnaient plus au 5 janvier. Treize hôpitaux restants – neuf dans le sud et quatre dans le nord – restent partiellement opérationnels, mais confrontés à des pénuries de produits et matériels de base et de carburant. Ils essaient de fonctionner bien au-delà de leur capacité habituelle.

Alors que les fournitures médicales, l’eau et l’électricité sont épuisées, les médecins rapportent être contraints de travailler dans des conditions insalubres et d’avoir recours à des objets du quotidien à la place du matériel médical de base. À la place de la solution antiseptique, il utilisent du liquide vaisselle et du vinaigre.

Des opération sont réalisées sans anesthésie, y compris certaines opérations au cours desquelles 1 000 enfants ont été amputés d’un ou des deux membres, a rapporté l’UNICEF.

« La situation est telle qu’au Moyen-Âge », assure à MEE Ghassan Abu Sittah, un chirurgien palestino-britannique parti comme bénévole à Gaza.

Selon l’ONU, au moins 326 professionnels de la santé ont été tués et d’autres ont été arrêtés et détenus, notamment le Dr Muhammad Abu Salmiya, le Dr Ahmed Kahlot et le Dr Ahmed Muhanna, les directeurs des hôpitaux al-Chifa, Kamal Adwan et al-Awda.

Culture : effacer les souvenirs

Des archives de la ville de Gaza, qui contenaient des milliers de documents historiques remontant à 150 ans, ont été bombardées le 29 novembre et font partie des nombreuses institutions culturelles et sites archéologiques détruits et endommagés.

Les Archives centrales contenaient des plans de bâtiments historiques et des manuscrits de personnalités connues. Pour Yahya al-Sarraj, maire de Gaza, l’attaque « a effacé une grande partie de notre mémoire palestinienne ».

« Cette destruction a été particulièrement difficile pour nous car [les archives] portent la mémoire de la ville de Gaza. »

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Le centre culturel historique Rashad al-Shawwa, qui abritait une bibliothèque, des salons pour des événements culturels, une imprimerie et le grand théâtre, a également été détruit lors de la même attaque. Le maire l’appelait « le joyau de la ville ».

Les frappes israéliennes ont aussi démoli la principale bibliothèque de Gaza, qui était un lieu de rassemblement pour des événements et contenait des milliers de livres, ainsi qu’une bibliothèque pour enfants et un centre culturel où les langues étaient enseignées.

Selon Euro-Med Monitor (observatoire euro-méditerranéen des droits de l’homme), parmi les autres sites artistiques et culturels touchés figurent le Centre culturel orthodoxe, le musée culturel d’al-Qarara, le musée de Rafah, le siège de l’association Our Sons for Development, le Centre de la culture et des arts de Gaza, l’association Milad, le Centre social et culturel arabe et l’association du théâtre Hakawi.

La plupart des animaux du zoo de Gaza, dans le parc Al-Bisan, à Jabaliya, auraient été bombardés ou seraient morts de faim avant que les gardiens du zoo ne puissent les atteindre avant la trêve de fin novembre.

Au zoo de Rafah, des dizaines de personnes déplacées et affamées vivent désormais dans l’enceinte du zoo, certaines dans des maisons de fortune construites avec des bâches en plastique.

Une famille palestinienne déplacée vit dans un abri de fortune installé après des cages des animaux, dans le zoo de Rafah, le 2 janvier 2024 (AFP)
Une famille palestinienne déplacée vit dans un abri de fortune installé après des cages des animaux, dans le zoo de Rafah, le 2 janvier 2024 (AFP)

Il n’y a pas que les sites culturels contemporains qui ont été perdus ou dont la vocation a été détournée à cause de la guerre. Selon Forensic Architecture, les forces israéliennes ont également « détruit en grande partie » le port d’Al-Balakhiya et l’ancien port de Gaza, considéré comme l’un des sites archéologiques les plus remarquables de Gaza.

Le site, situé dans la zone du camp de réfugiés d’Al-Shati, dans le nord de Gaza, présentait des vestiges, parfois superposés, datant de l’âge du fer, avec des éléments des époques hellénistique, romaine et byzantine.

D’autres sites historiques détruits par Israël à Gaza, selon Euro-Med Monitor, incluent la maison Al-Saqqa, vieille de 400 ans, la maison Al-Ghussein et le hammam al-Samra, tous de l’ère ottomane.

Début novembre, l’ONG espagnole Heritage for Peace estimait à 104 le nombre total de sites historiques et archéologiques détruits ou endommagés.

Culte : le silence remplace les appels à la prière

Des dizaines de mosquées et d’églises, dont certains des lieux de culte les plus anciens de Gaza, ont été totalement ou partiellement détruites depuis le 7 octobre.

La mosquée al-Omari ou Grande Mosquée de Gaza, la plus grande et la plus ancienne mosquée de la ville de Gaza, a été réduite en ruines, ce que le Hamas a imputé à un attentat à la bombe israélien début décembre, ne laissant intact que son minaret vieux de 1 400 ans.

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La mosquée a été construite au VIIe siècle sur les ruines d’une église de l’époque byzantine, elle-même construite sur un ancien temple romain.

Nommée d’après le calife Omar ibn al-Khattab, alors au pouvoir, la mosquée a une histoire de destruction et de renaissance, notamment son remplacement par une cathédrale des Croisés, démolie par les Mongols et détruite lors d’un tremblement de terre au XIIIe siècle.

Les habitants affirment que la destruction de ce monument emblématique, ainsi que les dégâts ou la destruction de plus de 200 mosquées (20 % de toutes les mosquées de Gaza) ont laissé un silence étrange dans de nombreuses régions de Gaza.

Il s’agit notamment de la mosquée Ahmed Yasin et de la mosquée Al-Hasayna dans la ville de Gaza, de la mosquée Salim Abu à Beit Lahia et de la mosquée Khalid ben al-Walid à Khan Younès.

« Nous n’entendons plus l’appel à la prière dans notre quartier en raison de la destruction complète de la zone orientale de la ville, y compris des mosquées », a témoigné à MEE Khaled Abu Jame, un habitant de Khan Younès âgé de 25 ans.

Trois églises historiques ont également subi des dégâts, parmi lesquelles l’église Saint-Porphyre de la ville de Gaza.

La mosquée Al-Hasayna, à Gaza. À gauche : photo datant de janvier 2024 après un bombardement israélien. À droite : une photo prise en 2021 (AFP/Mohammed Abed)
La mosquée Al-Hasayna, à Gaza. À gauche : photo datant de janvier 2024 après un bombardement israélien. À droite : une photo prise en 2021 (AFP/Mohammed Abed)

Saint-Porphyre est la plus ancienne église encore active à Gaza. Elle a été édifiée au XIIsiècle sur le site d’une autre église bâtie en 425 de notre ère.

L’église a été endommagée le 19 octobre lorsque les forces israéliennes ont bombardé l’enceinte de l’église, où 400 Palestiniens de toutes confessions s’étaient réfugiés, tuant au moins dix-huit personnes.

Le monastère de Saint Hilarion, situé sur le site archéologique de Tell Umm Amer, dans la ville côtière d’al-Nuseirat, a également subi des dommages à la suite des attaques israéliennes, a rapporté Euro-Med Monitor.

Le monastère a été construit il y a plus de 1 600 ans par saint Hilarion, considéré comme le fondateur de la vie monastique en Palestine, selon la délégation palestinienne auprès de l’UNESCO.

Éducation : pas d’école à Gaza pour le moment

Si plus de 625 000 enfants en âge scolaire et près de 23 000 enseignants étaient recensés dans des écoles à travers Gaza avant le 7 octobre, selon l’ONU. Il n’y a actuellement plus école à Gaza puisqu’environ 90 % de tous les bâtiments scolaires sont utilisés comme abris ou ont subi des dommages.

Début janvier, l’ONU a chiffré à 342 le nombre d’écoles endommagées, dont plus de 100 ont été soit gravement touchées, soit complètement détruites.

Le Bureau central palestinien des statistiques a déclaré début novembre que 3 117 étudiants et 130 enseignants et membres du personnel avaient été tués, parmi lesquels la jeune Al-Shaima Akram Saidam.

La lycéenne avait obtenu le meilleur taux de réussite (99,6 %) à l’examen de fin d’année, le Tawjihi, certificat d’études secondaires, équivalent du baccalauréat. Plusieurs membres de sa famille ont aussi été tués, selon les médias locaux. Elle avait prévu de poursuivre ses études à l’université islamique de Gaza, où elle espérait obtenir un diplôme en traduction anglaise.

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L’université al-Azhar, également dans la ville de Gaza, et la branche nord de Gaza de l’université ouverte d’al-Quds ont également été gravement endommagées à la suite des bombardements israéliens, a déclaré le ministère palestinien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en novembre.

Mohammed al-Hajjar, photographe pour MEE à Gaza, qui a étudié à l’université d’al-Azhar pendant sept ans, a déclaré que ce n’était pas seulement l’université elle-même qui avait été bombardée.

« Les rues qui l’entourent ont été bombardées, tout comme les bâtiments situés à l’intérieur du campus universitaire », a-t-il écrit.

Plus de 446 étudiants et membres du personnel universitaire ont été tués, dont le président de l’Université islamique, Sufian Tayeh, un mathématicien appliqué et physicien théoricien très réputé qui était titulaire de la chaire de l’UNESCO pour la physique, l’astronomie et les sciences spatiales en Palestine.

Près de 90 000 étudiants de l’enseignement supérieur ont vu leurs études interrompues, selon le ministère.

Quartiers d’affaires et moyens de subsistance détruits

L’exemple le plus dramatique de l’effondrement du secteur commercial de Gaza est peut-être la destruction de la rue al-Rasheed, l’artère côtière qui s’étend du nord au sud, parsemée de restaurants, de cafés et de vendeurs ambulants.

Selon les  habitants, la corniche, site touristique clé, était vivante et animée la nuit venue, lorsque les coupures de courant enveloppaient l’enclave, offrant un répit aux difficultés de la vie quotidienne assiégée.

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À Rimal, le quartier le plus chic de la ville de Gaza, des boulevards bordés d’arbres abritaient des boutiques, des glaciers et des salons de coiffure au milieu des bâtiments des universités, des bureaux gouvernementaux et des organisations internationales.

Une grande partie du quartier et des moyens de subsistance qu’il soutenait ont été détruits, y compris le port de Gaza, le seul port de l’enclave, où étaient amarrés les bateaux de pêche.

Les banques et les bureaux de change situés le long de la rue animée Omar al-Mukhtar ont été touchés par les frappes aériennes israéliennes, puis pillés, a rapporté Mohammed al-Hajjar de MEE.

« Je me souviens très bien des employés et des clients rassemblés à son entrée », a écrit Hajjar à propos de la Banque nationale islamique, qui a été détruite le 8 octobre.

« Certains fumaient des cigarettes tandis que d’autres faisaient la queue pour toucher leur salaire. Aujourd’hui, cette banque, comme plusieurs autres, a complètement disparu. »

Le long du même tronçon commercial, racontait Hajjar, le Capital Mall, qui a ouvert ses portes en 2017, a été endommagé mais était toujours debout. Il a ensuite été pillé.

Au coin de la rue, les forces israéliennes ont bombardé le Panda Mall, son lieu de prédilection pour ses courses et ses articles ménagers. Des supermarchés et des marchands de journaux familiaux ont également été détruits par les bombardements.

Des images ont été publiées montrant des soldats israéliens vandalisant des magasins. D’autres ont été filmés en train d’incendier des bonbons chez un vendeur du quartier Shujaiya à Gaza.

« Lorsque nous menons une attaque, nous allumons la lumière dans cet endroit obscur », explique un soldat en allumant un bonbon et en le posant sur une pile de cartons. « Nous le brûlons jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucun souvenir de cet endroit. »

Traduit de l’anglais (original).

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