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Gaza : quatre destins brisés par les bombes israéliennes

Footballeur, peintre, poète… Ils avaient tous réussi à se distinguer par leur passion et gardaient l’espoir de jours meilleurs. Tous sont morts dans les frappes israéliennes menées sur Gaza depuis le 7 octobre
Le 13 octobre, une frappe israélienne a ciblé la maison de Heba Zagout, à Bureij, la tuant ainsi que deux de ses quatre enfants. En tant qu’éducatrice et artiste, elle avait consacré sa vie à documenter le patrimoine et l’histoire palestiniennes (Photo fournie)
Le 13 octobre, une frappe israélienne a ciblé la maison de Heba Zagout, à Bureij, la tuant ainsi que deux de ses quatre enfants. En tant qu’éducatrice et artiste, elle avait consacré sa vie à documenter le patrimoine et l’histoire palestiniennes (Photo fournie)

Heba, la romancière bien-aimée de Gaza 

Heba Abu Nada a été tuée le 20 octobre 2023, lors d’une frappe aérienne israélienne sur une maison à Khan Younès, où elle avait trouvé refuge auprès de sa famille (Réseaux sociaux)
Heba Abu Nada a été tuée le 20 octobre 2023, lors d’une frappe aérienne israélienne sur une maison à Khan Younès, où elle avait trouvé refuge auprès de sa famille (Réseaux sociaux)

Une semaine après le début des bombardements sur Gaza, l’armée israélienne a prévenu plus d’un million de Palestiniens du nord de l’enclave assiégée : ils devaient quitter leurs maisons et se diriger vers le sud « pour leur propre sécurité ».

Des centaines de milliers de personnes ont donc fui. Parmi elles se trouvait la romancière et poète palestinienne Heba Abu Nada, qui avait trouvé refuge auprès de sa famille à Khan Younès. 

Mais le sud de Gaza n’était pas plus sûr que le nord. Une semaine plus tard, la poète de 32 ans était tuée dans une frappe israélienne.

« Aux yeux de Dieu, nous, à Gaza, sommes soit des martyrs, soit des témoins de la libération, et nous attendons tous de voir où nous serons. Nous attendons tous, ô mon Dieu, ta véritable promesse », avait écrit Heba le 20 octobre, le jour où elle a été tuée.

La jeune femme a co-écrit trois recueils de poésie et, en 2017, elle a remporté la deuxième place du Sharjah Award for Arab Creativity, dans la catégorie roman, pour son premier livre, Oxygen isn't for the dead (l’oxygène n’est pas pour les morts). Elle a également remporté la première place dans la catégorie nouvelles dans un concours portant le nom de l’auteur palestinien Nahid al-Rayyis.

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Après une formation en biochimie et dans l’éducation, elle travaillait sur une thèse de maîtrise en nutrition clinique.

Heba dirigeait aussi le club scientifique du Centre Rasel pour enfants surdoués et publiait souvent des articles sur son travail avec les enfants, leurs compétences et sa relation privilégiée avec eux.

Après sa mort, de nombreuses personnes lui ont rendu hommage sur les réseaux sociaux, certains l’appelant « la fille de Gaza », « la guerrière de l’espoir » et saluant « une écrivaine spéciale ». 

Yasser Shahin, un de ses professeurs, a déploré la perte d’une « grande étudiante » et d’une écrivaine avec laquelle il avait collaboré sur un nouveau film intitulé Ayla.

Une de ses amies, Aya, a partagé une capture d’écran d’une conversation qu’elles avaient eue dans le passé. Dans ses messages, Heba avait exprimé sa joie à l’idée son amie se marie et quitte Gaza, en ajoutant : « J’aimerais pouvoir voyager et sortir bientôt de cette prison. »

Un jour avant sa mort, Heba pleurait ses amis tués les uns après les autres lors des frappes israéliennes : « Ma liste d’amis diminue et se transforme en petits cercueils, dispersés ici et là. Je ne peux pas attraper mes amis alors qu’ils volent après les missiles… Ce ne sont pas que des noms, il s’agit de nous, nous avons des visages et des noms différents. »

Traduit partiellement de l’anglais (original).

Nazir, star montante du football

Nazir, 20 ans, laisse dans le deuil sa mère et ses deux sœurs, qui ont également été blessées lors de la frappe (Facebook)
Nazir, 20 ans, laisse dans le deuil sa mère et ses deux sœurs, qui ont également été blessées lors de la frappe (Facebook)

La famille al-Nashnash avait fui son domicile, dans le camp de réfugiés de Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. Mais le samedi 21 octobre, Nazir, 20 ans, étudiant et footballeur dans le club de Khadamat al-Bureij, son père Atta, 43 ans, et son oncle Nael étaient retournés dans leur immeuble de six étages pour récupérer quelques affaires.

« Dès qu’ils sont entrés, un avion israélien a visé la maison avec un premier missile, puis un autre, entraînant la destruction complète de la maison et la perte tragique de leurs vies », a témoigné à Middle East Eye Emad al-Nashash, un proche de la famille, présentateur à la radio et télévision jordanienne.

Hammad al-Nashash, un cousin basé en Jordanie, a confirmé à MEE que d’autres membres de la famille avaient également été blessés alors qu’ils se trouvaient à l’extérieur du bâtiment.

« Nazir était un jeune homme ambitieux et optimiste quant à l’avenir. Il aimait la vie et adorait jouer au football. »

Nazir laisse dans le deuil sa mère et ses deux sœurs, qui ont également été blessées lors de la frappe. Yusra, 18 ans, la sœur de Nazir, a posté des hommages touchants à son frère, son père et son oncle, sur la page Facebook de leur père.

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Décrivant son frère comme un « morceau de son cœur », elle a écrit : « Tu m’avais inscrite à l’université avec toi, juste pour que je puisse être avec toi, afin que nous ne nous séparions jamais, que nous fassions tout ensemble pour devenir ingénieurs. »

Elle a aussi écrit à son père : « Papa [...] Nous voulions mourir ensemble pour qu’aucun de nous ne soit désolé pour l’autre. Où es-tu allé papa ? »

« La star du football de Khadamat al-Bureij, Nazir Atta al-Nashnash, est tombé en martyr au cours de l’agression israélienne brutale en cours contre Gaza », a déclaré le Comité olympique palestinien dans un communiqué publié sur Facebook.

La famille al-Nashash, originaire de la ville d’al-Faluja, à environ 20 kilomètres à l’est de la bande de Gaza, a cherché refuge à Jabaliya après la Nakba de 1948, qui a vu près d’un million de Palestiniens déplacés de leur pays d’origine.

Plusieurs autres personnalités du sport ont été tuées dans les bombardements sur Gaza : Basem al-Nabahin, un joueur du club de basket-ball de Khadamat al-Bureij, Mohammad Matar, qui a travaillé pour le comité des médias de la fédération de ju-jitsu, Abdul Hafeez al-Mabhouh, membre de l’équipe nationale palestinienne de judo, Omar Abu Shawish, membre du bureau exécutif de l’Union palestinienne de la culture sportive, Arif al-Nabahin, décrit par le comité comme un « pilier » du club de basket, ou encore Rashid Dabour, joueur de football du club al-Ahly Beit Hanoun et de l’équipe nationale palestinienne de football. 

Dans une déclaration publiée sur Facebook le 18 octobre, en réponse à l’augmentation du nombre de morts parmi les civils à Gaza, l’Association arabe de la culture sportive (ASCA) a exhorté les institutions sportives nationales et internationales à appeler à un cessez-le-feu et à exprimer leur solidarité avec le peuple palestinien.

L’association a aussi annoncé que les athlètes arabes ne participeraient à aucun futur championnat accueillant des athlètes israéliens pour protester contre le bilan des victimes civiles.

Traduit partiellement de l’anglais (original).

Al-Shaima, une brillante lycéenne

La lycéenne avait prévu de poursuivre ses études à l’université islamique de Gaza (X)
La lycéenne avait prévu de poursuivre ses études à l’université islamique de Gaza (X)

Les frappes aériennes israéliennes sur le camp de réfugiés de Nuseirat ont tué Al-Shaima Akram Saidam, la lycéenne qui a obtenu le meilleur taux de réussite (99,6 %) à l’examen de fin d’année, le Tawjihi, certificat d’études secondaires, équivalent du baccalauréat. Plusieurs membres de sa famille ont aussi été tués, selon les médias locaux.

En juillet, la maison de la jeune fille, où sa famille était réunie pour fêter sa réussite, a résonné des percussions et des youyous.

« Même pendant les agressions [israéliennes], je n’ai jamais arrêté d’étudier », avait alors déclaré Al-Shaima aux médias palestiniens en expliquant suivre une rigoureuse hygiène de vie malgré le stress.

Avant le conflit, les habitants de Gaza étaient déjà confrontés à des coupures d’électricité régulières et à des conditions de vie difficiles imposées par le blocus israélien. Mais selon le père d’Al-Shaima, tout cela ne perturbait pas sa fille.

La lycéenne avait prévu de poursuivre ses études à l’université islamique de Gaza, où elle espérait obtenir un diplôme en traduction anglaise. Cette université a été ciblée par une frappe aérienne israélienne et détruite.

Traduit partiellement de l’anglais (original).

Heba Zagout, artiste et éducatrice 

Ses œuvres, riches en détails, représentent des éléments emblématiques comme les maisons palestiniennes, les fermes, les activités quotidiennes, les arbustes et les arbres, les mosquées et les églises (Photo fournie)
Ses œuvres, riches en détails, représentent des éléments emblématiques comme les maisons palestiniennes, les fermes, les activités quotidiennes, les arbustes et les arbres, les mosquées et les églises (Photo fournie)

Le 13 octobre, une frappe israélienne a ciblé la maison de Heba Zagout, la tuant ainsi que deux de ses quatre enfants, Adam et Mahmoud. Selon sa sœur Ghazi, le mari de Heba Zagout et leurs deux autres enfants, Faisal et Baraa, ont survécu.

En tant qu’éducatrice et artiste, Heba Zagout avait consacré sa vie à documenter le patrimoine et l’histoire palestiniennes, confrontés à un effacement et à une menace sans fin sous l’occupation israélienne.

Ses œuvres, riches en détails, représentent des éléments emblématiques comme les maisons palestiniennes, les fermes, les activités quotidiennes, les arbustes et les arbres, les mosquées et les églises, soulignant la nécessité de préserver l’identité palestinienne face à l’adversité.

Née dans le camp de réfugiés de Bureij, à Gaza, Heba Zagout a grandi en écoutant les histoires de ses aînés, qui racontaient régulièrement les événements qui ont conduit à la création d’Israël en 1948.

Selon sa sœur Maysaa Ghazi, Heba avait développé une passion pour la peinture dès son plus jeune âge. Diplômée en graphisme à l’université al-Aqsa de Gaza, spécialité beaux-arts, elle était ensuite devenue professeure d’art dans une école primaire de Gaza.

Elle continuait à peindre, à la fois pour connecter la région aux amateurs d’art du monde entier et pour aider à payer les factures en tant qu’unique soutien d’une famille de six personnes.

Ce tableau montre Heba Zagout dans un autoportrait, en tant que jeune femme palestinienne souriante, vêtue d’une thobe noire avec broderie tatreez et drapée d’un foulard blanc, debout devant plusieurs scènes colorées d’un village (Heba Zagout)
Ce tableau montre Heba Zagout dans un autoportrait, en tant que jeune femme palestinienne souriante, vêtue d’une thobe noire avec broderie tatreez et drapée d’un foulard blanc, debout devant plusieurs scènes colorées d’un village (Heba Zagout)

« Je suis née avec le mot réfugié. Je n’ai jamais vu ma ville natale, mais ma tante Alia nous a rassemblés et nous a parlé de la terre de mon grand-père, des orangeraies et des saison des récoltes et une maison pleine d’amour et de vie. J’ai vu du désir dans les yeux de ma tante lorsqu’elle nous racontait ces histoires sur ces jours passés [...] », avait écrit Heba dans un autoportrait;

Le 3 octobre, ce tableau a été vendu. Dix jours plus tard, Heba a été tuée.

Selon Chris Whitman-Abdelkarim, représentante du groupe allemand de défense des droits de l’homme Medico International, qui a découvert le travail de Heba il y a deux ans, l’artiste qu’elle était avait grandi grâce à Instagram, développant ainsi un public engagé dans le monde entier.

« Heba était un talent sur un million. Elle incarnait tout ce que signifie être palestinienne et mettait son cœur et son âme dans son art », a témoigné Whitman-Abdelkarim à MEE. « Elle a consacré sa vie à ses enfants et à ses étudiants. Elle a passé chaque instant de sa journée à les aider, à utiliser l’art pour faire face à la vie extrêmement difficile à Gaza. »

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Traduction : « Quand j’étais jeune, la saison de la récolte des olives était très spéciale pour moi. Les membres de la famille se réunissaient avec moi et cueillaient les olives. Ma mère les stockait ensuite avec des tranches de citron et des poivrons pour les conserver toute l’année. Merci maman. Ma nouvelle œuvre d’art. Olivier »

Dans son dernier message sur Instagram le 3 octobre, Heba Zagout a publié une photo de Whitman-Abdelkarim tenant une œuvre d’art avec la légende : « Merci Chris. Bienvenue à Gaza. »

De même, Laura Albast, une journaliste palestino-américaine, qui connaissait le travail de Heba et lui a parlé deux jours seulement avant son assassinat, a décrit son travail comme « très lié à son expérience de femme palestinienne vivant à Gaza » et sa mort de « grande perte ».

« C’est une femme qui a apporté tant de joie dans les foyers, à tant de personnes qui ont acheté son art, qui ont exposé son art. Il est très triste que tout ce qui reste de son travail se trouve désormais uniquement sur les réseaux sociaux. Ils [les Israéliens] n’ont pas seulement bombardé sa maison et ses enfants, ils ont également effacé les traces de sa créativité », a-t-elle ajouté.

En 2021, Heba Zagout avait organisé une exposition personnelle intitulée « Mes enfants en quarantaine », axée sur la vie pendant la pandémie de covid-19.

« Avec ses magnifiques peintures, si riches de vie et de beauté, si pleines des couleurs vibrantes d’une terre qu’elle aimait, si pleines de liberté, de rêves et de confort quotidien, Heba Zagout a refusé de laisser la violence et la laideur du siège israélien et du blocus occuper son esprit et sa vision », a déclaré à MEE Cynthia Franklin, du département d’anglais de l’université d’Hawaï.

Traduit de l’anglais (original).

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