« C’était un bout de paradis » : des Palestiniens de Cisjordanie autorisés à accéder à leur terre l’espace d’un instant
À 7 h du matin en ce 2 novembre, des dizaines de voitures transportant 35 familles palestiniennes se présentent l’une après l’autre à l’entrée du village de Janiya, au nord-est de Ramallah, attendant que l’armée israélienne les autorise à accéder aux terres agricoles.
Pendant plus de trois heures, ces familles doivent patienter, les enfants commençant à s’énerver et les adultes à perdre patience, tandis que des soldats prennent position dans la zone.
Peu après 10 h, les soldats récupèrent les papiers d’identité de tout le monde et donnent le signal permettant au convoi palestinien d’entrer, flanqué par l’armée. Les véhicules doivent traverser la colonie de « Talmon A », et devront emprunter le même chemin au retour dans quelques heures.
Le village de Janiya est presque totalement encerclé par des colonies juives.
Depuis le début des années 1990, lorsque les colons se sont emparés des régions environnantes, l’armée autorise les Palestiniens à accéder à leurs fermes seulement deux fois par an, pendant une journée à chaque fois. Cependant, au cours des deux dernières années, l’armée les a empêchés d’accéder à leurs terres pour la simple raison que la saison des récoltes coïncidait avec des jours fériés juifs.
Cette visite est une grande occasion pour les familles palestiniennes, bien qu’elles ne vivent qu’à dix minutes de là en voiture, au village.
Nabiha est mère de dix enfants et a environ 80 petits-enfants. Cette octogénaire est venue en fauteuil roulant avec une trentaine de membres de sa famille, portant la traditionnelle thobe brodée palestinienne qu’elle a soigneusement choisie la veille.
Nabiha décrit ses souvenirs à la ferme en quelques mots : « nous passions tout l’été ici. Nous restions jusqu’à la saison de la récolte des olives en octobre. Nous faisions pousser toutes sortes de légumes estivaux. Je me souviens d’un plant de tomates qui a une fois produit seize tomates ! Nous vendions nos produits dans les villages alentours, et à l’arrivée de l’hiver, nous rentrions chez nous à Janiya. »
Lorsque la famille arrive sur son lopin de terre d’environ 2 hectares, Nabiha s’assoit devant la source, près de ce qui était autrefois sa maison. Aujourd’hui, le bâtiment est vide, ses portes et fenêtres ont été brisées, et des déchets jonchent le sol, laissés là par d’autres venus avant eux.
Pendant un moment, Nabiha fixe le champ, chante une complainte pour son mari décédé et refuse de parler à quiconque. Elle met à profit ce moment pour revivre ses précieux souvenirs dans cet endroit.
Mais il ne ressemble plus à ses souvenirs. Des colons ont installé des balançoires et des sièges en bois à chaque coin et ont planté de nouveaux arbres. Ils se sont rassemblés là toute l’année près de la source, Umm Siraj, qui coule dans le bassin devant la maison de Nabiha.
« Aucune douleur n’équivaut à celle de perdre cet arbre. J’ai perdu toute volonté »
- Mayza
La vieille dame refuse de qualifier sa terre de « confisquée », tant qu’elle peut y venir, même si ce n’est que deux fois par an.
« Cette terre était un bout de paradis – nous la cultivions trois fois par an. Le sable était rouge et il n’y avait pas de pierres. Le bassin était toujours propre, nous buvions et nous arrosions les plantes avec son eau », raconte Nabiha à Middle East Eye, entourée par ses petits-enfants captivés par les histoires de leur grand-mère à propos de cet endroit.
Chaque fois que la famille revient, elle retrouve de moins en moins d’oliviers, lesquels sont abattus par les colons. Cette fois, ils ont été choqués de trouver le plus gros et le plus vieil arbre coupé en deux.
La tristesse règne dans la famille, comme s’ils ont perdu l’un des leurs. « Nous passions trois jours à ramasser les olives de cet arbre », raconte Mayza, l’une des filles de Nabiha. « Aucune douleur n’équivaut à celle de perdre cet arbre. J’ai perdu toute volonté. »
Mayza passe le reste de la journée murée dans le silence.
Course contre la montre
La famille travaille aussi vite qu’elle le peut, engagée dans une course contre la montre. À 15 h, les soldats arriveront et leur ordonneront de quitter le terrain, même s’ils n’ont pas fini leur travail. La fille de Nabiha, Fatima, et sa fille de 19 ans, Mariam, ramassent les olives comme des machines, sans s’arrêter, anticipant l’arrivée de l’armée.
Fatima, 50 ans, s’est réveillée tôt et a préparé des pâtisseries à emporter pour le petit déjeuner. Elle confie qu’elle n’a pas pu dormir la veille, débordant d’enthousiasme.
Son regard s’illumine en regardant la ferme. « Ma mère nous amenait ici lorsque nous étions enfants, nous passions huit mois de l’année ici. En gros, c’est ici que j’ai grandi – il ne s’agit pas seulement de nos souvenirs, nos âmes sont ici aussi », déclare-t-elle à MEE.
« Moi et mes frères et sœurs avons appris à nager dans cette piscine », continue-t-elle en désignant le bassin désormais vide.
Elle fait observer qu’au printemps, la terre fleurissait et que les enfants de la famille avaient mémorisé les noms des différentes plantes. « Je me rappelle qu’il y avait une ruche sur l’un des oliviers. Nous avions trop peur pour nous en approcher. »
Les restrictions israéliennes concernant l’accès des familles palestiniennes s’intensifient chaque année, dans le but de décourager les familles de revenir. En conséquence, la terre souffre, tout comme les gens qui en prennent soin.
« La terre et les arbres ici ont besoin de soins, ils ont été négligés. Certains de nos oliviers ont arrêté de produire, de sorte qu’un certain nombre de familles ne viennent plus », explique Fatima.
Lorsque mon père a vu ce qui était arrivé à notre terre la première fois que nous avons pu revenir, il a eu une crise cardiaque. À partir de ce moment-là, sa santé s’est détériorée jusqu’à son décès en 2009 », poursuit-elle.
Mariam, la fille de Fatima, pleure en écoutant le récit de sa mère. « Ramasser les olives était l’une de nos activités familiales préférées, même si c’est fatiguant. L’histoire de nos parents et de notre famille ici fait que nous avons grandi en héritant de cet attachement et de cet amour pour cette terre », confie-t-elle.
« Nous vivons dans un état constant de peur et d’anxiété à l’idée de perdre cette terre au profit des colons »
- Fatima
Trois soldats israéliens montent la garde pendant que la famille travaille la terre.
« Les colons se comportent comme si cette terre leur appartenait et que nous étions de simples visiteurs. Cela nous met en colère et signifie que nous continuerons à devoir nous battre pour venir ici, mais nous n’abandonnerons pas », ajoute Mariam.
La famille a décidé de récolter ses cultures en avance, craignant que les autorités israéliennes ne les autorisent pas à revenir pendant la saison des récoltes l’année prochaine. « Nous vivons dans un état constant de peur et d’anxiété à l’idée de perdre cette terre au profit des colons… elle est encerclée et dominée par les colonies », souligne Fatima.
Tayseer Abu Fkhaida, président du conseil municipal de Janiya, décrit la région de la source d’Umm Siraj comme l’une des plus fertiles de la région, parsemée d’antiques oliviers romains et produisant une huile d’olive de qualité supérieure.
Des centaines d’hectares ont déjà été confisqués aux terres du village, indique-t-il à MEE.
« Ils se sont déjà emparés d’environ 65 % des terres. Aujourd’hui, le village ne compte plus que 300 hectares sur les 800 d’origine. »
« Nous craignons que cette zone soit confisquée. Les colons et l’armée tentent d’imposer un fait accompli. Nous nous attendons à tout moment à ce que l’accès à nos terres nous soit totalement interdit », déclare Abu Fkhaida.
Il est environ 15 h 30. L’armée décide que l’heure est venue et commence à chasser les familles de la zone, même si elles n’ont pas fini leur travail.
Au moment de partir, les soldats les retiennent pendant environ deux heures supplémentaires sous prétexte de vérifier leurs papiers d’identité, rallongeant ce voyage fatiguant qui n’était autrefois qu’une courte marche jusqu’à leurs maisons au village.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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