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L’ambassade américaine de Téhéran figée dans le temps

L’enceinte où s’est tenu le siège de 444 jours après la révolution est aujourd’hui un musée. Avec l’accord sur le nucléaire, les Américains pourraient-ils être bientôt de retour ?
Des Iraniens devant l’ancienne ambassade américaine à Téhéran à l’occasion du 34e anniversaire de la prise de l’ambassade des États-Unis, en novembre 2013 (AFP)

« Les Américains ne reviendront pas dans ce bâtiment. C’est un symbole de leur oppression », déclare Mohamed Reza Shoqi, un guide qui fait visiter l’ancienne ambassade américaine dans le centre de Téhéran.

« Je n’ai donc pas peur de perdre mon travail », ajoute-t-il, un œil fixé sur le rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis qui finira par suivre l’accord nucléaire négocié entre l’Iran et le groupe 5+1.

Il a sans doute raison, les Américains ne voudront probablement pas réoccuper le vaste bâtiment en brique à deux étages où des diplomates américains ont été retenus pendant 444 jours après la prise du bâtiment par des étudiants radicaux le 4 novembre 1979.

Bien qu’il soit situé dans un vaste parc qui englobait autrefois la résidence de l’ambassadeur, il manque les équipements de sécurité dont dispose la plupart des ambassades américaines contemporaines, qui tendent aujourd’hui à être localisées sur des sites plus éloignés avec un périmètre facile à inspecter. Une rue arborée en centre-ville où des manifestants peuvent se rassembler facilement n’est plus la situation privilégiée.

Le bâtiment a longtemps été géré par le corps des Gardiens de la révolution. Il a été transformé en centre d’exposition critiquant l’impérialisme américain. Le mur extérieur, le long de l’avenue Taleqani, est recouvert de slogans révolutionnaires et de graffitis, notamment un représentant la statue de la Liberté avec un crâne à la place du visage.

Shoqi indique que les étrangers sont quasiment les seuls à payer pour visiter l’ambassade. La visite coûte 33 dollars par personne. Les Iraniens paient beaucoup moins mais ils sont peu nombreux à prendre la peine de venir, sauf s’ils sont en sortie scolaire ou étudiante.

A l’intérieur du bâtiment, ils avancent le long d’un corridor montrant des photographies de cadavres d’enfants et d’autres atrocités perpétrées lors des guerres au Moyen-Orient et au Vietnam.

Ils peuvent contempler une effigie de cire représentant William Sullivan, le dernier ambassadeur américain, assis dans une salle aux murs de verre qui était protégée contre toute mise sur écoute, ainsi que d’anciennes machines utilisées pour écouter les conversations téléphoniques du gouvernement iranien et envoyer des messages codés à Washington.

Du matériel et des photographies qui appartenaient au personnel diplomatique américain sont exposés dans l’ancienne ambassade des États-Unis aujourd’hui transformée en musée à Téhéran, le 2 novembre 2013 (AFP)

Récemment, un énorme panneau a été monté à l’intérieur de l’enceinte de l’ambassade. Il est dédié aux négociations sur le nucléaire et montre le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, et est intitulé « Nous ne faisons pas confiance à l’Amérique. » Une représentation circulaire du Stars and Stripes, le drapeau des États-Unis, est entourée de six cercles montrant l’étoile de David israélienne.

Shoqi accepte la version officielle actuelle de Téhéran sur la conclusion probable d’un accord mais répète le message du panneau avec ses propres mots : « Nous n’avons aucune confiance en l’Occident. L’histoire nous enseigne que l’Amérique et la Grande-Bretagne veulent nous dominer. Ils ne veulent pas comprendre que le monde a changé. Les gens ont ouvert les yeux. »

Elham, une jeune femme en dernière année d’études en psychologie, passe devant l’ancienne ambassade américaine en allant à une foire du livre. Elle arbore une visière noire avec son foulard incliné en arrière. Depuis l’élection du Président Hassan Rohani en 2013, la « police des mœurs » est beaucoup moins active.

« Je ne pense pas que les Américains reviendront ici de sitôt », dit-elle. « Je souhaite qu’ils viennent d’une manière amicale et pacifique, pas comme en Irak ou en Afghanistan. Nous voulons une situation gagnant-gagnant, comme l’a dit le Président Rohani.

« Les sanctions sont on ne peut plus agaçantes. Elles affectent tout. Les prix des biens de consommation ont augmenté plus rapidement que nos revenus, lesquels sont modestes, de même que les médicaments. L’économie est assurée de s’améliorer. »

Lorsque le cadre préliminaire pour l’accord sur le nucléaire a été signé à Lausanne en avril, les foules ont envahi les rues et les voitures klaxonnaient sans cesse dans la zone résidentielle de la classe moyenne au nord de Téhéran. L’euphorie de cette soirée est passée et les autorités ont réussi à réprimer les attentes de changements immédiats lors de la levée des sanctions.

La dernière attraction pour les Iraniens est une nouvelle passerelle piétonne qui traverse l’une des principales autoroutes de Téhéran et relie deux parcs auparavant séparés. Le pont possède trois niveaux avec des restaurants et des cafés à chaque extrémité. Le week-end, il est bondé de familles poussant des landaus dans le soleil printanier et de couples prenant des selfies avec la chaîne de montagnes enneigées de l’Elbourz en arrière-plan.

« Les choses vont beaucoup changer quand les sanctions seront levées », a déclaré Ali Reza, architecte de 26 ans, assis avec sa femme à admirer la vue. « Cela va améliorer l’emploi, le tourisme et les relations avec d’autres pays. Le prix des marchandises pourraient baisser et le taux de change du rial reviendrait à la normal. Nous avons un personnel qualifié en Iran. Il nous faut juste davantage d’investissements et développer l’industrie. »

Tout le monde n’est pas convaincu de la conclusion d’un accord. Hossein, jeune ingénieur en informatique qui complète ses revenus, comme de nombreux Téhéranais, en travaillant au noir comme chauffeur de taxi, transportant les gens dans sa voiture, doute qu’il y aura un accord. « Les grandes puissances exigent beaucoup de l’Iran, trop en fait, et l’Iran devra résister », a-t-il dit. Il a évoqué le douzième imam de l’islam, qui a disparu en 940 et dont les musulmans chiites attendent le retour à un moment ou un autre à l’avenir.

« La vie sera difficile mais le douzième imam nous protégera comme il l’a fait lors de la guerre avec l’Irak », a-t-il assuré.

Un Iranien passe devant des graffitis anti-américains tandis qu’il prend part à une visite de l’ancienne ambassade américaine à Téhéran le 2 novembre 2013 (AFP)

 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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