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Des responsables yéménites sous l'ancien président Saleh « ont collaboré avec al-Qaïda »

Un ancien informateur du gouvernement yéménite prétend que « de nombreux dirigeants d'al-Qaïda étaient sous le contrôle absolu d'Ali Abdallah Saleh »
Un Yéménite regarde une affiche d'Ali Abdallah Saleh, alors président du Yémen, à Sanaa, le 6 janvier 2010 (AFP)

Des responsables au sein du gouvernement de l'ancien président yéménite Ali Abdallah Saleh ont collaboré avec al-Qaïda avant un attentat perpétré en 2008 contre l'ambassade américaine à Sanaa, entraînant dix-neuf morts, a-t-on annoncé ce jeudi.

Les responsables de la sécurité de Saleh auraient ignoré des avertissements répétés selon lesquels l'ambassade serait ciblée. Plus tôt, en juillet 2007, ils avaient ignoré des avertissements similaires indiquant qu'al-Qaïda planifiait une attaque sanglante contre des touristes étrangers.

Ces affirmations du double-jeu yéménite sont formulées par Hani Mohammed Mujahid, un ancien agent de terrain d'al-Qaïda qui a travaillé pour Oussama ben Laden en Afghanistan avant de fuir au Pakistan il y a treize ans.

Plus tard, Hani Mujahid est retourné dans son pays natal, le Yémen, où il dit avoir rejoint al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) tout en travaillant en même temps en tant qu'informateur du gouvernement yéménite.

Son témoignage, qui doit être diffusé aujourd'hui sur Al-Jazeera, est susceptible d'embarrasser profondément les États-Unis, qui ont accordé leur confiance à Saleh. Tout récemment, en septembre dernier, le président Obama se vantait en affichant le Yémen comme un modèle de réussite dans lutte des États-Unis contre le terrorisme : « Cette stratégie, consistant à éliminer les terroristes qui nous menacent tout en apportant un soutien aux partenaires sur les lignes de front, est celle que nous poursuivons avec succès au Yémen et en Somalie depuis des années ».

Toutefois, le témoignage délivré par Hani Mujahid semble indiquer que les États-Unis étaient floués par Saleh. Si ces informations sont vérifiées, ces révélations s'avéreront particulièrement embarrassantes pour la personne de John Brennan, directeur de la CIA, qui a entretenu des relations très étroites avec Saleh au fil des ans, en engageant la crédibilité des États-Unis dans le gouvernement yéménite et en rendant visite à plusieurs reprises à l'ancien président.

Hani Mujahid a été interrogé pendant trois jours par Clayton Swisher, qui dirige l'unité de journalisme d'investigation d'Al-Jazeera. Cette interview donne un aperçu remarquable de la vie d'un agent de terrain d'al-Qaïda expert en explosifs, qui semble avoir participé à de nombreuses décisions prises par le commandement supérieur du groupe.

Mujahid a été tout d'abord attiré en 1998 par le discours de guerre mondiale délivré par Oussama ben Laden. Il avait alors vingt ans. Il a voyagé en Afghanistan pour être entraîné dans les camps d'al-Farouk et Aynak. Il a perdu son pouce dans ce qu'il décrit comme un accident à l'entraînement.

Après la chute des talibans en 2001, Mujahid, comme beaucoup de combattants d'al-Qaïda, a fui vers les régions tribales du Pakistan, où il a poursuivi la lutte contre les États-Unis. Il a été arrêté en 2004 par les autorités pakistanaises, qui l'ont interrogé pendant plusieurs semaines avant de le remettre à la CIA. Mujahid a ensuite été rapatrié au Yémen et emprisonné. Il indique que c'est peu de temps après son passage en prison à Sanaa qu'il a été recruté pour travailler en tant qu'informateur pour les services de sécurité yéménites.

Mujahid affirme que peu de temps après sa sortie de prison, il a accédé rapidement à des rangs haut placés d'AQPA, réputée pour être l'une des unités les plus actives d'al-Qaïda. Il se décrit comme « l'infiltré des agences de sécurité dans le groupe al-Qaïda ».

Mujahid va pourtant beaucoup plus loin en affirmant qu'il a fait office d'intermédiaire entre les forces de sécurité yéménites et al-Qaïda, en organisant l'apport d'argent et de munitions pour mener à bien des attentats terroristes. Il déclare que « de nombreux dirigeants d'al-Qaïda étaient sous le contrôle absolu d'Ali Abdallah Saleh », ajoutant qu'« Ali Abdallah Saleh a transformé al-Qaïda en un gang de crime organisé ».

Mujahid raconte à Al-Jazeera qu'il a informé à plusieurs reprises ses responsables yéménites au sujet de l'attentat de septembre 2008 contre l'ambassade américaine à Sanaa ; il les aurait avertis trois mois avant, une semaine avant et, enfin, trois jours avant le jour même de l'attentat.

Il affirme que les services de sécurité yéménites n'y ont pas prêté attention, ajoutant en outre que le colonel Ammar Saleh, neveu du président, qui était alors directeur adjoint du Bureau de la sécurité nationale, a en réalité aidé al-Qaïda à recevoir l'argent et les explosifs nécessaires pour perpétrer l'attentat contre l'ambassade.

Le colonel yéménite Ammar Saleh, ancien directeur adjoint du Bureau de la sécurité nationale (YouTube)

Les révélations de Mujahid pourraient pousser le gouvernement espagnol à rouvrir son enquête sur l'attentat du 2 juillet 2007 contre des touristes étrangers. Une enquête antérieure des autorités espagnoles sur les atrocités orchestrées par al-Qaïda, qui ont causé la mort de dix personnes dont huit touristes espagnols, a été entravée suite à l'incapacité des représentants yéménites à coopérer. Il indique à Al-Jazeera qu'il n'aurait aucun problème à délivrer un témoignage devant « n'importe quel jury international ».

Les experts du contre-espionnage qui ont vu le témoignage de Mujahid estiment que son récit est au moins en partie crédible. Richard Barrett, ancien diplomate britannique et membre fondateur de l'Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme des Nations unies, a souligné ce qu'il considérait comme des « répercussions énormes » pour les États-Unis si le récit de Mujahid était vrai.

Mujahid affirme également qu'il a été le premier à avoir « dénoncé » Ibrahim al-Asiri, artificier tristement célèbre soupçonné d'avoir fabriqué la bombe retrouvée en 2009 dans les sous-vêtements d'un passager d'un vol Northwest Airlines reliant Amsterdam à Détroit. Le fait que Mujahid laisse entendre qu'il a signalé les activités d'al-Asiri à ses responsables yéménites insinue la possibilité d'une défaillance des services de renseignement occidentaux.

Hani Mujahid raconte que, désespéré face à ses contacts yéménites, il a tenté de se rapprocher directement de la CIA en novembre 2010. Il raconte que la CIA a convenu d'une rencontre dans un hôtel local, mais qu'il a été enlevé par des agents de renseignement yéménites alors qu'il était en route pour ce rendez-vous. Plus tard, il a bien rencontré la CIA, mais seulement sous la supervision directe du colonel Ammar. Hani Mujahid indique qu'il a pris la décision de contacter Al-Jazeera en désespoir de cause face au manque d'action du gouvernement yéménite tout comme du gouvernement américain.

Traduction de l'anglais (original) par VECTranslation.

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