Documents falsifiés, force et intimidation : comment les colons volent les maisons et les terres des Palestiniens
L’œil au beurre noir d’Abdel Qader Abou Srour est toujours visible. Ce père de deux enfants est fatigué. Après quatre jours de garde à vue, il vient d’être libéré d’une prison israélienne. « Les deux premiers jours, ils m’ont maintenu en isolement dans une cellule gelée sans couvertures, rien de chaud à boire et aucun soin médical », raconte-t-il à Middle East Eye.
Abou Srour, 27 ans, a été arrêté le 7 février après avoir été passé à tabac par des soldats israéliens devant son domicile à Hébron, dans le sud de la Cisjordanie occupée. Ils escortaient un groupe de colons israéliens qui affirmaient que sa maison était, en réalité, la leur.
« Ils veulent notre maison, alors maintenant ils feront tout pour l’obtenir »
- Abdel Qader Abou Srour
« L’un des colons, le chef du groupe, a prétendu que notre maison leur appartenait et que nous devions partir », poursuit le jeune homme. Une dizaine de soldats, dont trois lourdement armés, sont arrivés chez lui.
« Quand je lui ai dit que cette maison était la nôtre et que nous avions les papiers pour le prouver, il a commencé à me menacer, décrétant que nous avions dix jours pour quitter la maison et que si nous ne le faisions pas, il la détruirait pendant que nous serions encore à l’intérieur.
« Plus de cinq soldats m’ont battu, m’ont donné des coups de pieds et m’ont frappé avec leurs fusils, pendant que les colons les encourageaient », déclare Abou Srour. Les soldats ont également lancé des grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes sur sa mère et ont pulvérisé un spray au poivre sur lui à bout portant.
« Tout cela parce que les colons leur ont dit de le faire », insiste-t-il. « Ils veulent notre maison, alors maintenant ils feront tout pour l’obtenir. »
Transactions illicites
La famille Abou Srour se retrouve maintenant mêlée à un litige qu’elle craint de perdre, alors même que des papiers prouvent qu’ils possèdent leur maison. C’est l’un des nombreux cas où des colons et leurs organisations revendiquent à tort des biens comme étant les leurs – et se servent de documents falsifiés, de mesures d’intimidation et du soutien de l’État pour garantir leur réussite.
La preuve du succès de ces tentatives se trouve à quelques mètres de la maison de la famille Abou Srour : Beit al-Baraka, une ancienne église dont l’enceinte a autrefois servi de sanatorium, a été intégrée au bloc voisin de colonies israéliennes, Goush Etzion, il y a trois ans.
Le complexe a été transféré aux colons en plusieurs étapes. Ses premiers propriétaires, un groupe religieux presbytérien, ont connu des difficultés financières et l’ont vendu en 2010 à une société suédoise appelée Scandinavian Seamen Holy Land Enterprises.
La société a affirmé qu’elle envisageait de restaurer l’église et de la rendre à ses activités initiales. Cependant, l’homme derrière cette nouvelle société, un chrétien norvégien du nom de Gro Faye-Hansen Wenske, était un partisan des colonies israéliennes – ce qu’ignoraient les vendeurs.
Lorsque Scandinavian Seamen Holy Land Enterprises a annoncé la fermeture de l’entreprise en 2012, la propriété a été vendue à une organisation américaine contrôlée par l’homme d’affaires pro-colonies Irving Moskowitz. En 2016, le complexe était officiellement enregistré dans le bloc de colonies israéliennes Goush Etzion.
La maison de la famille Abou Srour a été construite par les mêmes missionnaires qui ont construit le complexe et a même abrité un temps le directeur de l’hôpital.
Bien qu’ils aient acheté leur maison en 1990 et disposent de documents palestiniens, israéliens et américains pour le prouver, les Abou Srour redoutent désormais que les colons utilisent des méthodes illicites ou même des faux pour en prendre possession, tout comme ils ont « trompé » leur monde pour Beit Baraka il y a des années.
Les colons qui revendiquent le domicile de la famille Abou Srour n’ont pour le moment présenté aucun document à l’appui de leur dossier.
Fausses entreprises, documents frauduleux
L’intimidation et la falsification de documents, entre autres méthodes illicites, sont des pratiques courantes dans les transactions foncières dans les territoires palestiniens occupés, selon différents rapports. Une enquête menée en 2016 par la chaîne israélienne Channel 10 a ainsi révélé que quatorze des quinze acquisitions de terres auprès de Palestiniens par l’entreprise pro-colons Amana étaient frauduleuses.
Un suivi de l’enquête par Haaretz détaille les processus utilisés par les entreprises de colons pour acquérir des terres. Chaque fois que l’État cherchait à évacuer des « avant-postes » – colonies illégales y compris selon le droit israélien (« outposts ») – dans la région de Ramallah, des représentants d’Al-Watan, une entreprise dirigée par le militant pro-colonisation Ze’ev Hever, un terroriste condamné, et détenue par Amana, annonçaient avoir acheté les terres locales à leurs propriétaires palestiniens.
En fait, des Palestiniens agissant pour le compte d’Al-Watan avaient utilisé de faux documents, prétendant être les véritables propriétaires fonciers, et avaient transféré les propriétés à Amana, a rapporté Haaretz.
Abdel Rahman Saleh, ancien maire du village de Silwad, dans la région de Ramallah, explique à MEE que des entreprises comme Al-Watan et la Holy Land Enterprises, qu’il considère comme de fausses sociétés gérées par des Palestiniens, des Jordaniens et des Israéliens, paient jusqu’à 60 000 dinars jordaniens (près de 75 000 euros) pour chaque dounam (environ 1 km2) de terre, alors que le marché se situe autour de 2 000 dinars (environ 2 500 euros).
« Ces entreprises nient acheter des biens pour les colons, mais elles acquièrent traditionnellement des terres à Jérusalem-Est par les mêmes moyens », déclare l’homme de 71 ans.
Selon lui, les organisations de colons travaillent main dans la main avec le Shin Bet, service de renseignements israélien, pour contrefaire les documents qui servent lors de l’achat de terres.
« Les colons se tournent vers les renseignements israéliens, qui les aident à collecter des informations sur la terre, leurs propriétaires, leurs numéros d’identité, les détails de leurs actes de propriété », poursuit Saleh. « Ils prennent tous ces renseignements et fabriquent de faux papiers en utilisant nos informations pour donner l’impression que nous leur vendons le terrain. »
Saleh fait face, depuis des décennies, à ses faux achats de terres par des colons israéliens. Durant son mandat de maire de Silwad, il a mené une longue bataille juridique pour le compte d’habitants dont les terres avaient été achetées à l’aide de faux documents et transférées aux colons de l’avant-poste d’Amona.
« En 1996, par le biais de la Holy Land Enterprises, des colons d’Amona ont utilisé de faux documents pour confisquer plus de 2 000 dounams de terres appartenant à des habitants de Silwad, d’Ein Yabrud et de Taybeh », rapporte Saleh. « Nous avons porté plainte devant les tribunaux et, finalement, en 2014, l’État a décidé d’expulser les colons au motif que les documents avaient été falsifiés. »
Yesh Din, une ONG israélienne qui a aidé les habitants de Silwad dans leur bataille juridique, a déclaré que derrière la construction illégale d’Amona se trouvait « tout un mécanisme dédié à l’expulsion des Palestiniens de leurs terres, avec l’aide des conseils locaux, de l’organisation Amana, des FDI [l’armée israélienne], du Conseil Yesha, de la Division de la colonisation, des politiciens et des ministères ».
L’évacuation de l’avant-poste d’Amona en 2017 a représenté « une énorme victoire pour Silwad et les villages environnants, qui ont également récupéré une partie de leurs terres », commente Saleh.
Les représentants d’Amana et d’Al-Watan n’ont pu être joints pour commenter ce sujet.
Un combat toujours en cours
Mais l’évacuation d’Amona a été une victoire inhabituelle, et le combat est loin d’être terminé.
En décembre 2018, les colons sont retournés sur les terres de leur ancien avant-poste et ont construit deux maisons préfabriquées, affirmant qu’ils venaient d’acheter les terres à leurs propriétaires palestiniens.
Haaretz a rapporté que l’Administration civile israélienne n’avait pas examiné la preuve d’achat présumée avant l’édification des maisons et une source a indiqué que l’institution n’avait même pas confirmé que le terrain sur lequel les maisons avaient été construites était bien celui qui avait apparemment été acheté.
Néanmoins, les Palestiniens qui possèdent la terre ne peuvent toujours pas la cultiver et, en plus de devoir se battre pour y accéder, font également face aux soupçons de leur communauté quant à la possibilité qu’ils l’aient cédée à des Israéliens.
« Ces cas suscitent beaucoup de discordes au sein des communautés, car les gens commencent à douter de leurs voisins et se demandent : “Ont-ils vraiment vendu leurs terres, vendu notre patrie, aux colons ?” », commente Saleh.
« Cela peut prendre des années, des décennies pour tirer les choses au clair. Et entre-temps, des personnes peuvent être ostracisées et exclues si la communauté pense qu’elles ont vraiment vendu leurs terres à des Israéliens. »
« Le système dans son ensemble est de leur côté »
Juste au sud du Goush Etzion, Abou Srour et sa famille craignent d’être confrontés à une bataille interminable pour rester sur leur terre. Alors que les colons et les soldats recourent désormais à l’intimidation et à la violence, le père de famille craint que les fraudes utilisées pour acheter d’autres biens ne soient utilisées pour tenter de reprendre le contrôle de sa maison.
« Nous savons que nous avons été méticuleux dans notre achat de cette maison et nous nous sommes assurés de ne laisser aucune échappatoire pour que de tels événements se produisent », déclare-t-il.
« Mais il s’agit de colons. Ils ont les soldats, les tribunaux et les politiciens de l’occupation dans leur poche. Le système dans son ensemble est de leur côté. »
Cinq mois avant l’arrivée des colons avec les soldats en février, l’homme qu’il considère comme le chef du groupe de colons – un ancien officier du renseignement, à son avis – l’a appelé pour lui dire qu’il voulait acheter la maison. « Il a dit qu’il paierait n’importe quoi pour elle. » Abou Srour a refusé son offre.
« À l’époque, on craignait que si les colons avaient réussi à tromper leur monde pour acheter Beit al-Baraka, ils pourraient contrefaire des documents et tenter de s’en servir pour réclamer notre maison », explique-t-il.
« Quand ils veulent quelque chose, ils épuisent tous les moyens – légaux et illégaux – pour prendre la terre aux Palestiniens. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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