Après avoir combattu le mur israélien, Battir est maintenant la proie des colons
BATTIR, Territoires palestiniens occupés (Cisjordanie) – C’était juste après minuit, la veille de Noël. Hassan Muamer a alors reçu un appel téléphonique qu’il redoutait, un appel qui l’a obligé à se précipiter vers le sommet d’une des célèbres collines de Battir dans l’obscurité.
« Des amis m’ont appelé pour me dire que des colons israéliens étaient en train d’installer un camp au sommet de la montagne », a déclaré le jeune homme de 32 ans à Middle East Eye.
Ce qu’ils ont trouvé en arrivant sur les lieux était « comme un cauchemar ». Une centaine de colons armés étaient rassemblés, pointant leurs armes vers Muamer et 30 de ses amis et voisins.
« Nous savions que si nous ne faisions rien pour les arrêter immédiatement, nous perdrions cette terre à jamais »
- Hassan Muamer, habitant de Battir
« Chaque fois que nous essayions de nous approcher d’eux, ils braquaient leurs armes sur nous et nous disaient que si nous avancions, ils nous tireraient dessus. »
Le groupe d’Israéliens, qui proviendraient de colonies situées dans la région de Ramallah, au nord de Jérusalem, était en train de souder les fondations d’un mobil-home.
Hassan Muamer et ses amis savaient qu’ils assistaient à la création d’un nouvel avant-poste, des campements souvent rudimentaires, illégaux selon le droit israélien mais qui sont souvent légalisés plus tard pour donner lieu à de véritables colonies.
« Nous avons vu cela se produire dans tous les villages alentours et dans toute la Palestine. Nous savions que si nous ne faisions rien pour les arrêter immédiatement, nous perdrions cette terre à jamais. »
Un site du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO
Cette terre, nichée dans les collines verdoyantes de Battir, entre Jérusalem et Bethléem, et qui abrite quelque 5 000 Palestiniens, revêt une importance particulière. Les anciennes terrasses creusées dans les collines couvertes de milliers d’oliviers et d’amandiers sont protégées par l’UNESCO.
La ligne verte, la ligne d’armistice de 1948 séparant Israël des territoires palestiniens occupés, traverse une vallée qui se trouve au centre de Battir – la zone résidentielle du village est en Cisjordanie tandis que la majorité des terres agricoles est du côté israélien.
Le village est situé au milieu d’un couloir de colonies israéliennes qui s’étend du sud de Bethléem jusqu’à Jérusalem-Est occupée.
« Les membres de la communauté ont travaillé sans relâche pour obtenir cette reconnaissance de l’UNESCO, car nous espérions qu’elle permettrait à notre village d’éviter de subir le même sort que nos voisins »
- Hassan Muamer
À l’instar des villages voisins de Wadi Fukin, al-Walaja et Hussan, l’emplacement stratégique de Battir en fait la cible des colons et des autorités israéliennes depuis des années.
En vertu des accords d’Oslo, plus de 75 % du village est situé en zone C, qui est sous le contrôle total – sécuritaire et civil – d’Israël. Au début des années 2000, les autorités israéliennes ont émis plusieurs ordres militaires visant à saisir les terres de Battir à diverses fins, notamment la construction du mur de séparation.
« Pendant des années, nous avons lutté pour maintenir l’occupation hors de notre village », a déclaré Muamer à MEE.
« Battir est un beau village, riche en culture et en histoire ancienne », a-t-il ajouté en montrant les anciennes terrasses en pierre qui dévalent les collines du village. « Si nous laissions le mur ou les colons venir ici, tout serait détruit. »
En 2014, après des années d’efforts populaires et politiques, Battir a été reconnu comme un site du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO pour ses terrasses cultivées et son système d’irrigation unique datant de l’époque romaine.
« Les membres de la communauté ont travaillé sans relâche pour obtenir cette reconnaissance de l’UNESCO, car nous espérions qu’elle permettrait à notre village d’éviter de subir le même sort que nos voisins », a expliqué Muamer.
Un an après la décision de l’UNESCO, la Cour suprême israélienne a décidé de geler les plans de l’État visant à construire une partie du mur de séparation à travers le centre de Battir – une formidable victoire pour les habitants.
« Nous sommes le seul village de Cisjordanie à avoir réussi à empêcher la construction du mur sur nos terres, a-t-il déclaré avec fierté. Cela a donné de l’espoir aux gens. »
Cauchemar la veille de Noël
L’espoir qui a animé Battir ces dernières années a été sérieusement entamé la veille de Noël, alors que les colons braquaient leurs armes sur les villageois. « Comme nous ne pouvions pas les approcher, nous nous sommes déployés tout autour d’eux pour faire sentir notre présence et leur montrer que des personnes étaient déterminées à les arrêter. »
L’un des hommes a appelé la police israélienne pour signaler l’incident. Les autorités israéliennes ont dit aux villageois d’attendre leur arrivée et, dans l’intervalle, de « ne rien faire ».
« Nous pensions qu’ils venaient pour arrêter les colons, mais en fait, ils ont repris les positions des colons armés et ont pointé leurs armes sur nous pendant que ces derniers se mettaient au travail »
- Hassan Muamer
Quand elles sont arrivées, Hassan Muamer et son groupe ont été choqués de constater qu’avec la police et les véhicules de l’armée, se trouvaient plusieurs camions transportant du matériel de construction lourd.
« Nous pensions qu’ils venaient pour arrêter les colons, mais en fait, ils ont repris les positions des colons armés et ont pointé leurs armes sur nous pendant que ces derniers se mettaient au travail », a raconté Muamer.
Deux heures après l’arrivée des forces israéliennes, les colons avaient fini de construire le mobil-home.
« Nous n’en croyions pas nos yeux. Notre pire cauchemar se déroulait sous nos yeux et nous ne pouvions rien y faire. »
Une fois le mobil-home terminé, le capitaine de l’armée israélienne s’est approché des villageois et leur a dit : « Ne vous inquiétez pas, nous ferons en sorte que les colons quittent cette région, à condition que vous ne commenciez pas à jeter des pierres. »
« Mais nous avons refusé de le croire sur parole, a poursuivi Muamer. Nous savions que nous devions agir. »
À 8 heures du matin, Hassan Muamer et ses amis ont donc commencé à téléphoner à tous les responsables, avocats, groupes de défense des droits de l’homme, journalistes et activistes israéliens et palestiniens qu’ils connaissaient.
Après près de quinze heures d’attente, de coordination avec les autorités et de discussions animées avec les forces armées israéliennes, les colons ont commencé à démanteler la structure. À 15 h 30, les colons et les forces israéliennes avaient quitté la zone. Il ne restait que les fondations en acier du mobil-home que les colons avaient soudées la nuit précédente.
« La lutte n’est pas terminée »
Alors que le jeune homme s’entretenait avec MEE, frottant ses yeux fatigués, un de ses amis est entré dans la pièce pour l’informer que leur groupe se dirigeait de nouveau vers le sommet de la colline.
« Nous ne baissons pas la garde », a commenté Muamer, se souvenant qu’au moment de partir, un des colons avait crié : « Nous reviendrons ! ». Mouammar et ses amis prennent les colons au mot.
« Nous savons à quel point cette terre est précieuse pour eux […] Tout ce dont ils ont besoin pour créer un vaste bloc de colonies contiguës dans la région, c’est établir une colonie sur les terres de Battir »
- Hassan Muamer
« Nous savons à quel point cette terre est précieuse pour eux, car à l’heure actuelle, Battir est le seul village de la région à ne pas avoir de colonie ou de portion du mur sur ses terres », a-t-il expliqué.
« Tout ce dont ils ont besoin pour créer un vaste bloc de colonies contiguës dans la région, c’est établir une colonie sur les terres de Battir », a-t-il poursuivi.
Alors que les enjeux sont plus importants que jamais, les villageois envisagent de créer des groupes de surveillance pour inspecter les environs jour et nuit.
« Nous devons être encore plus vigilants à présent, a-t-il déclaré, ce type de système de colonisation ne respecte rien, aucun site de l’UNESCO, rien. Faire partir les colons cette fois-ci nous a permis de gagner du temps, mais ce combat n’est pas terminé. »
Traduit de l’anglais (original).
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