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En Égypte, le recours aux « cultures intelligentes » pour atténuer les effets des changements climatiques

Les centres de recherche locaux ont mis au point de nouvelles variétés de cultures susceptibles de résister à la hausse des températures et au manque d’eau
Des agriculteurs égyptiens plantent du riz dans un champ du village de Mit al-Ezz, près de la ville de Mit Ghamr dans le delta du Nil, à environ 80 km au nord de la capitale, le 25 juin 2022 (AFP)
Des agriculteurs égyptiens plantent du riz dans un champ du village de Mit al-Ezz, près de la ville de Mit Ghamr dans le delta du Nil, à environ 80 km au nord de la capitale, le 25 juin 2022 (AFP)
Par Amr Emam à LE CAIRE, Égypte

Les dernières années ont été particulièrement stressantes pour Abul Mahasen Mohamed, agriculteur de la province de Menoufiya, dans le delta du Nil.

Les températures élevées, la rareté de l’eau et la salinité croissante du sol les ont privés, lui et les autres agriculteurs, de rendements agricoles considérables.

« Certains ont subi d’énormes pertes », confie Mohamed à Middle East Eye. « La chaleur extrême a brûlé certaines cultures et dévasté certaines fermes. »

Cette année, l’agriculteur cultive une nouvelle variété de maïs qui résiste aux conditions météorologiques extrêmes. 

Cette variété a besoin d’une fraction de la quantité d’eau nécessaire aux cultures traditionnelles pour l’irrigation. 

Il rejoint le mouvement national vers des cultures résilientes, des plantes qui peuvent offrir une ligne de défense contre les impacts des changements climatiques.

Ce faisant, l’Égypte, l’un des pays les plus durement touchés par les changements climatiques, cherche à atténuer les effets de la hausse des températures sur sa sécurité alimentaire et son agriculture, secteur qui emploie 21 % de la main-d’œuvre nationale et contribue à environ 11,3 % du produit intérieur brut égyptien. 

Riz résilient

Les centres locaux de recherche agricole ont récemment dévoilé des variétés de cultures capables de résister aux températures élevées. 

Ces variétés comprennent un nouveau type de riz qui peut s’adapter à des conditions météorologiques extrêmes et à une salinité élevée du sol.

Cette variété n’a besoin que d’une petite quantité d’eau pour l’irrigation, selon les chercheurs. 

« Nous travaillons dur pour changer la composition des cultures afin qu’elles puissent faire face aux changements causés par le réchauffement climatique »

- Hamdi Muwafi, Projet national de développement du riz

« Le développement de la nouvelle variété de riz fait partie d’un plan plus vaste visant à étendre la culture de cultures et de légumineuses résilientes aux changements climatiques », explique à MEE Hamdi Muwafi, responsable du Projet national égyptien de développement du riz. « Nous travaillons dur pour changer la composition des cultures afin qu’elles puissent faire face aux changements causés par le réchauffement climatique. »

En 2008, le gouvernement a interdit l’exportation du riz pour préserver les stocks pour le marché national et économiser l’eau. 

L’Égypte a produit 4,5 millions de tonnes de riz en 2021/2022, contre 6 millions de tonnes en 2020/2021, selon la Chambre des céréales de la Fédération des industries. En 2022, la culture du riz a été autorisée dans neuf provinces, dont cinq sont situées dans le delta du Nil.

La plupart des rizières du pays sont situées dans le delta du Nil, qui se trouve à l’épicentre de l’impact des changements climatiques. 

L’élévation du niveau de la mer induite par le réchauffement climatique devrait inonder de vastes étendues du delta, augmentant la salinité de son sol et déplaçant des millions de personnes. 

Cependant, avec d’autres cultures résistantes, la nouvelle variété de riz promet d’atténuer certains des effets des changements climatiques et de fournir de la nourriture indispensable aux plus de 100 millions d’Égyptiens. 

Environ 300 000 acres de terres agricoles ont déjà été cultivées avec la nouvelle variété, qui représente près de 30 % des terres rizicoles du pays, selon Muwafi.

Touchée par les changements climatiques

L’Égypte a été prise au dépourvu par les effets soudains des changements climatiques, qui se manifestent par des inondations et des pluies torrentielles sans précédent, en particulier dans les villes côtières du Nord du pays et ses villes les plus méridionales. 

Ces effets expliquent l’intérêt national croissant pour les politiques d’adaptation au cours des dernières années. 

Les conditions météorologiques extrêmes détruisent certaines cultures et réduisent les rendements d’autres. 

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Des milliers de producteurs de mangues et d’olives ont subi des pertes importantes l’année dernière en raison des températures élevées. 

Cette année, les politiques d’adaptation sauvent les mangues et contribuent à des rendements abondants dans le centre de culture de la mangue d’Ismaïlia et d’autres régions d’Égypte. 

Néanmoins, l’Égypte s’attend toujours à subir douloureusement le réchauffement climatique. 

« L’agriculture, la faune et flore marines et la santé humaine seront les premières victimes des changements climatiques, un problème préoccupant, non seulement ici, mais aussi dans le monde entier », déclare à MEE Elham Mahmud, professeur d’études environnementales à l’Université du canal de Suez. « Cela fera bien sûr peser de nouveaux fardeaux sur l’économie. »

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Des millions de personnes devraient être touchées par les inondations et les pluies torrentielles, ce qui attisera le problème des déplacements de population, en particulier dans le delta du Nil et les villes côtières. 

La hausse des températures constituera également un défi pour les agriculteurs du pays qui devront trouver des variétés de cultures et de légumineuses résistantes au réchauffement climatique. 

Celui-ci devrait également exacerber la pauvreté en eau de l’Égypte, aggravant la situation du secteur agricole. 

Pour le PIB égyptien, la perte due aux changements climatiques devrait se chiffrer en dizaines de milliards de dollars chaque année. 

Efforts du gouvernement 

Le développement de cultures et de légumineuses résilientes aux changements climatiques fait partie des mesures d’adaptation de l’Égypte dans le secteur agricole et ailleurs. 

Le gouvernement égyptien lance des projets visant à protéger les côtes, à étendre la construction d’usines de dessalement d’eau de mer et à élargir la portée de l’agriculture protégée afin d’atténuer les effets des conditions extrêmes sur les produits agricoles – et d’économiser l’eau. 

Par ailleurs, les autorités égyptiennes effectuent la réfection de dizaines de milliers de kilomètres de canaux d’irrigation pour réduire les fuites d’eau et veiller à ce que l’eau d’irrigation atteigne les terres agricoles les plus reculées de la campagne égyptienne. 

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L’Égypte essaie concomitamment d’utiliser au maximum les ressources en eau disponibles, notamment en traitant les eaux usées et en les utilisant dans des projets de reboisement visant à freiner la désertification. 

« Les changements climatiques sont devenus un problème majeur dans notre pays, et presque tout le monde en ressent la chaleur », indique à MEE Mohamed al-Gabalawi, membre de la commission de l’énergie et de l’environnement du Parlement égyptien. « L’Égypte met en œuvre un grand nombre de projets d’adaptation qui joueront un rôle dans sa protection contre les effets du réchauffement climatique à l’avenir. »

Elle accueille aussi la conférence des Nations unies sur les changements climatiques, connue sous le nom de COP27. 

Le gouvernement veut saisir l’occasion offerte par la conférence, qui se tient dans la station balnéaire de Charm el-Cheikh, sur la mer Rouge, pour faire pression en faveur de la mise en œuvre des engagements pris par les pays avancés lors des précédentes COP, y compris lors de la COP26 à Glasgow l’année dernière. 

La ministre de l’Environnement, Yasmeen Fouad, a déclaré fin août que la présidence égyptienne de la conférence mettrait également l’accent sur des questions importantes telles que la sécurité alimentaire et la nécessité de protéger les ressources en eau, la nature et la biodiversité.

En plus d’utiliser la conférence pour présenter certaines des mesures qu’elle a prises ces dernières années en vue de s’adapter aux changements climatiques et de réduire les émissions de gaz à effet de serre, l’Égypte souhaite également faire pression en ce qui concerne les besoins de financement de l’action climatique des pays en développement, en particulier en Afrique

Une lueur d’espoir pour les agriculteurs

D’un autre côté, le gouvernement est critiqué pour avoir nui à l’environnement, notamment par la coupe d’arbres dans certaines zones et la destruction de certains parcs historiques.

L’information selon laquelle un promoteur immobilier émirati a détruit des parties de la côte nord égyptienne afin de construire une marina pour l’un de ses projets touristiques et résidentiels dans la région a choqué de nombreux Égyptiens, certaines personnes appelant le gouvernement à empêcher les investisseurs d’accroître l’érosion de la côte. 

« Les cultures résilientes aux changements climatiques offrent de l’espoir et une opportunité pour les agriculteurs de compenser certaines des pertes qu’ils ont subies ces dernières années »

- Abul Mahasen Mohamed, agriculteur égyptien

Néanmoins, certains des efforts d’adaptation donnent des résultats.

La nouvelle variété de riz développée par les centres de recherche locaux promet de fournir une défense contre les températures extrêmes, la pénurie d’eau et la salinité élevée des sols. 

Elle offre également des rendements élevés par rapport aux variétés traditionnelles, affirme Muwafi. 

Selon lui, cette variété économise jusqu’à 40 % de l’eau nécessaire aux variétés de riz traditionnelles pour l’irrigation.

Abul Mahasen Mohamed, l’agriculteur de Menoufiya, a constaté une augmentation marquée du nombre de serres dans son village natal de Quwaysna, où se trouve également sa ferme.  

Les agriculteurs, explique-t-il, utilisent les serres pour fournir des conditions météorologiques appropriées aux plantes et éviter la chaleur extrême. 

« Les agriculteurs font tout leur possible pour empêcher les changements climatiques de détruire leurs moyens de subsistance », relève-t-il. « Les cultures résilientes aux changements climatiques offrent de l’espoir et une opportunité pour les agriculteurs de compenser certaines des pertes qu’ils ont subies ces dernières années. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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