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À Mossoul ravagée par la guerre, la jeunesse irakienne fait son cinéma

Un projet de formation de jeunes cinéastes à Mossoul ambitionne de créer un petit festival du film dans la ville meurtrie par la guerre
Des étudiants en cinéma travaille sur le plateau de tournage dans des ruines de la ville de Mossoul, nord de l’Irak, le 15 décembre 2021 (AFP/Zaid al-Obeidi)
Des étudiants en cinéma travaille sur le plateau de tournage dans des ruines de la ville de Mossoul, nord de l’Irak, le 15 décembre 2021 (AFP/Zaid al-Obeidi)
Par AFP à MOSSOUL, Irak

Soulevant un pan de sa robe blanche, la mariée escalade les décombres au milieu des ruines du Vieux Mossoul. « Action ! » lance l’apprenti-réalisateur, un étudiant irakien tout juste initié au cinéma dans l’ancien bastion des islamistes armés.

Dans la métropole du nord de l’Irak, qui porte les stigmates de la guerre contre le groupe État Islamique (EI), un Département cinéma a vu le jour, fruit de la collaboration entre un théâtre belge, l’UNESCO et l’Institut des Beaux-Arts mossouliote.

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Suivant un cursus de quatre mois, les 19 étudiants et étudiantes ont pour la première fois écrit et réalisé neuf courts-métrages, accompagnés par des professeurs venus de Belgique ou encore d’Allemagne.

« L’idée était de leur apprendre comment écrire un scénario, jouer dans un film, faire le montage », résume Milo Rau, directeur artistique du théâtre NTGent, à Gand, en Belgique, et initiateur du projet.

Caméra sur l’épaule et perche à micro à la main, ces jeunes tout juste sortis de l’adolescence ont arpenté les rues pour raconter les blessures de Mossoul et les maux de la société.

Dans la chaude lumière de décembre enveloppant les ruines du Vieux Mossoul, Maryam en robe de mariée sort d’une maison à moitié écroulée, balayant l’horizon d’un regard douloureux à la recherche de son mari.

Sorti fumer une cigarette, Muhanad va marcher sur une mine.

« Le passage de l’âge de pierre à la modernité »

Des enfants s’attroupent, des femmes du quartier s’arrêtent l’air amusé pour observer le tournage. Un voisin récalcitrant allume son générateur et refuse de l’éteindre.

« On perd la lumière », lance régulièrement un des enseignants, pressant les étudiants qui enchaînent les scènes à mesure que le soleil baisse.

Avant le tournage, Mohammed Fawaz, 20 ans, revoit le maniement de la caméra et discute mise au point avec son professeur Belge Daniel Demoustier.

« Nous vivons à Mossoul, on sait tout ce qui s’est passé, les tragédies. On veut montrer tout ça au monde à travers le cinéma »

- Mohammed Fawaz, étudiant en théâtre

L’étudiant en théâtre rêve d’être acteur. Il découvre pour la première fois les coulisses du septième art.

« J’aime le cinéma depuis longtemps », confie-t-il, citant avec candeur parmi ses références les productions Marvel de superhéros américains, ou encore la saga Fast and Furious.

Avec l’arrivée de l’EI en 2014, il raconte quatre années passées à la maison sans télévision ni sorties, privé d’école. Il a alors appris l’anglais, grâce aux livres et cours informels d’un proche, enseignant la langue de Shakespeare.

Son entrée aux Beaux-Arts, une fois les islamistes armés défaits en 2017, c’est un peu « le passage de l’âge de pierre à la modernité ».

Lui et certains camarades ont déjà décidé « de faire des films sur Mossoul et sur la guerre », confie le garçon à la silhouette frêle, teint mat et épais cheveux noir de jais.

« Nous vivons à Mossoul, on sait tout ce qui s’est passé, les tragédies. On veut montrer tout ça au monde à travers le cinéma ».

Après un mois de cours intensifs en octobre, les étudiants ont enchaîné les tournages, pratiquant à tour de rôle les différents métiers du cinéma, explique M. Demoustier, caméraman et réalisateur.

L’équipement apporté pour la formation — caméra, objectifs, ordinateurs, sono — restera à Mossoul. « L’idée étant que les étudiants les réutiliseront et feront des films tout seul. Si trois ou quatre d’entre eux réussissent, ce sera déjà un grand succès », ajoute-t-il.

Retour à l’enfance et à l’innocence

« C’est ma première expérience en cinéma, tout était nouveau », confie timidement Tamara Jamal, 19 ans, son visage encadré par un voile noir, flottant dans un ample gilet.

Dans son court-métrage, elle raconte le cauchemar d’une fillette dont le père bat sa mère.

 Un des jeunes acteurs se prête à une rapide séance de maquillage sur le tournage à Mossoul, au nord de l’Irak, le 15 décembre 2021 (AFP/Zaid al-Obeidi)
Un des jeunes acteurs se prête à une rapide séance de maquillage sur le tournage à Mossoul, au nord de l’Irak, le 15 décembre 2021 (AFP/Zaid al-Obeidi)

Violences domestiques, mariage précoce, enfants des rues : « la plupart des étudiants racontent des histoires où les enfants tiennent le rôle principal », indique Susana Abdulmajid, actrice et enseignante irako-allemande, dont la famille est originaire de Mossoul.

« Il y a une sorte de volonté de retourner vers l’enfance, vers un temps d’innocence », ajoute-t-elle.

En janvier les étudiants se mettront au montage. Leurs œuvres, allant jusqu’à cinq minutes, seront projetées à Mossoul avant d’être présentées dans des festivals européens, explique le metteur en scène Milo Rau.

Son aventure irakienne a commencé avec la pièce Oreste à Mossoul, adaptée de la tragédie grecque d’Eschyle, montée en 2018-2019 avec la participation d’étudiants de la ville.

L’objectif maintenant, sécuriser des financements pour assurer la pérennité du Département cinéma. Et prochaine étape : « créer avec des partenaires un petit festival du film de Mossoul ».

Par Tony Gamal-Gabriel

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