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« C’est comme si les talibans dirigeaient le pays » : l’Iran mise sur une nouvelle loi pour imposer le hijab

Le Parlement iranien a accentué la pression sur les femmes qui refusent de porter le voile en approuvant le 20 septembre un projet de loi qui durcit les sanctions jusqu’à la prison
Selon la nouvelle législation, les femmes pourraient être emprisonnées jusqu’à dix ans en cas de non-respect du code vestimentaire (AFP/Atta Kenare)
Selon la nouvelle législation, les femmes pourraient être emprisonnées jusqu’à dix ans en cas de non-respect du code vestimentaire (AFP/Atta Kenare)
Par Correspondant de MEE à TÉHÉRAN, Iran

Alors que mi-septembre, de nombreux Iraniens ont rendu hommage à Mahsa Amini pour le premier anniversaire de sa mort – une Kurde iranienne de 22 ans avait été battue à mort en détention policière pour avoir prétendument enfreint le code vestimentaire strict imposé aux femmes –, les députés iraniens ont adopté un projet de loi pour durcir les sanctions contre les femmes qui refusent de porter le voile.

Un total de 152 députés ont voté le 20 septembre en faveur du texte intitulé « Soutien à la culture du hijab et de la chasteté », tandis que 34 se sont prononcés contre, et sept se sont abstenus.

Cette adoption survient alors que d’autres initiatives visant à contraindre les femmes à porter le voile en public, notamment l’utilisation de caméras d’intelligence artificielle, semblent avoir échoué.

Au cours de la dernière année, quelques mois après la répression par les forces de sécurité des semaines de manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini, les Iraniennes ont de plus en plus défié le code vestimentaire obligatoire, entraînant une surveillance de plus en plus poussée, de l’intimidation et des tentatives graves de la part des autorités iraniennes pour contrôler la situation.

La mort de Mahsa Amini avait relancé le débat sur le port du hijab, l’un des piliers idéologiques de la République islamique depuis la chute du shah en 1979.

En mars, le commandant de la police notoire, Ahmad Reza Radan, nommé en janvier, a annoncé l’installation de « dispositifs et de caméras intelligents » pour identifier les femmes ne respectant pas le port du hijab et les avertir des conséquences légales.

Un mois plus tard, la police a commencé à surveiller les caméras de la circulation pour localiser les femmes en infraction avec la loi, dans le cadre de la mise en œuvre d’un soi-disant « plan national pour la chasteté et le hijab ».

Des capacités limitées

Celles qui se font attraper pour la première fois reçoivent un « SMS d’avertissement concernant les conséquences » de leurs actions. En cas de récidive, il est prévu que leurs véhicules soient confisqués et qu’elles soient poursuivies en justice.

Mahmoud Javad Azari Jahormi, ancien ministre des Télécommunications et de la Technologie, a émis des doutes sur l’efficacité de ce plan de surveillance, prédisant qu’un tel système finirait par montrer des faiblesses. Il a par ailleurs averti que le système pourrait devenir moins efficace avec le temps.

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« Actuellement, la Chine est considérée comme un pays leader dans le domaine des caméras de reconnaissance faciale. En Chine, contrairement aux pays développés, les lois sur la protection de la vie privée sont moins protectrices et le gouvernement a été autorisé à mettre en œuvre cette technologie à grande échelle », explique à Middle East Eye un expert en technologie d’intelligence artificielle sous couvert d’anonymat.

« Mais en termes d’infrastructures, pour pouvoir mettre en œuvre de telles technologies, nous sommes vraiment loin de la Chine. La République islamique dispose de capacités limitées et, comme vous pouvez le constater, elle a échoué. Car si elle avait réussi, elle ne n’aurait pas fait revenir la police des mœurs dans la rue. »

Après la mort de Mahsa Amini, la police des mœurs a été mise sous surveillance et a suspendu ses patrouilles de rue. Mais en juillet, de nombreux Iraniens choqués et consternés ont remarqué que la police avait repris ses patrouilles en voiture et à pied à travers le pays pour s’occuper des individus portant ce qui est considéré comme des « vêtements inhabituels ».

« Cela montre que leur plan a complètement échoué », souligne l’expert.

En août, le président iranien Ebrahim Raïssi avait déclaré que « cette affaire des femmes ne portant pas le hijab » allait « prendre définitivement fin ». Il avait estimé que cette question avait été instrumentalisée par « l’ennemi » de la République islamique, un terme visant habituellement les pays occidentaux et les opposants iraniens à l’étranger.

Majoritaires au sein du pouvoir et au Parlement, les conservateurs défendent ardemment l’obligation du voile et estiment que sa disparition lancerait un processus qui modifierait en profondeur les « normes sociales ».

Les députés ont approuvé le projet de loi « pour une durée d’essai de trois ans ».

Le projet de loi sur la chasteté et le hijab introduit une série de mesures punitives pour les différentes violations qu’il énumère.

Les hommes comme les femmes trouvés dans la rue avec une « tenue inappropriée » risquent des amendes de « sixième degré » pour les premières infractions, et de « cinquième degré » pour les transgressions jugées plus graves.

En d’autres termes, cela se traduit par des amendes allant de 6 à 24 millions de tomans (de 100 à 500 euros) pour les infractions les moins graves, de 24 à 50 millions de tomans (de 500 à 1 000 euros) pour les infractions intermédiaires, et de 50 à 100 millions de tomans (de 1 000 à 2 000 euros) pour les infractions les plus graves.

La législation précise que la « tenue inappropriée » pour les femmes comprend le port de vêtements à manches courtes, de t-shirts à col rond, de pantalons trois-quarts et de pantalons déchirés. Quant aux hommes, ils ne sont pas autorisés à porter des pantalons à taille basse.

Publication d’images de femmes non voilées

Selon la commission judiciaire du Parlement, le port d’une tenue inappropriée est passible d’une forte amende pouvant atteindre 280 millions de tomans (6 000 euros) pour les récidivistes, ainsi que d’une possible arrestation et d’une peine de prison de cinq à dix ans.

À noter : la loi autorise les citoyens à appréhender les contrevenants en l’absence de personnel pour appliquer la loi, ainsi qu’à signaler les personnes ne respectant pas la loi.

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De plus, les employés de la fonction publique, y compris les enseignants, qui ne portent pas le hijab sur leur lieu de travail encourent des sanctions similaires à celles appliquées pour les infractions publiques, en plus d’un éventuelle suspension d’une durée de six mois à deux ans.

La législation précise également que la prestation de services à des individus ne portant pas le hijab ou ne respectant pas le code vestimentaire dans les lieux touristiques peut entraîner un licenciement. La personne punie risque également de se voir interdite de travailler à nouveau dans le même secteur pendant une durée pouvant aller jusqu’à deux ans.

Sur les campus universitaires, en revanche, une « tenue inappropriée » sera d’abord traitée conformément aux règlements disciplinaires de l’université. Les violations ultérieures seront toutefois renvoyées à la police pour des sanctions liées à l’indécence publique.

La publication d’images de femmes non voilées sur les réseaux sociaux sera également passible d’amendes allant de 6 à 24 millions de tomans (de 100 à 500 euros).

Certaines sanctions visent directement les entreprises, menacées de fermeture et d’autres graves conséquences pour celles fournissant des services à des femmes portant une tenue « inappropriée ».

Laisser aux employés la liberté de porter le hijab de manière volontaire entraîne également des conséquences financières et une exclusion sociale pour les entreprises et le personnel.

La loi autorise les citoyens à appréhender les contrevenants en l’absence de personnel pour appliquer la loi, ainsi qu’à signaler les personnes ne respectant pas la loi

Les personnes qui achètent des biens ou des services en ligne auprès d’une entreprise qui promeut des tenues illégales s’exposent à une amende trois à quatre fois le montant de l’article acheté.

De même, les célébrités qui promeuvent le port volontaire du hijab et l’« indécence » sur les réseaux sociaux, ou qui s’engagent dans la production, la distribution ou l’importation organisées de vêtements « inappropriés », encourent des sanctions financières, généralement basées sur les revenus tirés de telles activités.

La loi impose également des sanctions financières aux résidents étrangers qui ne portent pas le hijab, et une expulsion éventuelle du pays.

Les objections à la loi sur le hijab ont suscité de vifs débats parmi les experts juridiques, alimentant des discussions mettant en lumière les subtilités de cette législation.

Sanctions pour les moins de 18 ans

S’exprimant sous couvert d’anonymat, un ancien juge la qualifie cyniquement de « merveille législative », mettant en exergue les écueils de la précipitation, du manque de planification et de l’incompétence globale de ses auteurs.

Un avocat chevronné, s’exprimant également sous couvert d’anonymat, dresse pour sa part une comparaison frappante entre les sévères conséquences du non-respect de la loi sur le hijab et les sanctions imposées aux auteurs d’autres infractions.

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Par exemple, la production de cinq kilogrammes de crack entraîne une amende de 5 à 20 millions de tomans (de 100 à 400 dollars) et une peine de prison pouvant aller jusqu’à quinze ans.

« Comparez cette punition à [celle visant] une femme qui ne porte pas de hijab. Non seulement [la coupable] peut être condamnée, selon cette loi, à une amende pouvant aller jusqu’à 280 millions de tomans, mais en plus de la police, d’autres personnes peuvent également l’arrêter et la garder immédiatement en détention », souligne l’avocat.

« Cela signifie qu’une femme est si dangereuse que des personnes ordinaires et des passants doivent faire quelque chose en attendant l’arrivée de la police. C’est ridicule. »

Un autre aspect controversé de la loi concerne les sanctions pour les personnes de moins de 18 ans.

Lors d’une session parlementaire le mois dernier, Gholamreza Nouri Qazalcheh, un parlementaire réformiste, a exprimé des inquiétudes selon lesquelles même les étudiants risquaient d’être détenus.

« Quand un élève de 10 ans enfreint cette loi, les parents qui ont envoyé leur enfant à l’école le matin doivent le récupérer au commissariat de police le soir », souligne-t-il.

« Nous atteignons des niveaux dangereux. J’ai vraiment peur des conservateurs qui dirigent le pays »

- Un journaliste réformiste

Hossein Jalali, membre de la commission culturelle du Parlement, approuve quant à lui les amendes pour les mineurs, soulignant que les individus de moins de 18 ans bénéficient de divers privilèges et responsabilités, notamment l’accès à l’éducation, à l’emploi et aux services bancaires.

Enfreindre la loi sur le hijab entraînera la suspension de ces privilèges et des amendes financières, confirme-t-il.

« Nous atteignons des niveaux dangereux. J’ai vraiment peur des conservateurs qui dirigent le pays. C’est comme si les talibans dirigeaient le pays. Il n’y a aucune différence », commente pour MEE un journaliste réformiste qui a préféré ne pas révéler son nom.

« Regardez les détails de la loi sur le hijab. Il est choquant de voir que, même dans ce pays, les enfants ne sont pas à l’abri de lois brutales et impitoyables. »

Traduit de l’anglais (original) et actualisé.

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