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Scission parmi les milices irakiennes : un nouveau coup dur pour l’Iran, en perte d’influence

Quatre groupes armés ont formé une force loyale à Nadjaf, affaiblissant l’emprise de Téhéran sur les puissantes formations paramilitaires irakiennes
Des membres de la Brigade de l’imam Ali, un des groupes combattant au sein des paramilitaires des Unités de mobilisation populaire (UMP), lors d’un défilé militaire à Nadjaf (AFP)
Des membres de la Brigade de l’imam Ali, un des groupes combattant au sein des paramilitaires des Unités de mobilisation populaire (UMP), lors d’un défilé militaire à Nadjaf (AFP)
Par Suadad al-Salhy à BAGDAD, Irak

Quatre des factions armées chiites irakiennes associées à Ali al-Sistani, ayatollah iranien et personnalité politique irakienne influente, se retirent des Unités de mobilisation populaire (UMP) pour former une force parallèle, ont annoncé des responsables à Middle East Eye.

Cette nouvelle force sera appelée Mobilisation des saints sanctuaires et sera liée à Ali al-Sistani et à l’autorité religieuse qu’il dirige dans la ville irakienne de Nadjaf.

Cette annonce est la dernière d’une série de coups portés à l’Iran ces deux dernières années par Ali al-Sistani pour tenter de briser l’emprise iranienne sur les Unités de mobilisation populaire, une organisation paramilitaire.

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Avec ce retrait, les groupes armés soutenus par l’Iran au sein des UMP ont été dépouillés de la protection populaire et idéologique fournie par Al-Sistani, la plus haute autorité chiite en Irak, et cela remet publiquement en question leur loyauté et leurs affiliations.

Al-Sistani a joué un rôle déterminant dans la création des UMP, publiant en 2014 une fatwa qui appelait les Irakiens à se mobiliser et à combattre le groupe État islamique (EI) sous la direction du gouvernement irakien.

    Dans leur annonce de retrait le 1er décembre, la Division de combat d’al-Abbas, la Brigade Ali al-Akbar, la Brigade Ansar al-Marjiya et la Brigade de l’imam Ali soulignent que la nouvelle force comprendra exclusivement des combattants qui « ont appliqué à la lettre la fatwa d’Al-Sistani et suivi ses instructions ».

    Une force de 15 000 combattants

    La nouvelle force se compose de 15 000 combattants et relève directement du bureau du commandant en chef des forces armées irakiennes, expliquent à MEE des commandants de la Mobilisation des saints sanctuaires.

    Selon un éminent politicien chiite, qui s’est adressé à MEE sous couvert d’anonymat, Al-Sistani considère les groupes armés soutenus par l’Iran comme « les serres de l’Iran en Irak » et frappe en conséquence.

    « Al-Sistani a averti l’Iran plus d’une fois de ne pas nuire aux intérêts irakiens, mais ils n’ont pas pris son avertissement au sérieux. Il leur a donné l’occasion pendant deux ans d’organiser, de contrôler et de légaliser le travail des factions, mais au lieu de cela, ils ont persisté jusqu’à ce que les choses deviennent presque hors de contrôle », souligne cet homme politique.

    « Al-Sistani a averti l’Iran plus d’une fois de ne pas nuire aux intérêts irakiens, mais ils n’ont pas pris son avertissement au sérieux »

    - Un politicien chiite de premier plan

    « Avec cette étape, il remballe [les factions armées]. Elles sont actuellement dépouillées, seules, et la corruption et les conflits internes les consument, et ce que l’Iran a mis dix-sept ans à construire s’est effondré en un an. »

    Face à la propagation terrifiante de l’EI et à l’effondrement de l’armée irakienne, le Premier ministre de l’époque, Nouri al-Maliki, a profité de la fatwa d’Al-Sistani pour former les UMP en juin 2014 afin de regrouper des factions armées et des individus qui se sont portés volontaires pour chasser le groupe combattant du nord et de l’ouest de l’Irak.

    Les groupes chiites soutenus par l’Iran, tels que l’Organisation Badr, la plus ancienne et la plus importante des formations paramilitaires, ainsi qu’Asaïb Ahl al-Haq et Kataeb Hezbollah, les factions armées les plus puissantes d’Irak, représentent depuis l’épine dorsale des UMP.

    Pendant un certain temps, l’ordre explicite d’Al-Sistani de ne cibler que l’EI et de rendre des comptes uniquement à Bagdad a tenu bon.

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    Mais lorsqu’Al-Maliki a par la suite établi les UMP en tant qu’organe indépendant pour superviser les paramilitaires et remis son commandement aux dirigeants fidèles à l’Iran, le gouvernement irakien a perdu le contrôle des forces et elles se sont muées en des excroissances de l’Iran.

    Bien qu’ils reçoivent un financement et du matériel du gouvernement irakien, la grande majorité des factions des UMP ne se soumettent pas aux ordres du chef d’état-major général des forces armées.

    Entre-temps, beaucoup ont été impliquées dans des atteintes aux droits de l’homme contre des civils, ont pris pour cible ou menacé des ministères et des missions diplomatiques, et sont devenues une menace majeure pour la sécurité du gouvernement lui-même.

    La décision de séparer sur les plans financier, logistique et opérationnel les quatre factions des UMP a été signée à l’origine par le Premier ministre de l’époque Adel Abdel-Mehdi en avril 2019. Mais les paramilitaires soutenus par l’Iran ont fait pression sur son successeur Mustafa al-Kadhimi pour qu’il abandonne ce projet.

    Toutefois, les groupes soutenus par l’Iran ont par la suite cherché à accroître leur emprise sur les UMP et à obtenir plus de postes de haut niveau au sein de l’autorité « illégalement et avec l’aide de Faleh al-Fayad, chef des UMP », indique un éminent commandant de cette nouvelle force, qui refuse d’être identifié.

    50 000 demandes d’adhésion

    Cela « a incité Sistani à reprendre l’initiative et à annoncer cette formation », estime ce commandant.

    Le commandant fait observer que le chef du Kataeb Hezbollah, Abdulaziz al-Muhammadawi « Abu Fadak », a été nommé chef d’État-major des UMP, malgré l’opposition et l’absence d’accord de Kadhimi, et un chef d’Asaib Ahl al-Haq a été nommé commandant des opérations de Bagdad.

    « Ils prévoient de signer quinze nouvelles décisions pour nommer d’autres membres des Kataeb, Asaib et Badr à différents postes », ajoute-t-il.

    « Ces développements nous ont amenés à la conviction qu’ils étaient déterminés à poursuivre  avec la même approche, et donc nous avons dû leur porter un coup significatif sinon nous aurions perdu le contrôle pour toujours. »

    Des membres des Unités de mobilisation populaire portant une grande banderole représentant l’image du dignitaire chiite, l’ayatollah Ali al-Sistani, à Nadjaf (AFP)
    Des membres des Unités de mobilisation populaire portant une grande banderole représentant l’image du dignitaire chiite, l’ayatollah Ali al-Sistani, à Nadjaf (AFP)

    La sécession des quatre groupes a confirmé des divisions, des fractures et des loyautés opposées au sein des Unités de mobilisation populaire peut-être impossibles à surmonter.

    En réponse, les gens ont commencé à parler des factions soutenues par l’Iran comme de « la mobilisation loyaliste », soulignant leur allégeance envers l’Iran et son guide suprême Ali Khamenei.

    La scission fait également pression sur les dirigeants chiites soutenus par l’Iran. Ces derniers ont insisté sur le fait que leur loyauté va à Al-Sistani, alors qu’en réalité, ils prennent leurs ordres de l’Iran. Maintenant, il sera presque impossible pour eux de courir les deux lièvres à la fois.

    Pendant ce temps, elle a ouvert une porte de sortie pour les combattants mis à l’écart, persécutés et contraints à des actes criminels par certaines factions soutenues par l’Iran et leurs dirigeants.

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    Les commandants des UMP affirment à MEE que certaines factions avec des dirigeants particulièrement corrompus ont volé les salaires des combattants et conservé les privilèges d’autres groupes, tels que les armements, les prêts et les primes.

    L’intérêt pour l’adhésion à la Mobilisation des saints sanctuaires est très important.

    En seulement une semaine, les commandants de la nouvelle force disent avoir reçu 50 000 demandes d’adhésion de combattants appartenant à toutes sortes de factions.

    « Trente mille de ces demandes provenaient de factions sunnites, tandis que les autres étaient des combattants de factions chiites », précise à MEE un haut responsable de la Mobilisation des saints sanctuaires.

    « La plupart des demandes que nous avons reçues de factions chiites provenaient du Kataeb Hezbollah, Asaib Ahl al-Haq et de l’Organisation Badr, ce fut une grande surprise », ajoute-t-il.

    « Le plus drôle, c’est que nous avons reçu environ 3 000 demandes des combattants de l’une de ces trois factions. Si nous les acceptons tous, cette faction s’effondrera et elle n’aura plus aucun poids dans l’arène irakienne par la suite. »

    Selon le commandant, la Mobilisation des saints sanctuaires est prête à les prendre en charge.

    « Nous attendons le feu vert de Nadjaf », assure-t-il. « Dès que nous l’aurons, la plupart de ces factions s’effondreront sans affrontements armés ni véritables problèmes. »

    Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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