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Iran : négligés depuis des années, les habitants du Khouzistan se soulèvent

La crise de l’eau qui s’intensifie depuis des années affecte tous les aspects de la vie des Iraniens de cette province du sud-ouest
Des Iraniens de Tabriz, au nord-ouest, se rassemblent en solidarité avec le Khouzistan, dans le sud (Twitter)
Par Correspondant de MEE à KHOUZISTAN, Iran

Ali* (21 ans) ne trouve plus de travail dans sa province, le Khouzistan, même en tant qu’ouvrier agricole. Il explique que les pénuries d’eau ont détruit le secteur agricole dans cette province du sud-ouest de l’Iran, riche en pétrole.

« Nous en avons assez et sommes las de cette situation. Pourquoi connaissons-nous des pénuries d’eau dans cette province où le fleuve Karoun regorge d’eau ? », demande Ali à Middle East Eye, songeant à son futur incertain dans une province où les habitants se plaignent depuis longtemps de leur marginalisation. 

« Que devrais-je faire en tant que jeune ? Où trouver un travail ? Comment gagner ma vie ? Nous croulons sous les problèmes. Pourquoi personne ne nous prête attention ? »

Ali, qui vit dans un village du comté d’Ahvaz, est l’un des nombreux jeunes souffrant de la crise de l’eau au Khouzistan

Depuis une dizaine de jours, cette province est au cœur de l’actualité en Iran. Le soir du 15 juillet, les Iraniens sont descendus nombreux dans la rue dans les villes de la province, notamment à Ahvaz, Abadan, Hamidiyeh, Shadegan, Khorramchahr et Bandar-e Mahshahr pour manifester contre le manque d’eau et les fréquentes coupures d’électricité. 

« Pourquoi connaissons-nous des pénuries d’eau dans cette province où le fleuve Karoun regorge d’eau ? »

- Ali, chômeur du Khouzistan

Les manifestants ont scandé des slogans tels que « Le fleuve a soif », « J’ai soif » et « Nous donnons nos vies et notre sang au Karoun », tandis que certains brûlaient des poubelles et des pneus en signe de colère après des années de négligence malgré les avertissements répétés concernant les risques de pénuries d’eau dans la province.

En juin 2020, des manifestations avaient eu lieu dans diverses localités de la province contre le manque d’eau pour les besoins du quotidien et l’agriculture et elles avaient été violemment réprimées. Avec des pistolets à plombs, les forces de l’ordre avaient blessé plusieurs manifestants et procédé à des arrestations. Les autorités avaient bien assuré à l’époque qu’elles résoudraient le problème de l’approvisionnement en eau dans les villages du Khouzistan, mais leurs promesses n’ont pas encore été tenues.

Mauvaise gestion de l’eau

« Les Téhéranais ne pourraient résister au Khouzistan ne serait-ce qu’une semaine. Il fait 50 °C, température associée à un taux d’humidité élevé, et nous n’avons pas d’eau », déplore Ahmad*, jeune homme de 19 ans qui vit à Bandar-e Mahshahr.

« D’aussi longtemps qu’on s’en souvienne, nous n’avons jamais eu d’eau potable et nous avons toujours dû acheter de l’eau en bouteille. Les gens des villes sont plus riches. L’eau est livrée dans des camions citernes aux gens dans les villages. »

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Qassem Soleimani Dashtaki, gouverneur de la province, a confirmé après l’escalade des manifestations le 21 juillet que de l’eau avait été livrée à 702 villages du Khouzistan dans des camions citernes.

Cependant, cette initiative est loin de résoudre le problème profondément ancré auquel la population est confrontée dans la province. L’utilisation excessive des nappes phréatiques, la pollution due à la production de pétrole, les transferts d’eau du Karoun et d’autres rivières du Khouzistan vers d’autres provinces ainsi que l’urbanisation ont nui à l’environnement et provoqué de grandes pénuries d’eau. 

Dans une interview du 19 juillet, Hadi Savari, ancien membre du conseil de la ville d’Ahvaz, a imputé la crise de l’eau principalement à la construction inadéquate d’un barrage dans la province. 

« Le Khouzistan dispose de quatre importantes rivières, Karoun, Dez, Jarahi et Zohreh, et de deux grandes zones humides, Shadegan et Hur al-Azim, qui ont toujours regorgé d’eau à travers l’histoire », indique Savari.

« Un tiers de Hur al-Azim se situe sur le territoire iranien et a été détruit en raison de la construction de routes et de sa division en cinq bassins pour l’exploration pétrolière ; le gouvernement irakien a en outre coupé les arrivées d’eau de l’Iran. »

Propagation des manifestations

La vitesse à laquelle les manifestations, qui se sont rapidement étendues à presque l’ensemble des villes du Khouzistan, ont touché d’autres provinces est sans précédent. Elles ont notamment fait des émules dans des villes aussi lointaines que Kermanchah, Ispahan et ailleurs dans le Lorestan et à Téhéran. Les forces de sécurité sont vite entrées en jeu pour mettre fin à l’agitation. 

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Des photos postées sur les réseaux sociaux montraient le déploiement au Khouzistan de policiers venus de Téhéran. Des activistes sur les réseaux sociaux ont également publié des images de véhicules blindés et anti-émeutes débarqués d’un avion à l’aéroport d’Ahvaz, au Khouzistan. Plusieurs photos circulant sur Twitter montrent des chars, des camions blindés équipés de canons à eau et d’autres véhicules contre les émeutes sur les routes de la province.

Pendant ce temps, les autorités ont coupé internet dans une grande partie du Khouzistan afin d’essayer de mettre un frein aux manifestations. NetBlocks Internet Observatory a signalé le 22 juillet que les données confirmaient une perturbation grave des réseaux mobiles dans la province à compter du jeudi 15 juillet.

L’ampleur de la répression contre les manifestations n’a pas tardé à être condamnée.

« Ils n’ont vraiment aucune honte », peste Naeem (20 ans), originaire d’Izeh, qui a été témoin de la mobilisation des forces anti-émeutes. « Ils ont tiré aveuglément sur les gens, alors que notre manifestation était parfaitement pacifique. Nous étions sans armes. Nous n’avions pas de pistolets. Pourquoi nous tirer dessus ? Nous n’avions même pas de pierres et de bâtons. Nous scandions simplement que nous voulions de l’eau. »

« Pourquoi nous tirer dessus ? Nous n’avions même pas de pierres et de bâtons. Nous scandions simplement que nous voulions de l’eau »

- Naeem, après les manifestations à Izeh

Izeh, ville de 200 000 habitants, a rejoint le mouvement de protestation quand les manifestations se sont étendues aux petites villes. Les slogans scandés dans la ville ont été plus radicaux qu’ailleurs dans la province, ce qui pourrait expliquer pourquoi la répression y a été plus dure que dans d’autres villes.

Les manifestants se sont exprimés contre l’establishment iranien, avec des slogans tels que « Mort à la République islamique » et « Mort à Khamenei », le guide suprême iranien. 

Le bilan des personnes tuées dans les manifestations n’est pas certain jusqu’à présent. Le gouverneur du Khouzistan affirmait dans une conférence de presse du 20 juillet que seule une personne, qui accompagnait les forces de sécurité, avait été tuée dans les manifestations. Le 23 juillet, Amnesty International a annoncé que les forces de sécurité avaient tué au moins huit manifestants dans la province.

Les médias publics iraniens ont prétendu que les manifestants avaient été tués non pas par les forces de sécurité mais par des émeutiers et des séparatistes dans une tentative de récupération des manifestations.

« Rien que des paroles »

Il aura fallu plus d’une semaine pour que le guide suprême Ali Khamenei réagisse aux troubles au Khouzistan. Dans un discours le 23 juillet, il a admis la validité des doléances de la population et reproché la crise aux autorités.

« Personne ne peut se plaindre de ces gens. Si le problème en ce qui concerne l’eau et les eaux usées dans la province du Khouzistan avait été résolu, nous ne constaterions pas de tels problèmes aujourd’hui », a-t-il déclaré.

« Pendant les huit années de guerre avec l’Irak, cette province a été détruite, et aujourd’hui, nos propres soldats nous tuent et versent notre sang »

- Adel, originaire de Dezfoul

« Ces gens ont exprimé leur mécontentement parce qu’ils sont frustrés. Ce n’est pas un petit problème, en particulier sous le chaud climat du Khouzistan. 

« J’appelle les autorités à résoudre rapidement les problèmes des habitants de la province, qui sont véritablement loyaux. »

Malgré les remarques de Khamenei, le fait est que les forces de sécurité responsables de la répression des manifestants au Khouzistan agissent sous son commandement ou celui des agences qu’il nomme directement.

Ces remarques ne vont donc probablement pas apaiser la colère de la population, bien qu’une répression persistante pourrait mettre fin aux manifestations, du moins temporairement.

« Ce ne sont rien que des paroles. Ils se contentent de dire que les gens ont des droits, où sont ces droits ? Est-ce que recevoir une balle est notre droit ? Ou verser notre sang ? Est-il excessif de demander de l’eau ? Ils n’ont aucune honte », déclare Adel (24 ans), originaire de Dezfoul. 

« Pendant les huit années de guerre avec l’Irak, cette province a été détruite, et aujourd’hui, nos propres soldats nous tuent et versent notre sang. Ils ont aussi limité l’accès à internet pour que personne ne nous entende nous faire tuer. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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