Une colonie israélienne porte le coup de grâce aux rêves et souvenirs palestiniens de l’aéroport de Jérusalem
Les en-têtes des papiers officiels délivrés par le conseil local de Qalandia portent toujours l’icône d’un avion, rappel du rêve palestinien de disposer un jour de son propre aéroport.
Mais Israël s’apprête à construire une colonie illégale sur le site de ce qui était autrefois l’aéroport international de Jérusalem, anéantissant ainsi les espoirs palestiniens de le revendiquer.
Les médias israéliens ont annoncé début décembre que les autorités avaient approuvé un projet de construction de 9 000 logements dans la colonie d’Atarot, agissant délibérément avant l’investiture le 20 janvier du président américain Joe Biden, qui a exprimé son opposition à la construction de colonies, lesquelles violent le droit international.
Situé sur des terres appartenant au village palestinien de Qalandia, au nord de Jérusalem-Est occupée, l’aéroport – le seul en Cisjordanie occupée et dans la région de Jérusalem – est gravé dans la mémoire collective depuis sa création en 1924 sous le mandat britannique.
Les habitants de Qalandia se rappellent avec nostalgie l’époque où il était le centre de leur vie, alors qu’ils voient la région devenir de plus en plus inaccessible.
Souvenirs du tarmac
L’aéroport international de Jérusalem, d’une superficie de 4 000 dounams (400 hectares) et surnommé localement aéroport de Qalandia, a été construit par les autorités sous le mandat britannique (1920-1948). Celles-ci l’ont utilisé comme aéroport militaire avant de transférer son administration au gouvernement jordanien en 1951, trois ans après la création de l’État d’Israël, lequel l’a géré comme un aéroport commercial.
Dans les années 1950 et 1960, l’aéroport a contribué au développement du tourisme en Cisjordanie et a connu l’arrivée de délégations du monde arabe à des fins touristiques, culturelles et commerciales.
Si peu d’habitants de Qalandia avaient les moyens à l’époque d’emprunter les vols au départ de cet aéroport, il reste parmi les souvenirs qu’ils chérissent.
« C’était un sentiment indescriptible, embarquer à bord de l’avion et voir ma maison et mon village en bas »
- Youssef Awadallah, habitant de Qalandia
Youssef Awadallah, octogénaire habitant Qalandia, raconte à MEE qu’il fut l’un des quelques villageois qui voyagèrent en 1963 au départ de l’aéroport à destination de Beyrouth pour poursuivre ses études.
« J’étais étudiant à l’époque, alors j’ai eu le billet à tarif réduit et j’ai voyagé pour la première fois par avion depuis la Palestine à destination du Liban. C’était un sentiment indescriptible, embarquer à bord de l’avion et voir ma maison et mon village en bas », se remémore le vieil homme.
« Nous avons passé notre enfance à l’aéroport, à faire signe aux voyageurs. Nous avions établi des relations avec les employés de l’aéroport et ils nous autorisaient à être là, en tant qu’enfants du village.
« Je me rappelle lorsque le roi [de Jordanie] Hussein est arrivé, le défilé militaire organisé pour lui à l’aéroport, ces souvenirs sont toujours vivants dans ma mémoire. »
Abdelhalim Hamza, 67 ans, raconte à MEE qu’il a également passé une grande partie de son enfance à courir avec ses amis sur le tarmac. Ses souvenirs préférés sont ses excursions pour acheter du jus dans un magasin qui avait ouvert au sein de l’aéroport.
« Lorsque nous n’avions pas d’argent, on faisait du troc contre des œufs ou du lait », raconte-t-il.
Abdelhalim Hamza se souvient également de l’occupation par l’armée israélienne de l’aéroport en 1967, lorsque des dizaines de jeeps israéliennes furent déployées dans la zone.
« Je me rappelle le retrait de l’armée jordanienne. Les soldats étaient terrifiés et ils ont abandonné une nouvelle jeep avec une mitrailleuse à l’entrée du village. Ils nous ont dit “l’armée israélienne arrive”. »
Raafat Awadallah, 63 ans, indique que son père réalisait des travaux de construction à l’aéroport en 1920. « Mon père possédait une charrette tirée par deux chevaux, qu’il utilisait pour transporter les pierres lors du processus de construction », relate-t-il à MEE.
L’un de ses plus précieux souvenirs, c’est lorsque lui et d’autres habitants de Qalandia ont entendu à la radio que le célèbre acteur et musicien égyptien Farid al-Atrash venait en Cisjordanie. « Nous avons tous afflué à l’aéroport pour l’accueillir. »
« On écoutait la radio pour savoir si des personnalités politiques où artistiques venaient à l’aéroport. C’était notre grand plaisir », confie-t-il.
Un village qui se rétrécit
Lorsqu’Israël a occupé la Cisjordanie au lendemain de la guerre des Six-Jours en 1967, l’armée a pris le contrôle et a changé son nom en aéroport d’Atarot, l’utilisant pour des vols intérieurs avant de le fermer en 2000, au début de la seconde Intifada.
L’aéroport, qui comprend une piste, une tour de contrôle et un hall d’accueil pour les arrivées et départs, est toujours debout ; l’armée israélienne gère une usine d’aviation sur le site.
« On écoutait la radio pour savoir si des personnalités politiques où artistiques venaient à l’aéroport. C’était notre grand plaisir »
- Raafat Awadallah, habitant de Qalandia
Cette zone a été transformée en avant-poste militaire dont l’accès et la photographie sont interdits.
En février 2020, le gouvernement israélien a annoncé que la colonie d’Atarot serait construite sur 120 hectares dans la zone de l’ancien aéroport. Elle comprendra de larges centres commerciaux, un hôtel, des espaces de travail et d’autres structures. Cette colonie devrait se nicher entre Qalandia et les villages palestiniens de Kufr Aqab et al-Ram.
Si le projet se concrétise, il s’agira de la première nouvelle colonie à Jérusalem-Est depuis 1997.
Selon Khalil Tufakji, directeur de l’urbanisation au sein de l’Association des études arabes, certains indicateurs montrent que la mise en œuvre du projet de colonie est proche.
Il fait observer que l’armée israélienne a récemment annoncé un nouveau projet de construction concernant une route et un tunnel adjacents au check-point militaire de Qalandia et à la zone industrielle de la colonie d’Atarot, afin de les relier aux autres colonies illégales autour de Jérusalem.
Il explique aussi qu’avant la publication des appels d’offres, les autorités doivent rendre publique le projet et une carte de la colonie pour recueillir toutes les objections dans un délai d’un mois.
Raafat Awadallah, qui dirige le conseil de village de Qalandia, signale à MEE que depuis 1967, le territoire du village s’est réduit de 4 000 à 800 dounams (de 400 à 80 hectares) pour permettre à Israël de construire des colonies et des infrastructures militaires dans la région, ainsi que le mur de séparation illégal, qui coupe le village.
« Ce mur a divisé le village de Qalandia en une partie occidentale et une partie orientale. Il faut désormais une heure, voire plus, pour rejoindre l’autre partie. Avant, cela ne prenait que quelques minutes », déplore Raafat.
En 2016, explique-t-il, Qalandia a connu une journée noire lorsque l’armée israélienne a démoli douze immeubles résidentiels.
En 2018, l’armée israélienne a délivré des avis de démolition à l’encontre de 21 autres bâtiments du village.
Le dernier avis de démolition a été délivré en décembre, visant une partie de la propre maison de Raafat, qui a été construite en 1961. Un tribunal israélien lui a également infligé une amende de 60 000 shekels (18 500 dollars).
Il s’attend à ce que les choses ne fassent qu’empirer avec la mise en œuvre du nouveau projet de colonie sur les terres de l’aéroport.
« Avec ce projet, l’un des plus grands rêves palestiniens disparaîtra. Et nous perdrons nos souvenirs de l’aéroport, où nous avons vécu notre enfance. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].