Un adolescent, une mère de famille : la politique israélienne du « tirer pour tuer » a fait deux victimes palestiniennes en une semaine
Le rêve de Saeed Odeh était de jouer pour l’équipe nationale palestinienne de football. Fahima al-Hroub a consacré sa vie à son salon de coiffure et se réjouissait de procurer de la joie aux femmes du village de Wadi Fukin.
Malgré les générations qui les séparent, cet adolescent de 16 ans et cette femme de 60 ans ont tous deux été abattus par les forces israéliennes la semaine dernière et leur existence a été tragiquement abrégée par la politique israélienne du « tirer pour tuer ».
Saeed Odeh passait la plupart de ses journées à s’entraîner avec l’équipe de football de jeunes de Balata, dans la ville palestinienne de Naplouse, l’une des meilleures équipes du championnat de jeunes de Palestine.
Le reste du temps, on pouvait le voir taper dans le ballon avec des amis dans les rues de son village natal d’Odala, près de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie occupée, s’il ne regardait pas un match à la télévision chez lui avec sa famille.
Il ne sortait jamais de chez lui sans sa carte de licencié de la ligue de jeunes.
C’est cette même carte qui a servi à identifier son corps à l’hôpital Rafidia de Naplouse lorsqu’il a été tué mercredi soir.
Saeed Odeh a été abattu par les forces israéliennes près de l’entrée d’Odala vers 21 heures, alors qu’il flânait avec ses amis – une activité nocturne typique pour les adolescents lors des fraîches soirées estivales du mois de Ramadan.
« Il a été abattu de sang-froid par les soldats. C’était une exécution, point final »
– Fuaad Abdel-Rahim, cousin de Saeed Odeh
Plusieurs soldats israéliens armés étaient stationnés à l’entrée du village, où ils faisaient respecter un bouclage de quatre jours dans le cadre d’une vaste chasse à l’homme pour retrouver l’auteur d’une fusillade perpétrée en début de semaine dernière au poste de contrôle militaire voisin de Zaatara, au cours de laquelle trois Israéliens avaient été blessés.
« Les soldats avaient procédé à des perquisitions et à des arrestations massives dans la région et ils avaient complètement assiégé Odala, Beita et Aqraba pendant quatre jours », explique Fuaad Abdel-Rahim, cousin de Saeed Odeh, à Middle East Eye.
« Toutes les entrées et sorties de la ville étaient fermées depuis plusieurs jours et les soldats limitaient les déplacements de tout le monde dans le village et autour, ce qui était vraiment difficile pour nous, surtout en plein Ramadan », poursuit Fuaad Abdel-Rahim.
Alors que des habitants d’Odala et de la ville voisine de Beita ont déclaré à Reuters que des affrontements avaient eu lieu entre des Palestiniens et les troupes israéliennes dans la même zone pendant plusieurs nuits, Fuaad Abdel-Rahim explique que Saeed Odeh se promenait avec ses amis en soirée juste après avoir terminé leur repas d’iftar et qu’il n’y avait aucune confrontation.
L’armée israélienne a déclaré à l’AFP que des cocktails Molotov avaient été lancés sur des soldats « lors d’une opération de routine au sud de Naplouse » et que « les soldats [avaient] agi dans le but d’arrêter les suspects en ouvrant le feu sur eux ».
Fuaad Abdel-Rahim et les autres membres de sa famille démentent les affirmations de l’armée.
« Il n’y avait pas d’affrontements au moment où Saeed a été abattu et ni lui ni personne d’autre ne jetait des pierres », affirme-t-il.
Selon un rapport de Défense des Enfants International – Palestine (DCIP), « les forces israéliennes auraient affronté des jeunes Palestiniens à l’entrée du village avant la fusillade. Saeed n’était pas impliqué dans les affrontements au moment où il a été abattu, selon les informations recueillies par Défense des Enfants International – Palestine. »
« Il a été abattu de sang-froid par les soldats. C’était une exécution, point final », estime Fuaad Abdel-Rahim.
« Il serait peut-être encore en vie »
Selon des témoins oculaires d’Odala, les forces israéliennes ont ouvert le feu sur Saeed Odeh alors qu’il s’approchait de l’entrée du village et lui ont tiré dessus à deux reprises. Un ami qui a tenté de l’aider a également essuyé des tirs.
Les documents de DCIP montrent que les deux garçons ont été visés dans le dos. Saeed Odeh a été touché une fois au bassin et une fois à l’épaule droite. Les deux balles sont ressorties par l’avant.
« Les soldats leur ont tiré dessus de très près, à moins de 100 mètres », affirme Fuaad Abdel-Rahim. « L’autre garçon a essayé d’aider Saeed, mais il a immédiatement été visé lui aussi et il a donc dû laisser Saeed à terre pour tenter de s’échapper. »
« Les soldats israéliens ont attrapé le corps ensanglanté de Saeed et l’ont tiré vers eux afin que personne ne puisse l’atteindre et ils l’ont laissé se vider de son sang par terre »
– Fuaad Abdel-Rahim
D’après le cousin de Saeed Odeh, le deuxième garçon a réussi à courir sur 200 ou 300 mètres avant d’être évacué par des passants.
« Les soldats israéliens ont attrapé le corps ensanglanté de Saeed et l’ont tiré vers eux afin que personne ne puisse l’atteindre et ils l’ont laissé se vider de son sang par terre sans assistance médicale », explique-t-il.
Le récit des événements effectué par Fuaad Abdel-Rahim est corroboré par des témoignages et des documents du DCIP et du Croissant-Rouge palestinien, qui ont déclaré que les forces israéliennes avaient empêché les médecins palestiniens de s’approcher de son corps pendant au moins un quart d’heure.
Lorsque les médecins du Croissant-Rouge ont pu accéder à son corps, il ne présentait aucun signe de vie. Son décès a été déclaré à son arrivée à l’hôpital peu de temps après.
Une demande de commentaires adressée à un porte-parole de l’armée israélienne au sujet de ces allégations est restée sans réponse.
« Je sais que nous ne pouvons pas en être sûrs, mais en tant que famille, nous ne pouvons nous empêcher de nous dire que s’ils lui avaient prodigué les premiers soins appropriés, s’ils avaient arrêté l’hémorragie ou s’ils avaient laissé les médecins palestiniens l’évacuer immédiatement, il serait peut-être encore en vie », déplore Fuaad Abdel-Rahim.
« Fahima était gentille »
Saeed Odeh est le deuxième Palestinien tué par les forces israéliennes en l’espace de quelques jours après Fahima al-Hroub (60 ans), abattue le 2 mai par les forces israéliennes au carrefour de Goush Etzion, dans le sud de la Cisjordanie occupée.
Fahima al-Hroub, une habitante du village de Wadi Fukin, près de Bethléem, a été tuée par balle alors qu’elle s’approchait de soldats israéliens au niveau du carrefour, où ils sont postés en permanence pour protéger plusieurs arrêts de bus réservés aux colons dans le secteur.
L’armée israélienne a déclaré que Fahima al-Hroub était armée d’un couteau pour poignarder les soldats dans la zone et qu’elle avait été abattue après des coups de semonce tirés en l’air par les soldats. Elle a été transportée au centre médical Shaare Zedek de Jérusalem dans un état critique et son décès a été déclaré peu après.
Aucun soldat n’a été blessé.
Son corps est toujours retenu par les forces israéliennes dans le cadre de la politique largement condamnée consistant à retenir les dépouilles de Palestiniens accusés d’avoir attaqué des Israéliens.
« Nous sommes dévastés par ce qui s’est passé », confie à MEE Hamed (62 ans), le mari de Fahima al-Hroub, depuis son domicile à Wadi Fukin. « Fahima était gentille, elle était très calme et n’aurait jamais fait de mal à une mouche. »
Hamed explique que sa femme souffrait d’une grave dépression et d’anxiété depuis plusieurs années et que son état s’était aggravé l’année dernière avec la pandémie de coronavirus.
« Fahima avait une petite entreprise, un salon de coiffure pour femmes, qu’elle adorait. Elle était déjà très déprimée à cause de toutes les mesures de confinement et lorsqu’elle a été obligée de fermer à cause du COVID-19, elle a sombré dans une profonde dépression », indique-t-il.
« Ces soldats sont formés pour faire face à ces situations, mais comme nous sommes palestiniens, il est plus facile pour eux de nous tuer tout simplement »
– Hamed al-Hroub, époux de Fahima
Quelques semaines avant sa mort, Fahima s’était rendue chez le médecin pour un contrôle de routine, où elle avait appris que son cancer, qu’elle pensait avoir vaincu quelques années auparavant, était revenu.
« C’était le point de basculement. Elle était au plus mal », raconte Hamed. « Quelques jours plus tard, elle a avalé des cachets et nous avons dû l’emmener d’urgence à l’hôpital. »
Hamed explique que sa famille a fait tout son possible pour l’aider, notamment en l’emmenant chez des psychologues à Bethléem. Les médecins lui ont prescrit des antidépresseurs, mais elle a refusé de les prendre, ajoute-t-il.
« Je pense qu’elle se disait qu’elle n’avait pas d’autre choix et qu’elle ne pouvait plus supporter cela », explique-t-il. « Nous sommes très tristes de la perdre de cette façon. Le fait qu’ils retiennent son corps ne fait qu’intensifier notre douleur. Nous voulons juste enterrer nos proches en paix et permettre à leur âme de trouver le repos. »
La politique du « tirer pour tuer »
La famille de Fahima al-Hroub estime que même si les soldats ont tiré des coups de semonce en l’air avant de la viser, ils auraient pu et dû faire plus d’efforts pour la neutraliser avant d’employer la force et la tuer.
Sur un enregistrement vidéo des faits publié sur les réseaux sociaux, on voit Fahima al-Hroub, craintive et portant un masque, s’approcher lentement des soldats avec le couteau à la main, au niveau du flanc. Lorsque les soldats tirent des coups de semonce en l’air, alors qu’elle se tient encore à une certaine distance, elle marque une pause avant de continuer d’avancer lentement vers eux.
« Si vous regardez la vidéo, vous voyez qu’elle-même avait peur et qu’elle ne croyait pas à ce qu’elle faisait », affirme Hamed.
« Ce n’était pas quelqu’un qui voulait attaquer qui que ce soit. Elle n’a pas couru vers eux, elle ne s’est pas jetée sur eux. Elle n’a même pas tenu le couteau en l’air, ni fait de véritables gestes. »
Selon Hamed, les soldats auraient dû savoir que Fahima al-Hroub, une femme d’un certain âge et visiblement craintive et effrayée, ne représentait pas une menace réelle ou immédiate.
« Ces soldats sont de jeunes hommes grands et costauds, équipés de la tête aux pieds. Ils auraient pu la plaquer au sol, la désarmer, tirer du gaz lacrymogène ou des balles en caoutchouc, employer tout autre moyen que des balles réelles, et ils auraient pu la neutraliser sans être blessés », ajoute-t-il.
« Ces soldats sont formés pour faire face à ces situations, mais comme nous sommes palestiniens, il est plus facile pour eux de nous tuer tout simplement. »
Les forces israéliennes font l’objet de critiques de longue date pour leur politique du « tirer pour tuer » employée à l’encontre des Palestiniens dans les cas où ils ne représentent pas une menace imminente pour la vie des soldats israéliens qui les tuent.
Des organisations de défense des droits de l’homme dénoncent les agissements de la police israélienne comme des « exécutions sanctionnées par l’État ».
« L’exécution de Saeed envoie un message à tous les enfants et jeunes palestiniens, à savoir que leur vie ne compte pas sous l’occupation »
- Ghassan Daghlas, activiste palestinien
Le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem a rendu compte de plusieurs dizaines de cas au cours des dernières années, affirmant que le comportement des soldats israéliens s’inscrivait dans un « tableau grave et alarmant d’un recours excessif et injustifié à des tirs mortels qui équivalent dans certains cas à des exécutions sommaires d’assaillants ou d’assaillants présumés. »
Les griefs formulés par la famille al-Hroub au sujet de la politique israélienne du « tirer pour tuer » sont exprimés de la même manière par les amis et la famille de Saeed Odeh, qui affirment que le garçon a été exécuté à tort par les forces israéliennes.
« Même si les affirmations israéliennes selon lesquelles Saeed jetait des pierres avaient été vraies, ce n’est pas une raison pour tirer sur lui à balles réelles et le tuer », soutient Fuaad Abdel-Rahim.
« Même s’il y a des affrontements, rien ne justifie un recours aussi inapproprié à un tel niveau de force. L’utilisation de balles réelles en fait une exécution – et un nouveau crime à inscrire au palmarès de l’armée israélienne. »
Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme justice de DCIP, a réagi à la mort de Saeed Odeh : « Les forces israéliennes tuent régulièrement et illégalement des enfants palestiniens en toute impunité et emploient intentionnellement une force meurtrière contre des enfants palestiniens alors qu’ils ne représentent aucune menace », a-t-il déclaré. « L’impunité systémique a favorisé un contexte où les forces israéliennes ne connaissent aucune limite. »
Interrogé par MEE après les funérailles de Saeed Odeh jeudi après-midi, Ghassan Daghlas, un activiste palestinien qui surveille les activités de colonisation dans le nord de la Cisjordanie, estime que « l’exécution de Saeed envoie un message à tous les enfants et jeunes palestiniens, à savoir que leur vie ne compte pas sous l’occupation ».
« Les soldats israéliens ont reçu le feu vert [du Premier ministre Benyamin Netanyahou] et des plus hautes instances du gouvernement israélien pour tirer sur tout Palestinien qui bouge », soutient-il.
Ghassan Daghlas accuse la communauté internationale de se rendre complice en gardant le silence et en ne mettant pas un terme à la politique employée par Israël contre les Palestiniens et leurs enfants.
« En tuant Saeed, les soldats israéliens ont tué son rêve de devenir footballeur professionnel et ils ont tué le rêve de tous les enfants palestiniens d’avoir un avenir paisible », ajoute-t-il.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].