Des Palestiniens de Jérusalem se battent pour préserver un cimetière voué à la démolition
Tout comme les Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Est occupée, les morts du cimetière d’al-Youssoufia ne sont pas en paix dans leurs tombes.
Les autorités israéliennes profanent des cimetières musulmans depuis des décennies, procédant à des exhumations, des travaux d’excavation qui mettent au jour des os et développant des projets de construction sur les emplacements des tombes.
« Déversez la terre sur moi et enterrez-moi à ses côtés. Ô mon fils Alaa, je suis là, je ne partirai pas »
- Ola Nababta
Les derniers projets de construction d’un parc à thème biblique sur le cimetière d’al-Youssoufia sont une provocation supplémentaire pour les Palestiniens et ont mené à des confrontations avec les forces israéliennes, la municipalité israélienne de Jérusalem et le personnel de la direction de la Nature et des Parcs d’Israël.
Les dernières exhumations ont commencé il y a trois semaines dans un carré d’al-Youssoufia surnommé cimetière des martyrs, qui se trouve à côté de l’un des murs historiques de la vieille ville de Jérusalem, où est inhumé Alaa Nababta.
Ola Nababta, Hiérosolymitaine de 54 ans, passe ses journées à surveiller la tombe de son fils Alaa, mort il y a quatre ans.
Chaque jour, elle quitte sa maison du camp de réfugiés de Shuafat, au nord de Jérusalem-Est, au cas où des responsables de la direction de la Nature et des Parcs ou de la municipalité israélienne viendraient exhumer la tombe ou la recouvrir de terre avant de bâtir le parc.
Les cadets d’Alaa sont morts eux aussi : Ihab a été abattu en 2015 et Bahaa en 2016 par des agresseurs non-identifiés dans le camp de Shuafat, où ce dernier dirigeait des organisations de jeunesse et était connu pour son activisme social.
Veuve et ayant perdu trois fils, Ola Nababta connaît la dévastation laissée par les bulldozers israéliens : elle l’a constatée il y a encore quelques semaines quand les exhumations ont mis au jour des os, des crânes et des mâchoires.
« Ce jour-là, j’ai fondu en larmes et me suis effondrée en voyant que les tombes exhumées étaient voisines de celle de mon fils Alaa ; et j’ai compris que sa tombe serait indubitablement la prochaine », confie-t-elle à Middle East Eye.
« Déversez la terre sur moi »
L’intuition de cette mère s’est avérée : lundi, des responsables sont revenus avec des camions remplis d’acier et de terre pour recouvrir les tombes restantes, y compris celles d’Alaa.
Tandis que les ouvriers commençaient à déverser la terre, Nababta s’est accrochée de toutes ses forces à la tombe de son fils pour empêcher son ensevelissement.
Les soldats israéliens ont tenté de la faire bouger en vain : « Déversez la terre sur moi et enterrez-moi à ses côtés. Ô mon fils Alaa, je suis là, je ne partirai pas », leur a-t-elle lancé.
Ola Nababta assure à MEE que des représentants de la commission pour l’entretien des cimetières musulmans à Jérusalem avaient confirmé qu’elle pouvait enterrer son fils dans le cimetière, qui accueille les corps des défunts musulmans depuis des siècles.
Cependant, elle a été convoquée à plusieurs reprises par les renseignements israéliens à ce sujet.
« Je me rendais sur la tombe de mon fils comme toute autre mère l’aurait fait », relate-t-elle. « Mais les renseignements israéliens m’ont convoquée et interrogée à propos de l’identité de la personne qui m’avait donné la permission de l’enterrer à cet endroit, affirmant que c’était interdit.
« Neuf mois après le décès d’Alaa, le ministère israélien de la Santé a tenté de persuader de déplacer son corps dans un autre cimetière, mais j’ai refusé catégoriquement parce que je veux que le corps d’Alaa repose en paix », poursuit-elle.
« Qu’est ce qui les fait penser que je pourrais les autoriser à recouvrir sa tombe et me priver de l’occasion de lui rendre visite et d’arroser les fleurs que j’ai plantées sur sa tombe ? »
Ola Nababta ne s’inquiète pas uniquement pour la tombe d’Alaa, ses craintes s’étendent à celles de ses frères Ihab et Bahaa, qui sont inhumés dans le cimetière Bab al-Rahmeh, adjacent à la mosquée al-Aqsa.
Selon la mère de famille, dès que les caméras de surveillance la montrent en train de se rendre sur les tombes de ses deux autres fils, la police israélienne se précipite vers elle et prétend que Ihab et Bahaa ont également été enterrés dans une zone interdite.
Jusqu’à présent, seule la tombe de son mari, décédé en 2018 et également enterré à al-Youssoufia, échappe à ce harcèlement.
« Je souffre tellement parce que mes fils ont été harcelés et emprisonnés de leur vivant », se lamente-t-elle.
« Aujourd’hui, [les autorités israéliennes] ne veulent pas que leurs corps reposent en paix dans leurs tombes, ils veulent les couvrir et construire des parcs publics. »
« Quelle loi sur terre autorise la profanation des tombes ? »
Des corps déterrés
Jérusalem abrite plusieurs cimetières musulmans historiques : al-Youssoufia, Bab al-Rahmeh, Mamilla et Prophète Daoud.
À présent, les Hiérosolymitains palestiniens n’ont plus accès qu’aux cimetières de Bab al-Rahmeh et al-Youssoufia ; les autorités israéliennes ont pris le contrôle des deux autres cimetières.
Le cimetière de Mamilla a été partiellement rasé afin de construire le controversé musée de la Tolérance.
Al-Youssoufia, qui se situe à quelques mètres d’al-Aqsa sur le côté est du mur de la vieille ville, occupe une superficie d’environ 14 dounams (1,4 hectare).
Les musulmans inhument leurs morts dans ce cimetière dont la construction a été ordonnée par Salah al-Din ibn Ayyub, connu en Occident sous le nom de Saladin, depuis 800 ans.
Les travaux d’exhumation et d’excavation des autorités israéliennes ont lieu dans le carré du cimetière des martyrs, une section d’environ 4,5 dounams (0,45 hectare).
Des soldats palestiniens, irakiens et jordaniens tués lors des combats contre les forces israéliennes à Jérusalem lors de la guerre des Six Jours en 1967 sont enterrés là, tout comme Alaa.
En 2014, les autorités israéliennes ont interdit aux habitants de Jérusalem d’enterrer leurs morts au cimetière des martyrs, détruisant plus d’une vingtaine de tombes et cimentant la zone.
En décembre, les bulldozers ont repris leurs travaux de terrassement dans le cimetière – cependant, une plainte déposée devant les tribunaux israéliens a permis de suspendre temporairement les travaux jusqu’en septembre.
Le 10 octobre, les Hiérosolymitains sont venus protester, tandis que la police et les bulldozers exhumaient les corps, et ont pu inhumer à nouveau les restes dans le cimetière le lendemain.
Désinformation et mensonges
La Commission pour l’entretien des cimetières musulmans de Jérusalem s’occupe des cimetières musulmans de la ville, procédant à leur entretien général (menus travaux et jardinage).
Cette commission a déposé des recours devant les tribunaux israéliens pour mettre un terme à la destruction du cimetière des martyrs.
Mustafa Abu Zahra, président de la commission, explique à MEE que l’arrivée lundi de grandes quantités de terre pour combler les tombes restantes ainsi que l’érection de barrières en métal pour séparer le cimetière des martyrs du reste d’al-Youssoufia montrent que la conversion de la zone en parc à thème est imminente.
Il rappelle qu’un tribunal israélien a autorisé les ouvriers à continuer les travaux de terrassement malgré l’appel, après la découverte de restes humains dans la zone qui, selon la municipalité, n’a jamais été un cimetière.
Hamza Quttaineh, avocat hiérosolymitain qui défend le cimetière des martyrs devant les tribunaux israéliens, rapporte à MEE que la municipalité et la direction israélienne de la Nature et des Parcs ont déployé diverses formes de désinformation et de mensonges pour nier l’existence du cimetière.
En tentant de convertir le cimetière en parc, les autorités ne montrent aucun respect pour le caractère sacré du défunt, estime Quttaineh.
« Il y a d’énormes machinations mises en place par la municipalité d’occupation ainsi que la direction de la Nature et des Parcs et le système judiciaire, qui fournissent la couverture légale nécessaire au projet de judaïsation englobant le mur historique de la vieille ville de Jérusalem », indique-t-il.
La municipalité insiste pour classer le cimetière des martyrs comme zone verte qui doit être transformée en parc au sein de la zone du projet du Bassin sacré, explique l’avocat, se référant à un terme utilisé par les Israéliens pour décrire une zone géographique à Jérusalem comprenant la vieille ville et ses territoires adjacents.
« Jusqu’à présent, ce terrain ne fait pas partie du projet et il ne devrait pas y être inclus en raison de son importance », ajoute-t-il.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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