Le roi de Jordanie accusé d’étendre ses pouvoirs en amendant la Constitution
Le roi Abdallah II de Jordanie a souvent dit qu’il désirait devenir un monarque constitutionnel un jour ; les réformes esquissées en début d’année semblaient être un premier pas – un petit pas, certes – dans cette direction.
La politique parlementaire est bien mal en point dans le royaume hachémite. Les élections produisent des Parlements faibles et le Premier ministre est toujours choisi par le roi, plutôt que les députés ou l’électorat. Seuls 37 % des Jordaniens ont confiance dans le Parlement actuel selon un récent sondage.
« Ce que le gouvernement a fait avec ces amendements, c’est mettre sens dessous-dessus l’ensemble du processus de gouvernance »
- Jamal Jeet, Mouvement jordanien unifié
Or parmi les amendements constitutionnels rédigés par une commission royale cette année et soumis au Parlement il y a une quinzaine de jours – lesquels visent à élargir la participation et permettre aux députés de choisir le Premier ministre – figurent huit modifications controversée ajoutées par le gouvernement.
Pour leurs détracteurs, ces dernières donnent plus de pouvoir au roi et sapent la classe politique jordanienne. Comme toujours à Amman, le mécontentement a fait descendre les manifestants dans la rue.
Jamal Jeet, le porte-parole du Mouvement jordanien unifié (une coalition de groupes d’opposition), faisait partie des manifestants dans le centre-ville d’Amman vendredi qui portaient des bannières proclamant : « La Constitution que nous voulons est celle qui restaurera le pouvoir du peuple », « Nous voulons des gouvernements élus et un système judiciaire indépendant » et « Non aux amendements de la Constitution ».
Il explique à Middle East Eye que ces amendements sont « une révolte contre le statut du pays et la Constitution qui le régit » et qualifie la situation de « coup d’État » contre la nature « représentative, royale et héréditaire » de la Constitution.
« Une excuse bidon »
Le roi Abdallah espère que la Jordanie deviendra une démocratie totale en l’espace de dix ans.
Mais les amendements controversés du gouvernement, soumis au Parlement le 14 novembre, suscitent l’inquiétude. Ils créent un Conseil national de sécurité et des affaires étrangères qui sera chargé des affaires de politique extérieure, du budget de l’État et d’autres sujets en lien avec la souveraineté et la sécurité.
Ce conseil sera présidé par le roi et comprendra le Premier ministre, le chef de l’armée, les chefs des agences de sécurité, les ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères ainsi que deux autres membres désignés par le monarque.
Avec ces amendements, le roi décidera seul de désigner ou d’accepter la démission des personnes occupant plusieurs postes importants, du chef de la police au chef du système judiciaire, en passant par le mufti.
Pour certains partisans de cette initiative, ses détracteurs redoutent simplement le système de gouvernement reposant sur les partis qu’encourageraient ces amendements. « Une excuse bidon » pour Jeet.
« Nous voulons passer à des gouvernements élus, reposant sur les partis, qui ont des pouvoirs découlant de la Constitution. Ce que le gouvernement a fait avec ces amendements, c’est mettre sens dessous-dessus l’ensemble du processus de gouvernance, en rejetant le concept selon lequel le peuple est la source du pouvoir », fait-il valoir.
Ce n’est pas bon non plus pour le chef d’État, précise-t-il. Ces amendements piègent le roi en lui donnant des pouvoirs qui enfreignent la Constitution.
Abdallah, son gouvernement et le royaume ne sont pas au mieux. Le chômage et la pauvreté sont au plus bas ; l’autorité du roi semble avoir été remise en question par une tentative présumée de coup d’État qui impliquait son demi-frère et l’Arabie saoudite.
Dans la rue, divers sujets rassemblent les manifestants. Vendredi, il s’agissait des amendements constitutionnels et d’un accord controversé entre la Jordanie et Israël d’échange d’électricité contre de l’eau qui concentraient la rancœur à l’extérieur de la mosquée du roi Hussein.
« Nous espérons que nos manifestations mettront la pression sur les membres du Parlement pour les convaincre de ne pas soutenir ces changements », indique Jeet. « Nous ferons pression sur le Parlement pour rejeter ces amendements. »
Des temps difficiles
Moussa Ma’aytah, ministre des Affaires politiques, a fait valoir que ces amendements facilitaient la coordination entre l’armée et les institutions civiles, en particulier en ces temps difficiles.
« Les défis les plus récents, tels que les conflits armés, les guerres, les actes de terrorisme et les problèmes de drogue, ont tous influencé la sécurité nationale du pays et c’est pourquoi cette idée a été suggérée », a-t-il assuré au Parlement.
Ce n’est pas la première fois que les pouvoirs du roi sont étendus. En 2016, le pouvoir d’Abdallah a été accru pour lui permettre de nommer des gens à diverses hautes fonctions sans consultation du Premier ministre ou du ministre de référence.
Parmi eux figurent les chefs de l’armée et des services de renseignements, ainsi que le prince héritier.
Il y a une opposition au Parlement contre une nouvelle extension de ces pouvoirs, mais ces amendements devraient être votés bientôt. Deux tiers des députés doivent voter en faveur pour qu’ils soient adoptés.
Pour le député Saleh Armouti, ancien président de l’association du barreau jordanien, « la Constitution est désormais en soins intensifs ».
« Ces amendements enfreignent les bases de la démocratie… en créant un pouvoir parallèle, à savoir le Conseil de sécurité nationale. Il court-circuitera les pouvoirs du gouvernement et sa capacité à bien gouverner », estime-t-il.
« Comment puis-je, en tant que membre du Parlement, demander des comptes au roi puisqu’il présidera ce nouveau conseil qui va ôter des pouvoirs au gouvernement ? La Constitution elle-même protège le roi de toute critique ou de responsabilité. Nous ne pouvons pas traduire le roi en justice. »
Armouti remet en question la sagesse de ces initiatives qui placent le roi au centre de la controverse politique.
« Ces amendements enfreignent les bases de la démocratie… en créant un pouvoir parallèle, à savoir le Conseil de sécurité nationale. Il court-circuitera les pouvoirs du gouvernement et sa capacité à bien gouverner »
- Saleh Armouti, député
« Ce nouveau conseil qui sera dirigé par le roi va créer des politiques et, si je désapprouve ses décisions, je ne peux pas [m’y opposer], cela signifie que tous les pouvoirs sont aux mains d’une personne, ce qui est la définition même du régime autoritaire. »
Mamdouh Abbadi, ancien vice-Premier ministre, appelle le roi et le Parlement à rejeter ces amendements.
« Cela ne sert ni le roi, ni le peuple », affirme-t-il à MEE. « Jouer avec la Constitution est très dangereux. Vous ne pouvez pas la changer à tout bout de champ. »
Abbadi fait observer qu’aucun changement n’a été apporté à la Constitution entre sa rédaction en 1952 et 2011, date à laquelle 24 amendements ont été adoptés. Dans les dix ans qui ont suivi, 70 amendements ont été adoptés.
« Le plus grand problème avec ces amendements, c’est qu’ils multiplient les nominations qui sont faites exclusivement par le roi ; cela s’oppose à l’idée du pouvoir du peuple et à la nécessité d’un gouvernement élu. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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